Titilayo Nandi SBJ
Le 30 mai 2016, l’ancien président tchadien Hissène Habré a été reconnu coupable par les Chambres africaines extraordinaires de viol, crimes de guerre, torture et crimes contre l’humanité et condamné à la réclusion à perpétuité. Impassible durant toute la durée du procès et même pendant le prononcé du verdict il a, avant de quitter la salle d’audience, lancé un vibrant “ Vive l’Afrique ! A bas la Françafrique ! ”
En janvier 2016, fièrement debout devant une Union Africaine dont il était le président sortant, Robert Mugabe a tenu des propos qui, s’ils avaient émané d’un Occidental parlant d’un Africain, auraient déclenché une juste indignation. Mais là, nous n’avons rien dit. Certains d’entre nous ont même applaudi.
Au commencement était une colère saine et justifiée, la colère libératrice de peuples trop longtemps opprimés, enchaînés et qui, enfin, commencent la longue marche vers la liberté et la reconquête de leur identité. Puis la colère s’est trompée de cible. Blâmer les Occidentaux semble être devenu la réponse à tout.
Sur le continent de Kwame Nkrumah, Thomas Sankara, Patrice Lumumba et Fela Kuti, l’on ose aujourd’hui élever en héros des gens qui tuent, volent et trompent leur peuple. On en fait des héros parce qu’ils « ont tenu tête aux Blancs ». Héros, peut-être l’ont-ils été, à un moment. C’est que l’Histoire est parfois frappée d’une amnésie sélective. Elle fait de vous un héros ou un ennemi à abattre selon le côté où vous vous trouviez au dernier jour de la bataille. Mais les faits, eux, sont têtus.
Hissène Habré a été le chef d’orchestre d’un régime qui a coûté la vie à 40.000 personnes. C’est un fait. Derrière le chef d’orchestre, il y a certes toute une équipe. Par définition un chef d’orchestre n’est pas seul mais cela ne le rend pas moins coupable et cela ne rend pas moins abjects les faits dont il s’est rendu coupable.
Sur le continent de Kwame Nkrumah, Thomas Sankara, Patrice Lumumba et Fela Kuti, l’on ose aujourd’hui élever en héros des gens qui tuent, volent et trompent leur peuple.
Depuis plusieurs mois, une grande partie du Zimbabwe est frappée d’une sécheresse qui menace d’affamer la population. Le pays importe plus qu’il ne vend. Sa monnaie est dévaluée et à Hararé, la capitale, sauf à avoir les moyens de se payer des soins dans un établissement privé, l’on a de grandes chances de mourir dans des hôpitaux publics qui manquent de tout.
Le président sortant de l’Union Africaine a prononcé ce discours devant une institution largement financée par les Occidentaux. Des faits, là aussi. Têtus ! Quand même, le passé colonial, me dira-t-on. Oui, bien sûr. Néo-colonialisme ! Sans aucun doute. Les chaînes ne sont plus à nos pieds mais nos esprits ne sont pas libres. Castration mentale. Notre rapport d’Africains aux pays occidentaux- anciennes puissances coloniales- ne sera jamais neutre. Ni jamais tout à fait égalitaire. Pas tant que le pouvoir – réel ou supposé- sera de leur côté.
Mais que ce soit clair. Le racisme n’est pas le panafricanisme. L’extrémisme et le rejet de l’autre ne constituent pas le fondement du panafricanisme et essayer de détourner l’attention d’un peuple dont le quotidien est une lutte pour la survie en diluant les responsabilités, ce n’est absolument pas cela le sens du panafricanisme ! Le panafricanisme meurt de nos luttes fratricides et il ne consiste pas à chercher ailleurs qu’en nous-mêmes les responsables de nos maux.
Le président du Zimbabwe, deux mois après ce discours à l’Union Africaine, a annoncé que 15 milliards de dollars avaient disparu des caisses de l’Etat. Toute ressemblance avec des faits ou des personnages existants ou ayant existé n’est peut-être pas fortuite. Nos dirigeants ont le formidable pouvoir de tout faire disparaitre sauf l’opulence dans laquelle ils vivent et la précarité que connaissent leurs populations.
Excédés, les Zimbabwéens ont lancé sur les réseaux sociaux un mouvement qui demande des comptes. Eux, ils ont bien compris que la farce a arrêté de faire rire et que nos dirigeants doivent répondre de leurs responsabilités, personnellement. Car « le sang noir coule, des Noirs le font couler, il coulera longtemps encore : les Blancs s’en vont, mais leurs complices sont parmi nous, armés par eux ; la dernière bataille du colonisé contre le colon, ce sera souvent celle des colonisés, entre eux » affirmait l’écrivain martiniquais Frantz Fanon.
Le panafricanisme meurt de nos luttes fratricides et il ne consiste pas à chercher ailleurs qu’en nous-mêmes les responsables de nos maux.
Auparavant, esclaves, nous sommes à présent asservis par les complices qu’ils ont laissés derrière eux. Nos frères. Le combat des colonisés entre eux. Hissène Habré. 40.000 victimes. Du sang noir qu’un Noir a fait couler. Que la démagogie de nos dirigeants ne nous fasse pas oublier qu’en réalité, ils sont les premiers et seuls bénéficiaires de ce néo-colonialisme qu’ils ne dénoncent que lorsque le système les lâche.
Frantz Fanon disait que « Chaque génération doit découvrir sa mission, l’accomplir ou la trahir ». Quelle est la mission de ma génération ? L’état du monde a de quoi désespérer, tant la tâche est grande. Essayer de donner du sens à la vie est une mission en soi, mission quasi impossible, mais on peut donner du sens à sa vie. En menant le bon combat. Car le racisme, la haine, le ressentiment, « le désir légitime de vengeance » ne peuvent alimenter une guerre de libération (Frantz Fanon, Les damnés de la terre).
La guerre de libération, libération mentale, que nous devons mener en tant qu’Africains ne peut simplement se nourrir du ressentiment de l’ancien colonisé envers son maitre. Le bon combat consiste à nous assurer que nulle part sur ce continent un enfant ne prenne les armes, que nulle part sur ce continent une jeune fille ne soit mariée à 12 ans. Le bon et juste combat consiste à nous assurer que notre course effrénée à l’émergence ne laisse personne au ban de la société.
Le bon combat, c’est se lever à chaque fois que l’un de nous tombe pour avoir réclamé son droit à une vie digne. Combat pour l’égalité, combat pour la justice, lutte pour le changement. Au jour de la dernière bataille, l’Histoire nous dira si cela était réellement le bon combat.
Sans doute nous faut-il des héros. Il nous faut des exemples à suivre, des voix qui crient dans le désert. Ne les cherchons pas aux mauvais endroits. Ne les cherchons pas dans les figures démagogues et honteuses de dirigeants qui mangent à la table de ceux qu’ils prétendent critiquer.
Nous ne voulons pas de héros. Nous sommes des héros. Nous travaillons en silence car les fourmis ne font pas de bruit
Mais en réalité pourquoi donc cherchons-nous des héros ? Nous sommes des héros. Face à l’extrémisme, à l’intolérance et à la violence, les jeunes Africains révèlent une extraordinaire capacité d’innovation et de résilience. Chaque jour, à son niveau, dans son école, dans sa communauté, avec sa plume, sa voix, ses bras, un jeune Africain se bat pour réécrire l’histoire. Elle finira de la manière que nous voudrons. Nous sommes armés de notre éducation. Nous ne voulons pas de héros. Nous sommes des héros. Nous travaillons en silence car les fourmis ne font pas de bruit. Humilité, discipline et travail. Le rappeur et activiste togolais Elom 20ce sur l’album Indigo nous dit « Don’t Agonize, Organize ! ».
Photo: Joel Robine/AFP
Membre de WATHI, Titilayo est juriste de formation avec une double spécialisation en droit pénal et criminologie. Après avoir occupé les postes d’analyste dans un think-tank panafricain puis associée au programme Afrique d’une coalition d’ONG travaillant pour mettre fin au mariage des enfants, Titilayo travaille désormais au bureau régional à Dakar d’une organisation internationale de défense des droits humains.
4 Commentaires. En écrire un nouveau
En tant que président et citoyen, qu’il ose dire une vérité qui peut le blanchir, la guerre de libération que vous parlez est une opportunité qui l’a plutôt aidé à bénéficier d’enorme soutien des occidentaux, et lesquels sont ses véritables ennemis?
Ousmane, tu poses la vraie question. Avec du recul, on peut même affirmer aujourd’hui que la guerre acharnée que H.H. a mené contre la Libye n’avait pour seule finalité que la consolidation de son pouvoir, largement appuyé sur des bases claniques. De ce point de vue, Deby reste dans son sillage. La question des quarante milles morts ne peut pas être minimisée, ni occultée, par ses inconditionnels défenseurs qui doivent nous expliquer en quoi un acharnement de ses ennemis supposés disculperait ce criminel de la responsabilité d’avoir ôté la vie à tous ces innocents.
Que Hissène Habré soit un héros, est une question de perspectives. La question ici est: “est-il coupable des accusations qui sont portées sur sa personne?”. Si vous pouvez répondre “Non” à cette question et non par un “Oui mais”, la discussion pourra se poursuivre.
Hissène Habré est remarquable pour avoir défendu le Tchad contre les prétentions de Khaddafi; il ne l’est pas pour avoir supervisé une campagne d’oppression et de tortures contre certains de ces compatriotes. Et par ailleurs, la culpabilité de Habré ne rend pas Déby innocent.
je ne suis pas surpris comme les africains avertu de vos propos. Hissein Habre restera toujours un grand hero victime de l occident si vous dite qu il a commis des crimes nous savons pourquoi ces acharnement occidentalo-Debyste et l hypocrisie de certains think thank