Bah Traoré
Après les phases communales et régionales du dialogue inter-maliens pour la paix et la réconciliation, la phase nationale s’ouvre ce lundi 6 mai à Bamako. Cette initiative fait suite à l’annonce du président de la transition lors de son discours du Nouvel An 2024, où il a exprimé la volonté d’éliminer les causes profondes des conflits communautaires et intercommunautaires. En janvier 2024, les autorités maliennes de transition ont annoncé la fin de l’accord de paix et de réconciliation issu du processus d’Alger et ont lancé un dialogue national dans le but de progresser vers la paix sans médiation internationale.
Cette décision s’inscrit dans la série de ruptures auxquelles ont procédé les autorités de la transition et reflète la volonté des autorités maliennes de prendre en main le processus de paix et de réconciliation, mais suscite des interrogations quant à son efficacité et son inclusivité. Les dialogues précédents, ayant abouti à des accords de paix, ont souvent été critiqués pour leur manque d’inclusivité, se limitant à des négociations entre le gouvernement et les mouvements rebelles, avec une médiation extérieure. Les dialogues de Tamanrasset en 1990 et d’Alger en 2006, sous médiation algérienne, n’ont été pas très concluants.
Le dernier accord en date, signé en 2015, impliquait une gamme plus large d’acteurs internationaux, y compris des États de la région, des organisations internationales et les Nations unies réunis au sein Comité de mise en œuvre de l’accord (CSA) avec l’Algérie comme chef de file. Malgré cela, il n’y a pas eu d’avancée significative dans sa mise en œuvre. L’efficacité d’un dialogue ou d’un accord ne dépend pas uniquement de la présence d’une médiation, mais surtout de la volonté des parties prenantes à travailler ensemble pour la paix.
Suite à l’échec du récent accord de paix issu du processus d’Alger sous la médiation internationale, cette tentative de dialogue aurait pu favoriser une appropriation locale et inclusive des processus de dialogue entre tous les Maliens. Cependant, elle ne prend pas suffisamment en compte les principaux acteurs de la violence dans le pays, tels que les groupes terroristes affiliés à Al-Qaïda, comme Amadou Koufa et Iyad Ag Ghali.Cette posture des autorités de la transition s’explique par une prédominance des actions militaires dans la stratégie de sécurisation du pays.
Les conclusions du dialogue national inclusif initié en 2019 par l’ancien président Ibrahim Boubacar Keita ont mentionné la nécessité d’engager des dialogues avec les deux principaux protagonistes du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM/JNIM) Iyad et Koufa. De plus, l’ancien président de la transition, Dioncounda Traoré, récemment démis de ses fonctions par le colonel Assimi Goïta, avait été nommé en juin 2019 au poste de Haut représentant du chef de l’État pour le centre du Mali chargé de conduire ce dialogue.
La France avait à l’époque tenu une position hostile à tout dialogue avec les groupes armés terroristes. L’une des difficultés majeures du dialogue inter-malien est effectivement l’absence de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), qui s’est retirée en Algérie depuis que l’armée malienne a repris le contrôle de Kidal en novembre 2023. Depuis la récente suspension des activités des partis politiques et des associations, plusieurs partis ont refusé de participer au dialogue.
Suite à l’échec du récent accord de paix issu du processus d’Alger sous la médiation internationale, cette tentative de dialogue aurait pu favoriser une appropriation locale et inclusive des processus de dialogue entre tous les Maliens.Cependant, elle ne prend pas suffisamment en compte les principaux acteurs de la violence dans le pays, tels que les groupes terroristes affiliés à Al-Qaïda, comme Amadou Koufa et Iyad Ag Ghali
Ce manque de confiance peut rendre difficile la conclusion d’accords durables et la mise en œuvre efficace des mesures convenues, soulignant ainsi les défis pour parvenir à une paix durable et inclusive. Malgré les efforts déployés pour résoudre les conflits internes au Mali, le processus de paix reste fragile et confronté à de nombreux défis. Il est impératif de prendre en compte les lacunes passées et d’adopter une approche plus inclusive, avec un engagement renouvelé envers un dialogue authentique et une mise en œuvre effective des accords pour garantir une paix durable pour tous les Maliens.
Éviter les erreurs des dialogues et des accords précédents
Les gouvernements successifs du Mali ont entrepris diverses initiatives pour résoudre les cycles de conflits internes auxquels le Mali fait face depuis des décennies. Parmi ces efforts, la signature de plusieurs accords de paix, dont le dernier en date est l’Accord de paix et de réconciliation issu du processus d’Alger, signé à Bamako le 20 Juin 2015. Ces négociations, menées à Alger, visaient à restaurer la souveraineté territoriale du Mali et à mettre fin à la guerre qui déchirait le pays.
Cependant, la mise en œuvre de cet accord a été entravée par plusieurs obstacles, notamment les oppositions de certains partis politiques et organisations de la société civile quant à son application et les différentes tensions entre le gouvernement et certains mouvements signataires de l’accord. Par la suite, il y a eu plusieurs dialogues: la conférence d’entente en 2017, le dialogue national inclusif en 2019 et les assises nationales de la refondation en 2021 sans véritable impact sur le processus de paix.
Toutefois, malgré ces efforts, le Mali reste confronté à une réalité complexe sur le terrain. Les groupes armés terroristes, qui constituent la plus grande menace, continuent de sévir dans certaines régions du pays, menaçant la sécurité des civils et entravant les efforts de reconstruction. Dans un contexte où les tensions ethniques, les insurrections armées et les conflits intercommunautaires sont courants, les politiques officielles visant à promouvoir la paix et la stabilité semblent parfois déconnectées des dynamiques réelles de conflictualité car elles ne prennent pas suffisamment en compte le rôle des principaux acteurs.
Les recommandations de toutes ces initiatives n’ont jamais pu être appliquées. Le manque de confiance entre les parties prenantes a été un obstacle majeur à la réussite des précédents dialogues. Les années de conflit, de méfiance, de violence et de tensions politiques ont laissé des fissures profondes qui sont difficiles à surmonter, même avec des initiatives de dialogue bien intentionnées.
La récente suspension des activités des partis politiques et des associations à caractère politique par le président de la transition suscite des inquiétudes quant à la liberté d’expression et à la participation politique dans le pays et des droits garantis par la constitution. Elle crée davantage de tensions entre la classe politique et les autorités de transition à la veille des travaux du dialogue qui se veut inclusif.
Cependant, elle risque de compromettre les chances d’un consensus autour de cet énième dialogue, en alimentant la méfiance et les critiques. De plus, l’instabilité sécuritaire dans certaines régions du Mali rend difficile la participation de toutes les parties prenantes au dialogue. Ces développements soulèvent des questions sur la capacité du dialogue inter-maliens à aboutir à une paix durable.
Dans un contexte où les tensions ethniques, les insurrections armées et les conflits intercommunautaires sont courants, les politiques officielles visant à promouvoir la paix et la stabilité semblent parfois déconnectées des dynamiques réelles de conflictualité car elles ne prennent pas suffisamment en compte le rôle des principaux acteurs
Une élection présidentielle conditionnée au dialogue
Le dialogue inter-maliens revêt une importance capitale pour le devenir de la transition politique et le retour à l’ordre constitutionnel au Mali. Malgré le léger report de la présidentielle annoncé il y a quelques mois pour des raisons techniques, le gouvernement de transition reste muet quant à l’annonce d’une nouvelle date pour cette échéance censée mettre fin à la transition. La question du scrutin présidentiel à été inévitablement abordée lors des phases régionales et communales, bien qu’elle ne figure pas parmi les cinq points retenus dans les termes de référence du dialogue transmis au président de la transition par Ousmane Issoufi Maïga, ancien Premier ministre et actuel président du comité de pilotage. Les recommandations issues des phases régionales du dialogue évoquent entre autres une nouvelle prolongation de la transition en cours avec des durées proposées allant de 30 mois à 10 ans selon les régions ainsi que la candidature du colonel Assimi Goïta lors de la prochaine présidentielle.
Le dialogue inter-maliens revêt une importance capitale pour le devenir de la transition politique et le retour à l’ordre constitutionnel au Mali.
Pourtant, malgré ces défis, il est impératif de reconnaître que le dialogue est crucial pour la restauration de la paix et de la stabilité au Mali. En effet, la résolution des divergences politiques et sociales est une condition « sine qua non » pour la tenue d’une élection libre, juste et apaisée. Les conclusions tirées de ce dialogue seront déterminantes pour la durée de la transition. Ainsi, il est essentiel que toutes les parties prenantes s’engagent pleinement dans ce processus de dialogue, avec une volonté sincère de surmonter les différences et de trouver des solutions consensuelles aux défis qui se présentent. Une telle démarche nécessite un climat de confiance mutuelle et un engagement ferme en faveur de l’intérêt supérieur du Mali.
Image d’illustration: bamada.net
Bah Traoré est chargé de recherche à WATHI. Il s’intéresse aux questions politiques et sécuritaires au Sahel. Il anime Afrikanalyste, un site dédié à l’analyse de l’actualité au Sahel. Il a travaillé sur des projets liés à la désinformation et au fact-checking en Afrique de l’Ouest.