Iris Sanner
« Ainsi, pour favoriser l’accès des États du Sahel à l’Océan Atlantique, nous proposons le lancement d’une initiative à l’échelle internationale », c’est à travers ces mots que le roi du Maroc, Mohammed VI, évoquait pour la première fois l’Initiative royale pour l’Atlantique, lors du 48ème anniversaire de la Marche verte, le 6 novembre 2023. Événement majeur de la mémoire politique marocaine, la marche verte fait écho à la manifestation pacifique faite en 1975 pour exiger le départ de l’Espagne du Sahara occidental.
Cette date célébrée au Maroc a un autre goût du côté du Sahara occidental. Elle marque le début d’un conflit opposant le Maroc au Front Polisario, front indépendantiste soutenu par l’Algérie, pour le contrôle de cette zone de plus de 266 000km2.
Le Maroc, à travers l’Initiative Atlantique, propose d’ouvrir sa façade maritime par le port de Dakhla aux pays sahéliens. Le choix de cette ville, tout comme la date de l’annonce ne sont pas anodins. En effet, Dakhla se trouve au centre des tensions opposant le Front Polisario au Maroc. Ce projet de grande envergure représente ainsi une opportunité pour le Maroc de réaffirmer sa souveraineté sur ce territoire considéré « non autonome » par les Nations unies.
Mais l’initiative a une portée plus large, c’est tout le Sahel central, zone enclavée de l’Afrique de l’Ouest, qui est visé. Ce partenariat présenté comme « gagnant-gagnant » inclut les pays sahéliens comme le Mali, le Niger, le Burkina Faso et le Tchad.
Depuis quatre ans, la crise sécuritaire sahélienne a pris une nouvelle tournure, marquée par les coups d’états successifs au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Les tensions ont atteint leur paroxysme le 28 janvier 2024, lorsque les trois gouvernements de transition ont annoncé conjointement leur retrait de la CEDEAO.
Le Maroc, à travers l’Initiative Atlantique, propose d’ouvrir sa façade maritime par le port de Dakhla aux pays sahéliens
Cette annonce est antérieure à la création par les trois pays de l’Alliance des États du Sahel (AES). C’est dans ce contexte que le Maroc a su tirer avantage de sa position stratégique, au carrefour de l’Afrique subsaharienne et de l’Occident, pour impulser cette initiative de grande envergure. Pour le Mali, le Niger et le Burkina Faso, c’est l’opportunité de forger un partenariat alternatif au cas où les relations avec leurs voisins se détérioreraient. Pour le Maroc, c’est l’opportunité de se présenter comme un allié de taille dans la région.
Historique des relations maroco-sahéliennes : une coopération multisectorielle
Bien que l’Initiative Atlantique semble être un ambitieux projet marocain tourné vers le Sahel, le royaume a depuis longtemps orienté sa politique vers ses voisins sub-sahariens. Les investissements marocains dans la région se sont intensifiés depuis l’accession au trône du roi Mohammed VI en 1999. Au Mali, comme au Niger et au Burkina Faso, les investissements marocains ciblent des secteurs clés tels que les infrastructures, les télécommunications, l’agriculture et le secteur bancaire.
Le partenariat entre le Maroc et le Mali s’est acté en 2014 par la signature de 17 accords de coopération. La même année, la clinique périnatale Mohammed VI, entièrement financée par la fondation Mohammed VI pour le développement durable, ouvrait ses portes.
Au Niger, le royaume chérifien a fait don d’une centrale électrique pour accompagner le pays vers la souveraineté énergétique. Enfin, le Burkina Faso devrait bénéficier d’un investissement de 34 milliards de Francs CFA, pour la construction d’une cimenterie par le groupe marocain CIMAF, déjà présent au Mali. Ce projet permettra au Burkina Faso de produire localement son ciment pour réduire sa dépendance aux importations.
Pour le Mali, le Niger et le Burkina Faso, c’est l’opportunité de forger un partenariat alternatif au cas où les relations avec leurs voisins se détérioreraient. Pour le Maroc, c’est l’opportunité de se présenter comme un allié de taille dans la région
Le Maroc est aussi présent dans ces trois pays à travers ses banques telles que l’Attijariwafa bank (AWB), la Banque populaire (BP) et la Bank of Africa. Au Mali, les banques marocaines occupent entre 40 à 50% du marché. L’Initiative Atlantique suit donc la même dynamique : favoriser les échanges commerciaux pour désenclaver cette zone.
Le partenariat entre le Maroc et le Sahel s’étend également dans le domaine religieux. Le royaume chérifien assure la formation d’imams venus de toute la région subsaharienne à travers l’Institut Mohammed VI inauguré en 2015. Ce rapprochement religieux permet au Maroc d’étendre son influence dans la région en diffusant un islam du « juste milieu », en opposition à l’islam wahhabite radical prôné par les groupes djihadistes au Sahel.
Le Maroc affiche également une volonté de renforcer sa présence au sein des grandes institutions régionales. En 2017, le Royaume a réintégré l’Union africaine, après avoir suspendu sa participation en 1984. Ce départ était survenu à la suite de l’adhésion de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), État autoproclamé par le Front Polisario à l’UA. En 2017, le Royaume du Maroc a aussi annoncé sa volonté de rejoindre la CEDEAO. Mais sept ans plus tard, cette adhésion reste en attente. Notamment à cause de la réticence de certains pays membres face au poids économique du Maroc qui pourrait provoquer un déséquilibre entre les membres de la CEDEAO.
Reconfigurations géopolitiques au Sahel : le désengagement des troupes occidentales
Le Maroc réussit à tirer profit du contexte sahélien caractérisé par une recomposition des alliances à la suite du départ des troupes occidentales. En 2022 les troupes françaises de la mission Barkhane quittaient le Mali, suivi un an plus tard, par celles de la MINUSMA. Une dynamique similaire s’est produite au Burkina Faso avec le départ de la force française Sabre, suivi par le départ des militaires français et américains au Niger. Bien que l’Initiative Atlantique ne comporte pas de volet militaro-sécuritaire, ce départ forcé des occidentaux ouvre la porte au Maroc pour renforcer ses alliances avec les pays sahéliens.
De plus, cette initiative répond à l’une des principales faiblesses de l’« AES » qui est son enclavement. Cette caractéristique rend l’AES très dépendante de ses voisins et très vulnérable. Les sanctions imposées par la CEDEAO en 2022 contre le Mali et le Burkina Faso, et en 2023 contre le Niger, l’ont démontré. La fermeture des frontières, la suspension des transactions financières ainsi que le gel des avoirs avaient paralysé les économies de ces trois pays, impactant lourdement leurs populations.
Ainsi, l’Initiative Atlantique permettrait aux régimes militaires de s’émanciper de l’influence et de l’hégémonie de la CEDEAO en cas de sortie de l’organisation régionale. L’AES ne vivrait plus dans la crainte qu’un blocus paralyse ses exportations et importations. D’un point de vue économique, l’Initiative Atlantique assurerait l’accès à une réserve en ressources naturelles, ainsi qu’aux routes maritimes vers l’Europe et les Amériques. Cette ambition marocaine s’inscrit dans la continuité de sa diplomatie au Sahel, comme l’a souligné le ministre des Affaires étrangères marocain, Nasser Bourita lors du Forum de Partenariat Russie-Afrique : « Le meilleur partenaire de l’Afrique est celui qui saura mieux que les autres accompagner son élan, compléter ses lacunes et démultiplier son potentiel ».
Défis territoriaux et logistiques de l’Initiative Atlantique : entre ambitions et réalités
Malgré la belle ambition de ce projet, ce n’est pas chose faite. Pour assurer cette ouverture maritime, le Maroc promet de mettre à disposition ses infrastructures routières et aéroportuaires, actuellement insuffisantes au Sahel. La création d’un corridor économique reliant le Sahel central et le Maroc nécessite beaucoup de travaux et donc de fonds.
Bien que l’Initiative Atlantique ne comporte pas de volet militaro-sécuritaire, ce départ forcé des occidentaux ouvre la porte au Maroc pour renforcer ses alliances avec les pays sahéliens
La mise en pratique de l’Initiative Atlantique demeure peu détaillée. D’autant que le Maroc ne partage pas de frontière avec les pays de l’AES ni le Tchad. Il faudra intégrer la Mauritanie dans le projet, qui s’est pourtant fait remarquer par son absence le 23 décembre 2023, lors de la réunion ministérielle de coordination sur l’Initiative Atlantique, où étaient présents les représentants du Burkina Faso, du Niger, du Mali et du Tchad.
La Mauritanie semble prudente à l’idée de rejoindre l’Initiative Atlantique. Le pays est probablement conscient de la difficulté à établir des projets à l’échelle régionale, étant lui-même au cœur de la rivalité algéro-marocaine. Ancienne alliée du Maroc sur la question du Sahara occidental, la Mauritanie se déclare neutre depuis les années 1980 sur ce conflit. Le pays avait par ailleurs signé à la même période un « traité d’amitié » avec l’Algérie, soutien du Front Polisario et grand rival du Maroc dans la région.
Le gouvernement mauritanien a lui-même lancé son initiative maritime nommée Projet de Port en eaux profondes (PEP) à Nouadhibou. L’État est toujours à la recherche d’un partenaire privé prêt à financer ce projet qui permettra à la Mauritanie de bénéficier de son ouverture maritime. Mais le projet tarde, et l’aménagement du port de Dakhla par le Maroc peut être perçu par Nouakchott comme un projet rival. Concurrence à laquelle la Mauritanie, du fait de son économie fragile, ne saura faire face.
Dans ce contexte de bouleversements politiques, tous les États de la région réévaluent leurs alliances. Pour la Mauritanie, rejoindre l’Initiative Atlantique permettrait de bénéficier d’investissements marocains afin de développer ses infrastructures. Cependant, cela comporte le risque de détériorer ses relations avec l’Algérie et de compromettre le projet du port de Nouadhibou.
L’Initiative Atlantique promet d’être un grand chantier de la politique marocaine au Sahel. Dans un contexte marqué par un retrait de plus en plus important des partenaires occidentaux au Sahel, cette dynamique offre une opportunité stratégique pour le Maroc. Le royaume se présente comme un partenaire fiable à l’échelle régionale. Ce partenariat, présenté comme une démarche sud-sud, répond au besoin de partenaire fiable de l’AES afin de surmonter son enclavement. Toutefois, la mise en pratique géographique de cette initiative reste à démontrer.
Crédit photo: menara.ma
Iris Sanner est étudiante en Master de Science politique, parcours Politique comparée Afrique Moyen-Orient à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Elle s’intéresse aux questions de mémoires politiques et de rapport à la démocratie en Afrique. Elle est stagiaire en recherche à WATHI.