Godfried Adetiba
Il est un secret de polichinelle que le Bénin, dit modèle démocratique, traverse une zone de turbulence à l’occasion des élections législatives devant consacrer l’installation de la huitième législature depuis l’avènement du nouvel ordre constitutionnel ayant mis fin à 17 années d’autocratie. Pour la première fois, il est probable que des élections aient lieu avec une offre politique restreinte par la non-participation apparemment non consentie d’une partie de la classe politique qui se réclame de l’opposition.
Si ce fait de restriction du semblant de diversité apparente de l’offre politique paraît inédit depuis l’historique conférence nationale qui a permis de renouer avec le processus démocratique, le cocktail incestueux et déprimant de pratiques d’élites politiques et administratives abusées/désabusées auquel il a donné lieu n’est pas nouveau : dilatoire politicien, juridisme partisan, fourvoiement des “sachant” et hypocrisie élitiste. En somme, une concurrence des gourous qui dure depuis des décennies.
Un système politique infecté et infesté
En observant le système politique béninois depuis au moins le début des années 90 et les acteurs qui l’animent, il y a comme une endémie d’amoralité. En effet, les citoyens sont habitués aux écarts vertigineux entre les nobles principes défendus par les uns ou les autres et les actes qui sont posés lorsque ces mêmes personnes se retrouvent en possession d’une parcelle de pouvoir pour exercer la discrétion de la décision politique ou publique.
La démocratie électorale, dont chaque Béninois se réjouit, donne en réalité lieu à une alternance entre de bonnes intentions et des discours qui font sens et une action politique et publique déplorables. Tout porte à croire qu’il n’y a pas dans le fond de différences intrinsèques entre les uns et les autres qui portent les discours en situation de « disette politique » ou qui portent l’action politique/publique en situation de « moisson politique ».
La compétition politique en réalité ne se trouve pas au niveau de la semence de qualité. En réalité, le système politique semble avoir été structuré pour favoriser une lutte pour cueillir des fruits dont les semences ont été enfouies à la conférence nationale en 1990 et qui poussent au gré du climat politique. Un ingrédient essentiel de ce climat a souvent été les vents de victimisation que portent les pluies d’émotion qui s’abattent sur les citoyens. Beaucoup de politistes s’accordent en effet à reconnaitre que les alternances démocratiques que le Bénin a connues sont le fruit du rejet d’un régime plutôt que d’une adhésion à une offre politique.
En observant le système politique béninois depuis au moins le début des années 90 et les acteurs qui l’animent, il y a comme une endémie d’amoralité
Que l’on soit pour ou contre les réformes jumelles du système partisan et du code électoral qui bouleversent profondément le paysage politique, qu’il y ait ou non des ambiguïtés dans les dispositions prévues dans ces lois, que les institutions y compris l’administration publique aient été impartiales ou pas dans le traitement des dossiers des partis politiques, le processus électoral législatif a édifié le citoyen sur l’irresponsabilité déconcertante des élites politiques.
Les remarques factuelles relevées par le ministère de l’Intérieur ne peuvent que rendre le citoyen inquiet sur la capacité et les aptitudes réelles de ces aspirants-leaders politiques à gouverner tout court. Comment penser que des partis politiques incapables de mettre en place une organisation minimale pour remplir des conditions administratives élémentaires soient capables de gouverner la cité ?
L’un des corollaires du système politique infecté est l’émergence de faux modèles
Des confusions sur des actes administratifs élémentaires, incapacité à trier des dossiers, recours à des mineurs, paresse pathologique pour se conformer à des textes qu’ils se sont donnés… Tels des cafards tapis dans l’obscurité enthousiasmés lorsqu’une lumière subite jaillit, nos politiciens n’étaient pas préparés à un travail un peu plus regardant de l’administration. On peut continuer à débattre des motivations politiques ayant conduit à révéler ces manquements basiques et s’accommoder du dilatoire politicien habituel. Personnellement, j’en retiens que l’administration publique dispose des capacités pour délivrer un service public avec un minimum de sérieux et de qualité.
Des faux modèles politiques
L’un des corollaires du système politique infecté est l’émergence de faux modèles. En effet, dès les premiers moments de notre vie démocratique nouvelle, était apparue dans le vocabulaire du dilatoire politicien l’idée selon laquelle la « bûche ne saurait se fâcher contre la rivière ». Cette phrase traduit la conception que nos élites ont du pouvoir et de la compétition politiques.
Il ne s’agirait pas d’une bataille d’idées, ni de positions partisanes guidées par des idéologies, principes moraux ou éthiques, notamment pour défendre un certain idéal politique. Mais il s’agit de prendre part ou non au partage du gâteau au risque de mourir affamé. Que des élites ayant exprimé et entretenu des pratiques corroborant cette désolation en viennent à redécouvrir subitement l’intérêt général et le sens du bien commun me parait profondément suspect. Mais, puisqu’il s’agit de rêver un avenir radieux pour le Bénin, il faut espérer qu’il s’agisse d’une repentance à un moment où l’accès aux fruits des semences de 1990 est devenu sélectif et restrictif. En réalité, la crise pré-électorale appelle à un renouvellement des semences pour l’avenir.
La repentance des porteurs des faux modèles devrait aussi se concilier avec une rupture dans la manière dont les hommes se renouvellent au sein du système politique. J’ai été bien souvent abasourdi de voir le changement de discours et de posture de gens ayant pourtant milité pendant des décennies et consenti d’énormes sacrifices pour un idéal. Pour certains, il a suffi qu’ils changent de démarche dans leur engagement pour paraître méconnaissables.
Que des élites ayant exprimé et entretenu des pratiques corroborant cette désolation en viennent à redécouvrir subitement l’intérêt général et le sens du bien commun me parait profondément suspect
Est-il possible de faire semblant dans l’engagement pour servir un idéal et porter des valeurs pour lesquelles il a fallu risquer sa vie pendant 20, 30 ans ? Ou s’agit-il d’une infection dont il faut espérer que les contaminés guérissent sans que leur valeur intrinsèque n’ai été entachée ? Ou encore s’agit-il de faire semblant de souffrir de l’infection alors même qu’on a pris soin de se faire vacciner afin d’être accepté par les semblables et d’opérer des changements de l’intérieur du système ? Dans ce cas, pourrait-on alors généraliser ce remède pour préserver la contamination des nouveaux entrants ? Il me semble qu’essayer d’apporter des réponses à ces questions contribuerait à repenser le système politique dans le sens d’un minimum de vertu.
A contrario, une partie du renouvellement des hommes se fait avec des personnes dont le parcours douteux ne prête à aucune confusion. Est-ce qu’il est possible d’espérer que des gens ayant magouillé dans la gestion d’associations estudiantines dont ils avaient la charge se muent en acteurs politiques vertueux ? L’émergence de ces acteurs dans le système politique ainsi que celle des élites administratives suscite en soi un doute sur la capacité du système politique à promouvoir le bien commun.
Il faut reconnaître que certaines réformes initiées visent à apporter des réponses partielles. Par exemple, la mise en place d’un répertoire pour la nomination d’agents intervenant dans la chaîne des finances publiques à travers un processus incluant l’enquête de moralité est à saluer. La volonté de dépolitiser certains lieux de prises de décision tels que la mise en place du Conseil national de l’éducation est aussi une posture de rupture dans la perpétuation des pratiques politiques au détriment de l’intérêt général.
La duplicité des « sachants »
Le vocable « sachant » a été abondamment repris dans la crise inédite que traverse le Bénin à l’occasion de ces législatives. Dans la posture d’éclaireurs du politique, ils ont envahi les médias traditionnels et modernes pour préciser et repréciser leurs pensées. S’il faut être heureux que des universitaires s’emparent des questions vitales du vivre ensemble pour formuler des solutions d’amélioration, il y a eu aussi comme une duplicité dans certaines postures. Notamment, lorsqu’il devient difficile de dissocier le « sachant » du partisan.
Est-ce qu’il est possible d’espérer que des gens ayant magouillé dans la gestion d’associations estudiantines dont ils avaient la charge se muent en politiques vertueux ?
Comment s’assurer que les positions exprimées sont neutres et ne véhiculent pas une vision politique partisane? Comment continuer à considérer comme crédibles les recettes d’un universitaire censé éclairer l’opinion mais qui appelle à la “résistance des forces de gauche” ? Comment accorder de la crédibilité à des “sachants” dont les discours tranchent avec des analyses publiées dans des ouvrages dont ils sont auteurs ?
Personnellement, la facilité des jugement de valeur à laquelle les universitaires s’adonnent me rend méfiant de la validité scientifique de leurs propositions. Peut-être faut-il espérer qu’en assumant effectivement son rôle, le Conseil national de l’éducation parviendra-t-il à introduire plus de lisibilité dans le rôle des universitaires.
Une fois encore, comme ce fut déjà le cas à plusieurs reprises, la situation politique pré-électorale met en exergue l’urgence de repenser la sortie de cet engrenage politique inefficient dans lequel végète le Bénin au nom de la préservation d’un « modèle démocratique » appauvrissant et indigne.
Source photo : voaafrique.com