Aïcha Yatabary
La question de la dépigmentation de la peau chez les femmes noires n’est pas une thématique nouvelle. Elle ne l’est pas chez les hommes noirs non plus. En Afrique, un grand nombre de personnes utilisent des produits décapants pour blanchir leur épiderme. Malheureusement, la dépigmentation de la peau et le culte de la blancheur ne se limitent pas à l’Afrique. Ce sont des phénomènes universels. Des Africaines de la diaspora, des Afro-américaines, des Indiennes, et même des Japonaises, pour ne citer que celles-là, se livrent à la dépigmentation et à des rituels pour accentuer la blancheur de leur peau. Pour en revenir à l’Afrique, cette problématique a été dénoncée à maintes reprises par des écrivains, des médecins, des sociologues, des artistes et des personnalités publiques.
Ces personnes se sont attardées, en majorité, sur les causes de la pratique en Afrique, citant les contraintes sociales comme les critères esthétiques de certains hommes ayant une préférence pour les femmes de peau claire. Un certain complexe d’infériorité par rapport à l’homme blanc, le faible niveau d’éducation, le plus souvent, des adeptes de la dépigmentation volontaire de la peau, abordent souvent la question sous un angle moralisateur. Aujourd’hui, ce que je voudrais proscrire, c’est ce ton moralisateur et ce doigt accusateur que l’on pointe sur les adeptes de la dépigmentation volontaire de la peau. Ces femmes, ces hommes, je voudrais me mettre à leur place. Je voudrais leur faire connaître les dangers réels de cette pratique, leur dire comment elle porte préjudice à leur humanité.
Des Africaines de la diaspora, des Afro-américaines, des Indiennes, et même des Japonaises, pour ne citer que celles-là, se livrent à la dépigmentation et à des rituels pour accentuer la blancheur de leur peau
La question de la dépigmentation de la peau des femmes (puisque ce sont les premières concernées) met en avant celle des rapports de force entre hommes et femmes dans nos sociétés africaines modernes. La problématique de la vulnérabilité socio-économique de la femme, celle de la féminisation de la pauvreté qui va sans cesse croissant, comme le soulignent les spécialistes des questions de genre en Afrique, celle de l’instruction et de l’éducation de la femme, sont au cœur du débat. Celle des préjugés sociaux aussi.
Que peut une femme peu instruite (donc connaissant mal les effets secondaires de la dépigmentation volontaire de la peau sur sa santé), vulnérable au niveau économique et dépendante financièrement de son conjoint, son partenaire, face à certains préjugés véhiculés par la société? Préjugés qui veulent, par exemple, que la femme à la peau éclaircie, décapée, ou naturellement claire, soit plus belle que la femme à la peau d’ébène ? Que peut une femme instruite et ayant une certaine indépendance financière, qui pense qu’avec une peau plus claire elle attirera plus aisément un partenaire, un conjoint?
Ce sont donc tous les piliers de notre société que nous devons repenser, et cesser par la même occasion de pointer du doigt ces femmes qui choisissent la décoloration de la peau
Ce sont donc tous les piliers de notre société que nous devons repenser, et cesser par la même occasion de pointer du doigt ces femmes qui choisissent la décoloration de la peau. Il faudrait que nous arrivions à un niveau de compréhension où, les femmes, bien informées des problèmes de santé inhérents à la dépigmentation (dommages cutanés, hypertension artérielle, diabète, altération du système immunitaire, mise au monde d’un enfant au faible poids, addiction, pour les corticoïdes, risque de cancer et d’altération de la peau pour l’hydroquinone), comprennent aussi que c’est leur peau d’ébène sublimée qui augmentera leur potentiel de séduction, et non le passage à une peau aux divers coloris, abîmée et altérée.
C’est lorsque les femmes se rendront compte que les nuances, les pigments évoquant le café, le cacao, mais aussi le bois d’Oud et l’ébène, sont sources d’émotion esthétique, que cessera le phénomène de torture de la peau noire. Lorsqu’elles comprendront que rien ne vaut la nuance d’une étoffe pourpre sur une peau noire, que rien ne vaut un camaïeu de bleu sur un corps d’ébène, des pigments dorés sur une peau foncée, que cessera cette torture de la peau noire. C’est lorsque les femmes et les hommes noirs comprendront que la couleur noire n’est inférieure à aucune autre, que cessera la maltraitance de leur peau.
C’est lorsqu’ils seront instruits de tous les combats menés avant eux pour reconnaître à l’homme noir le statut d’être humain à part entière, qu’ils cesseront de mutiler leur peau noire
Quand ils sauront qu’aucune couleur de peau n’est supérieure à une autre. C’est lorsque ceux qui pratiquent la dépigmentation volontaire de la peau, seront instruits à leur juste mesure, des désastres que cette pratique cause sur leur santé, qu’ils cesseront d’ « acheter » eux-mêmes les diverses maladies citées plus haut. C’est lorsqu’ils seront instruits de tous les combats menés avant eux pour reconnaître à l’homme noir le statut d’être humain à part entière, qu’ils cesseront de mutiler leur peau noire.
Savent-ils que c’est parce qu’un certain Toussaint Louverture, né esclave lui-même, s’est révolté contre l’esclavage, lui et tant d’autres activistes de cette cause, qu’aujourd’hui l’homme noir naît libre et égal en droits avec les autres versants de l’humanité ? Savent-ils seulement que c’est parce l’écrivain martiniquais Aimé Césaire, et d’autres chantres de la dignité de l’homme noir, ont mené une lutte de longue haleine contre le «meurtre spirituel» qu’était la colonisation, que nous pouvons nous prévaloir à présent du statut d’êtres dotés de culture?
Hélas, après tous ces siècles de combat acharné pour la restauration de notre dignité, aujourd’hui, l’Homme noir dépense des sommes extravagantes pour correspondre à l’image de l’ancien colon
Hélas, après tous ces siècles de combat acharné pour la restauration de notre dignité, aujourd’hui, l’Homme noir dépense des sommes extravagantes pour correspondre à l’image de l’ancien colon. C’est pour cela que j’affirme que le vrai combat à mener pour affranchir l’homme africain du déchirement profond qui le transfigure, demeure idéologique. Nous devons, aujourd’hui, trouver la formule pour affirmer notre identité, tout en puisant dans l’universalité. Nous devons nous y atteler car, comme le poète et ancien président sénégalais Senghor l’a souvent affirmé, sans notre révolution culturelle, point d’indépendance politique et économique possibles. Pour tout cela, j’affirme haut et fort: je ne blanchirai pas ma peau.
Cette tribune a déjà été publiée sur le blog de Madame Aïcha Yatabary http://aichayatabary.over-blog.com/
Source photo : lepointsur.com
Aïcha Yatabary est écrivain, médecin, et engagée dans l’action humanitaire. Elle est la présidente du mouvement Femmes santé solidarité internationale. Elle est l’auteur du roman «Le banquet des marabouts».
1 Commentaire. En écrire un nouveau
Je viens de lire avec une grande attention votre article. Je le trouve intéressant surtout le ton avec lequel vous abordez la question de la dépigmentation de la peau. J’aurais souhaité que vous proposer le comment lutter contre la pratique devenue exponentielle qui touche les riches tout comme les pauvres, lettrés et les illettrés, tout le monde. Je pense que le politique devra véritablement s’impliquer dans cette lutte contre le blanchiment de la peau car il est un problème de santé publique mais aussi un question d’identité et d’acceptation de soi.