Bah Traoré
Le 20 novembre 2024, le président de la Transition au Mali, le général Assimi Goïta, a décidé de limoger Choguel Kokalla Maïga de son poste de Premier ministre. Une décision qui n’a pas vraiment surpris, tant les tensions étaient devenues évidentes entre les deux hommes. Choguel Maïga, qui avait longtemps évité de critiquer directement les militaires, s’est finalement montré plus virulent lors d’un meeting le 16 novembre dernier, dénonçant publiquement la gestion de la transition et les nombreux reports des élections.
Dans les jours qui ont suivi le meeting de Choguel Kokalla Maïga, plusieurs mouvements de soutien aux militaires ont organisé des manifestations dans diverses villes du Mali, exigeant son départ. L’annulation du conseil des ministres ordinaire et l’ordre donné aux médias publics de ne plus couvrir les activités du Premier ministre, annonçaient la fin de son séjour à la tête du gouvernement. Malgré ces tensions au sommet de l’État, il était évident que Maïga ne comptait pas démissionner de lui-même, forçant le général Assimi Goïta à prendre cette décision.
Au cours des mois précédents, les premiers signaux de rupture s’étaient fait ressentir. Plusieurs proches de Choguel Maïga avaient été arrêtés pour avoir critiqué le régime militaire. Parmi-eux, Abdel Kader Maïga, un proche de l’ancien Premier ministre, avait été interpellé le 8 mars 2024 après avoir été accusé d’injures publiques contre des figures militaires, notamment le général Abdoulaye Maïga, ministre de l’Administration territoriale. Ce dernier aurait publiquement manqué de respect à Choguel Maïga lors d’un conseil des ministres. Condamné à deux ans de prison, dont un an avec sursis, Abdel Kader Maïga a vu sa peine réduite à quatre mois de prison ferme en appel.
Une autre figure proche de l’ex-Premier ministre, Boubacar Karamoko Traoré, avait été interpellé le 27 mai 2024, après la publication d’un mémorandum critiquant la gestion militaire de la transition. Ce dernier a été accusé d’« atteinte au crédit de l’État » au nom du Mouvement du 5 juin – Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP).
Jusqu’ici, Choguel Maïga avait évité de s’en prendre directement les militaires, privilégiant une approche prudente et indirecte. Cependant, l’accumulation de frustrations, son isolement au sein du gouvernement et les critiques dirigé vers lui l’ont finalement poussé à rompre son silence. Lors de son dernier meeting, il a brisé le silence avec des critiques virulentes, qui ont resonné comme une déclaration de guerre politique. Ce discours a marqué une rupture claire avec sa retenue habituelle et a précipité son éviction, par un pouvoir militaire qui n’attendait que cela pour le limoger.
Fin d’une alliance fragile et opportuniste
La relation entre Choguel Maïga, Premier ministre de la transition malienne, et les militaires au pouvoir reposait davantage sur une alliance d’opportunités que sur une véritable convergence politique. Derrière les apparences d’une union solide se cachaient de profonds désaccords et des tensions latentes. En réalité, Choguel Maïga, malgré son poste de chef de gouvernement, ne contrôlait ni son gouvernement ni les grandes décisions de l’État. Depuis le second coup d’État de mai 2021, il était évident que les militaires avaient l’intention de contrôler le pouvoir.
Dans un contexte de tensions internes et internationales, il était nécessaire de donner une apparence civile à la transition. Le M5-RFP était perçu comme la seule force capable de jouer ce rôle. Apres la nomination de Choguel Maïga en tant que chef de gouvernement, les postes stratégiques du gouvernement ont été essentiellement occupés par des militaires ou leurs proches, limitant considérablement son influence. En juillet 2023, le M5-RFP a vu sa position affaiblie par un remaniement du gouvernement. Plusieurs ministres associés au M5-RFP ont été limogés.
Cela a marqué le début de la rupture du pacte initial qui avait conduit à la formation du gouvernement de transition. Le départ de Choguel met fin à cette cohabitation délicate, laissant désormais les militaires seuls face à la gestion de la transition, un objectif visiblement recherché. Ce changement de configuration place ces derniers devant le défi de faire face aux critiques.
La relation entre Choguel Maïga, Premier ministre de la transition malienne, et les militaires au pouvoir reposait davantage sur une alliance d’opportunités que sur une véritable convergence politique. Derrière les apparences d’une union solide se cachaient de profonds désaccords et des tensions latentes. En réalité, Choguel Maïga, malgré son poste de chef de gouvernement, ne contrôlait ni son gouvernement ni les grandes décisions de l’État
Durant son séjour à la primature, Choguel Kokalla Maïga occupait une position délicate mais stratégique. Il agissait comme un bouclier pour le régime, absorbant les critiques de la population et les frustrations de la classe politique et de la société civile. Ce rôle permettait de protéger le président de la transition et les autres responsables militaires des vagues de contestation. Les griefs qui visaient Choguel servaient à détourner l’attention des faiblesses de la gouvernance militaire.
Cependant, son départ laisse les militaires directement exposés à ces pressions. Désormais, ils ne pourront plus compter sur une figure politique ou civile pour amortir les tensions sociales et politiques croissantes. Dans un cadre économique et social particulièrement difficile, marqué par une inflation galopante, une insécurité persistante et des attentes populaires élevées, les militaires devront gérer ces défis de manière directe.
Sous Choguel Maïga, les militaires ont progressivement consolidé leur pouvoir. Cette mainmise s’est opérée au détriment d’autres acteurs politiques et de la société civile. Bien que Choguel Maïga n’ait pas toujours été consulté sur les décisions majeures, il s’est montré loyal envers les militaires, leur offrant un soutien précieux. Il a réussi à donner un habillage idéologique aux différentes actions prises par les militaires sur le plan national, régional et international, afin de faire accepter à une large partie de la population, certaines décisions impopulaires.
Toutefois, cette consolidation du pouvoir s’est accompagnée d’une marginalisation systématique des voix dissidentes, qu’elles proviennent des opposants politiques ou de la société civile ou même de la presse. Cette approche a réduit la crédibilité d’une transition pourtant annoncée comme inclusive. Par ailleurs, Choguel a souvent utilisé sa position pour régler des comptes personnels, en particulier envers ses anciens adversaires politiques, comme les acteurs qui ont été à l’origine de l’avènement de la démocratie en 1991. Il tenait certains d’entre eux pour responsables de la chute de son mentor, le président Moussa Traoré (1968-1991).
L’absence d’un dialogue véritable et inclusif a fini par isoler l’ancien Premier ministre. Lorsqu’il a été nommé à ce poste, Choguel Maïga jouissait d’un soutien relativement large. Ce soutien s’expliquait en partie par son rôle actif dans la chute du régime d’Ibrahim Boubacar Keïta en août 2020. Son incapacité à dialoguer efficacement avec la classe politique, la société civile et même avec les membres du Mouvement du 5 Juin – Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP), dont il était issu, a fragilisé sa position.
Le M5-RFP est devenu un mouvement fracturé, divisé en factions qui ont des visions et des objectifs différents. Certaines factions, notamment celles proches de Choguel Kokalla Maïga, critiquent ouvertement les autorités militaires au pouvoir, tandis que d’autres soutiennent les militaires. Les promesses initiales de réconciliation et d’ouverture ont laissé place à une gouvernance militaire
Une gouvernance de plus en plus controlée par les militaires
Le départ de Choguel Maïga est passé presque inaperçu, tant chez ses anciens alliés politiques que dans l’opinion publique. Il s’était progressivement isolé, incapable de rassembler autour de lui, même au sein de son propre camp. Cette indifférence reflète une certaine frustration contre sa gestion. Tout au long de son mandat, Choguel a manqué de cette assise indispensable, ce qui a contribué à son isolement et, finalement, à son limogeage. Le moment choisi pour écarter Choguel Maïga soulève des interrogations. Deux explications principales sont envisageables. La première hypothèse est que les militaires, qui détiennent le pouvoir réel, ont décidé de se débarrasser de lui.
Ses critiques ouvertes et de plus en plus fréquentes en faisaient un allié difficile à gérer. En le limogeant, ils renforcent leur contrôle sur le gouvernement et éliminent le visage civil de la transition. La seconde hypothèse est que Choguel lui-même aurait cherché à être écarté sans démissionner. Ses déclarations critiques envers les militaires semblaient délibérées. Qu’il s’agisse d’une décision des militaires ou d’une stratégie personnelle, ce départ traduit des tensions profondes au sein de la transition.
Choguel Maïga pourrait tenter de se positionner comme une voix critique des militaires au pouvoir. Mais ce chemin est semé d’embûches. La scène politique malienne est très divisée et fragilisée ne favorisant pas l’émergence d’une opposition cohérente dans ce contexte difficile. Ensuite, Choguel devra lui-même faire face à des questions sur sa crédibilité. Ayant défendu, pendant plusieurs années, les décisions de la transition qu’il pourrait désormais critiquer, il s’expose à des risques de poursuites judiciaires, ainsi qu’ à une dégradation de son image et à une perte d’influence auprès de la population.
Le départ de Choguel Maïga est passé presque inaperçu, tant chez ses anciens alliés politiques que dans l’opinion publique. Il s’était progressivement isolé, incapable de rassembler autour de lui, même au sein de son propre camp. Cette indifférence reflète une certaine frustration contre sa gestion. Tout au long de son mandat, Choguel a manqué de cette assise indispensable, ce qui a contribué à son isolement et, finalement, à son limogeage
La nomination du général Abdoulaye Maïga en tant que Premier ministre illustre la militarisation croissante du pouvoir au Mali. Abdoulaye Maïga, ancien vice-Premier ministre, était connu pour ses différends avec Choguel. Au cours des dernières années, il a réussi à se faire remarquer à travers la lecture de communiqués du gouvernement à la télévision nationale et son intervention à la 77ème session de l’Assemblée générale des Nations Unies, le 24 septembre 2022.
Sa promotion marque une prise de contrôle encore plus nette par les militaires, qui occupent désormais toutes les positions clés du gouvernement. Cette concentration de pouvoir entre les mains de l’armée, écarte encore davantage les civils des processus de décision. La transition, qui se voulait inclusive et participative, semble s’éloigner de ses promesses initiales. Sans consultation, un nouveau gouvernement a été mis en place.
Cela soulève des inquiétudes sur l’avenir de la gouvernance malienne, qui pourrait basculer vers une gestion militaire. Désormais tous les organes de la transition sont dirigés par des militaires. L’un des engagements majeurs des autorités de transition était le retour à l’ordre constitutionnel en mars 2024. Pourtant, à ce jour, aucune date précise n’a été annoncée pour les élections. Ce flou alimente des doutes sur les intentions réelles des dirigeants militaires de céder de sitôt le pouvoir à des civils.
Crédit photo: Impact.sn
Bah Traoré est chargé de recherche à WATHI. Il s’intéresse aux questions politiques et sécuritaires au Sahel. Il anime Afrikanalyste, un site dédié à l’analyse de l’actualité au Sahel. Il a travaillé sur des projets liés à la désinformation et au fact-checking en Afrique de l’Ouest.