Bah Traoré
La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation du Mali (MINUSMA) est présente dans le pays depuis 2013 et compte 13 289 soldats et 1 920 policiers. L’objectif est de stabiliser les principales agglomérations et contribuer au rétablissement de l’autorité de l’État dans tout le pays. Dès le départ, c’était une mission d’interposition entre le gouvernement malien et les mouvements indépendantistes de l’Azawad.
La principale mission stratégique de la MINUSMA est l’appui à la mise en œuvre de l’accord de paix issu du processus d’Alger signé en 2015 entre le gouvernement malien et les groupes armés Touaregs et elle est membre du Comité de suivi de l’accord (CSA), présidé par l’Algérie. Elle intervient également dans la protection des populations et la promotion des droits de l’Homme. Cette force onusienne a la triste réputation d’être la mission de maintien de la paix de l’Organisation des nations unies (ONU) la plus meurtrière au monde. Au moins 298 casques bleus auraient perdu la vie depuis le début de la mission.
Chaque trimestre, un rapport d’évaluation approfondie de la situation politique, sécuritaire et des droits de l’Homme est effectué par le Représentant spécial du Secrétaire général pour le Mali, chef de la MINUSMA. Après une décennie de présence, la protection des populations reste un défi majeur pour la MINUSMA et l’insécurité s’est métastasée dans le pays. Dans un contexte de lutte contre le terrorisme, la force qui au départ était une force d’interposition n’a pas su s’adapter aux réalités du terrain.
Cela s’explique par le fait que l’insécurité dans le pays a trait à la présence des groupes armés terroristes sur une bonne partie du territoire. Lors du forum de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique qui s’est tenu les 6 et 7 décembre 2021, le président sénégalais Macky Sall remettait en cause l’efficacité des opérations de maintien de la paix des Nations Unies en Afrique et les règles d’engagement. Les autorités maliennes n’ont de cesse de demander un mandat plus robuste pour la force onusienne depuis quelques années.
Il existe un décalage entre les attentes de la population à l’égard de la MINUSMA et ce que la force onusienne est habilitée à faire. Ce qui révèle la méconnaissance des missions stratégiques de la MINUSMA par beaucoup de maliens
Après l’adoption par le Conseil de sécurité, de la résolution 2640, renouvelant le mandat de la MINUSMA pour une nouvelle année en juin 2022, l’appui à la transition politique est devenu également l’une des priorités stratégiques de la MINUSMA. Le gouvernement du Mali avait fait savoir qu’il n’appliquera pas certaines dispositions notamment la facilitation des enquêtes de la MINUSMA sur les droits de l’Homme dans les zones d’opérations militaires.
Plusieurs manifestations avaient eu lieu par le passé dans plusieurs localités du Mali pour demander le retrait de la MINUSMA jugée inefficace par une partie de la population. Il existe un décalage entre les attentes de la population à l’égard de la MINUSMA et ce que la force onusienne est habilitée à faire. Ce qui révèle la méconnaissance des missions stratégiques de la MINUSMA par beaucoup de maliens.
À quelques semaines de la discussion en vue du renouvellement du mandat par le Conseil de sécurité des Nations Unies, la question divise les maliens. Plusieurs organisations de la société civile et de soutien aux autorités de transition ont organisé une manifestation le 28 avril dernier à Bamako pour demander le départ de la MINUSMA. Le lendemain, c’était autour de Gao de rentrer dans la danse pour cette fois demander son maintien. Le départ brusque de la MINUSMA laissera certainement un vide sécuritaire et social en raison de l’importance que cette dernière a sur ces deux volets.
La MINUSMA mène des patrouilles régulières au centre et au nord du pays dans ces localités. La MINUSMA apporte de l’assistance aux populations locales et participe à la fourniture des services sociaux de base, ce qui peut s’apparenter à une substitution de l’État. Elle a créé des centaines d’emplois directs et indirects et relie les principales villes du nord et Bamako par voie aérienne qui reste la voie la plus sûre.
Les tensions avec le gouvernement
Les questions de droits de l’Homme sont l’un des sujets de discorde avec les autorités de transition. Plusieurs rapports de la direction des droits de l’Homme accusent l’armée malienne de commettre des exactions contre des civils dans le cadre des opérations militaires dans le centre du pays. Dans le cadre d’une opération de grande envergure contre le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) du 27 au 31 mars 2022 à Moura dans le centre du pays, l’État-Major général des armées affirmait la neutralisation de 203 terroristes.
Certaines organisations de défense des droits de l’Homme notamment Amnesty International et Human Right Watch incriminaient les Forces armées Maliennes (FAMa) d’exactions présumées. La MINUSMA a commencé à subir des obstructions de la part des autorités maliennes à travers une zone d’exclusion aérienne et par rapport à l’enquête indépendante sur les exactions de Moura réclamée par plusieurs organisations des droits de l’Homme et la communauté internationale.
Le départ brusque de la MINUSMA laissera certainement un vide sécuritaire et social en raison de l’importance que cette dernière a sur ces deux volets
Deux hauts cadres de la MINUSMA ont été expulsés du Mali. Il s’agit de Olivier Salgado, ancien porte-parole de la MINUSMA et Guillaume Ngefa, directeur de la division des droits de l’Homme. En juillet 2022, 49 militaires ivoiriens sont arrêtés à l’aéroport de Bamako en provenance de la Côte d’Ivoire pour mercenariat avant d’être reconnus coupables par la justice malienne et puis graciés par le président de la transition. Cette affaire avait provoqué de vives tensions entre le Mali et la Côte d’Ivoire. Dans un tweet, Olivier Salgado a affirmé qu’ils étaient sur le sol malien dans le cadre des Éléments nationaux de soutien (NSE), des effectifs nationaux déployés par les pays contributeurs de troupes, en soutien à leurs contingents.
Cette sortie a été immédiatement suivie par la suspension temporaire de toutes les rotations des contingents militaires et policiers de la MINUSMA. En février 2023, c’était le tour de Guillaume Ngefa d’être expulsé pour ses agissements déstabilisateurs subversifs en violation des principes et obligations des fonctionnaires des Nations unies. Le gouvernement lui a reproché d’avoir sélectionné des usurpateurs s’arrogeant le titre de représentant de la société civile malienne, en ignorant les autorités et les institutions nationales au cours des sessions du Conseil de sécurité de l’ONU sur le Mali.
Dès le renouvellement du mandat en juin 2022, le Mali s’était opposé à la liberté de mouvement de la MINUSMA dans le cadre des enquêtes sur les droits de l’Homme. Malgré cette opposition, les rapports de la MINUSMA continuent d’incriminer les forces armées maliennes. Ngefa était dans le viseur des autorités de transition car les rapports de sa division remettaient en cause les succès de l’armée malienne.
Des retraits annoncés par certains pays contributeurs de troupes
Le retrait de l’opération Barkhane a paralysé la MINUSMA car elle bénéficiait du soutien aérien et logistique de l’opération française. Les tensions diplomatiques entre Paris et Bamako rendent davantage difficiles les missions de patrouille, très dépendantes des troupes françaises. Les règles nouvelles de rotation et les difficultés de mouvement auxquelles la MINUSMA est confrontée laisse planer le doute quant à l’opportunité pour plusieurs pays de rester engagés. Plusieurs pays ont annoncé leur retrait.
Ces retraits progressifs auront un impact sur la situation sécuritaire déjà délétère dans la région. Ce n’est pas avec des défections qu’il y aura une amélioration de la situation
Ces retraits risquent de compromettre la mission. Les 140 policiers et les 250 militaires vont se retirer d’ici novembre 2023. Le pays fait face à des menaces terroristes au niveau de ses frontières avec le Burkina Faso. Face à cette situation, le gouvernement béninois estime que toutes les compétences humaines, matérielles et logistiques requises sont nécessaires pour contrer la menace. La Côte d’Ivoire aussi a décidé de se retirer. Même si officiellement aucun motif n’est avancé par les autorités ivoiriennes, les relations entre les deux pays se sont détériorées avec l’affaire des 49 militaires ivoiriens.
L’Égypte, l’un des plus grands contributeurs de troupes, avait suspendu depuis juillet 2022 sa participation à la MINUSMA pour des raisons sécuritaires. Cette décision a été motivée par l’attaque de son contingent en début d’année 2022 et qui a coûté la vie à 7 soldats. Certains pays occidentaux comme la Grande Bretagne ou encore l’Allemagne se retirent à cause de la présence russe : Wagner. Ces retraits progressifs auront un impact sur la situation sécuritaire déjà délétère dans la région. Ce n’est pas avec des défections qu’il y aura une amélioration de la situation.
L’ONU devra se pencher sur trois options évoquées dans le rapport interne du Secrétaire général des Nations Unies publié en janvier dernier. L’ONU prévoit une augmentation de l’effectif des casques bleus à laquelle, Bamako n’est pas favorable tant que la MINUSMA n’est pas dotée d’un mandat offensif de lutte contre le terrorisme. Une reconfiguration de la MINUSMA et pour la première fois, le retrait des forces militaires au sein de la MINUSMA n’est pas à écarter. Ce serait une alternative à une éventuelle décision des autorités maliennes de ne pas prolonger le mandat de la MINUSMA. Il resterait dans ce cas, une mission politique afin de superviser la mise en œuvre de l’accord qui est la principale mission de la MINUSMA. Toutefois, Bamako a les cartes en main et devra trancher une question qui divise dans les prochaines semaines.
Crédit photo : Seneplus
Bah Traoré est chargé de recherche à WATHI. Il est passionné de communication et s’intéresse aux questions politiques et sécuritaires au Sahel. Il anime Afrikanalyste, un site dédié à l’analyse de l’actualité au Sahel. Il a travaillé sur des projets liés à la désinformation et au fact-checking en Afrique de l’Ouest.