Tity Agbahey et Mawli Dayak
Une journée et demi que nous roulions. Nous sommes à Abalak, à plus de 700 km de Niamey. Plus que 250 km avant la légendaire ville d’Agadez, notre destination. Un long trajet parcouru en voiture ; le charme d’un itinéraire qui offre de découvrir la diversité culturelle, pittoresque et architecturale du pays au fur et à mesure qu’on parcoure les 1000 km qui séparent la capitale du Niger d’Agadez. Quelques check points sans véritable contrôle sur la route, jusque-là. Puis Abalak.
Pour la première fois nous nous arrêtons réellement. La police nous fait descendre, nous sommes confrontés à des interrogations surprenantes après avoir présenté nos pièces d’identité. Une petite fouille puis des questions poussées. Nous devons prouver que notre destination finale est bien Agadez, la ville du centre du pays, autrefois réputée pour ses attraits touristiques et dont la situation géographique et un agenda politique européen ont désormais fait le synonyme malheureux de l’immigration clandestine.
Le Niger n’a pas à aller chercher bien loin, il a tout ce qu’il faut, une potentielle manne financière et un formidable instrument de paix et de stabilité qui n’attend que d’être exploité de nouveau : le patrimoine touristique
Nous, une Togolaise et un Nigérien, devons prouver qu’en dépit de toute vraisemblance nous faisons du tourisme chez nous, en Afrique de l’Ouest. Et que non, la Togolaise n’est pas une candidate à l’immigration clandestine, que le Nigérien n’est pas un « passeur ». Peut-être en avons-nous l’air. Après avoir donné les preuves que si nous sommes migrants (après tout, la migration est un droit) nous n’avions pas l’intention d’aller plus loin que l’Aïr et le Ténéré, loin de l’Algérie, de la Libye et du soi-disant eldorado européen, la police locale, faisant le travail qui lui a été imposé, nous remet une fiche d’informations que tout « migrant » de passage doit remettre au poste d’entrée d’Agadez.
Nous, une Togolaise et un Nigérien, devons prouver qu’en dépit de toute vraisemblance nous faisons du tourisme chez nous, en Afrique de l’Ouest
Au bout de notre longue route, apparait Agadez. Enfin. Agadez, ville mythique aux portes du plus beau désert au monde. Ville carrefour entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne, étape privilégiée du rallye Paris-Dakar originel, ville immensément racontée mais éternellement pudique et insaisissable, comme ce désert qu’elle garde jalousement.
Mais la région, autrefois joyau du tourisme, paie depuis plusieurs années une situation sécuritaire qui s’est dégradée et surtout un classement en « zone rouge » par la plupart des chancelleries occidentales après l’enlèvement en 2010 de travailleurs de la société Areva à Arlit. La mort du colonel Khaddafi en 2011 et l’immense déferlement d’armes et de combattants qui s’en est suivi dans la région sahélienne a davantage fragilisé le business du tourisme au Niger. Agadez est désormais considérée infréquentable pour les occidentaux, déconseillée aux voyageurs.
Avec plus de 1,3 milliards de personnes ayant voyagé à travers le monde en 2017, à une époque qui connait de nombreux foyers de tension, le tourisme est l’un des secteurs les plus résilients qui soient
Malgré les efforts et investissements considérables des autorités nigériennes par, notamment, l’adoption d’une approche holistique qui allie aspect sécuritaire et économique, le pays fait face à de graves difficultés conjoncturelles et doit régler la nécessité pressante de trouver de nouvelles réponses à ses défis. Le Niger n’a pas à aller chercher bien loin, il a tout ce qu’il faut, une potentielle manne financière et un formidable instrument de paix et de stabilité qui n’attend que d’être exploité de nouveau : le patrimoine touristique.
La seule région d’Agadez recèle de ressources touristiques uniques et offre un panel de possibilités de développement extraordinaires. Au sein de l’économie nigérienne, ce secteur intimement lié à celui de l’artisanat d’art et de la culture a représenté par le passé plus de 10 % du PIB, employant et faisant vivre des centaines de milliers de personnes. En 2006, les seules arrivées de touristes comptabilisées à l’aéroport international d’Agadez (environ 5 000) auraient rapporté près de 9 milliards de Francs CFA à l’économie locale. Des résultats qui auraient pu être plus importants avec un investissement et la promotion du secteur plus prononcés dans d’autres régions du pays.
L’amélioration de la situation sécuritaire est un préalable au retour du tourisme, aiment à dire les nombreux experts -réels et improvisés- du Sahel. Certes le Niger contrôle peu ou difficilement ses frontières avec le Mali empêtré dans une crise depuis 2012, et le Nigeria, en proie aux insurgés de Boko Haram. De plus le territoire nigérien même par les régions de Diffa et Tillabéry est en proie aux attaques terroristes. Mais la région d’Agadez particulièrement visée par les consignes défavorables aux voyageurs est surtout sujette au développement d’une délinquance liée à la pauvreté, qui reste en termes de statistiques inférieure à beaucoup d’autres régions du Niger ou pays touristiques dans le monde. On a moins de chance de se faire agresser ou tuer à Agadez qu’à Paris ou à Brooklyn.
La région, autrefois joyau du tourisme, paie depuis plusieurs années une situation sécuritaire qui s’est dégradée et surtout un classement en « zone rouge » par la plupart des chancelleries occidentales après l’enlèvement en 2010 de travailleurs de la société Areva à Arlit
Les mêmes experts, nombreux depuis la crise au Mali, depuis le confort de leurs bureaux à Londres, à Paris, à Bruxelles, à New York ou à Dakar reconnaissent aussi que la majorité de ces groupes terroristes remplissent les vides laissés par les Etats et offrent des alternatives à une jeunesse désœuvrée et frustrée. Il faut un large éventail de solutions et aucun pays de la région ne peut aujourd’hui faire l’économie d’une refonte complète de sa base sociale, de ses valeurs et des chances qu’il offre (ou n’offre pas) de manière équitable à chacun de ses citoyens, mais s’il y a un début de solution que le tourisme pourrait offrir c’est bien l’emploi et des retombées économiques directes.
Avec plus de 1,3 milliards de personnes ayant voyagé à travers le monde en 2017, à une époque qui connait de nombreux foyers de tension, le tourisme est l’un des secteurs les plus résilients qui soient, qui demeure l’un des rares à avoir connu une croissance constante et ininterrompue depuis plus d’une décennie au niveau mondial. Elle est plus forte que celle du commerce de marchandises depuis 5 années. Il emploie plus d’une personne sur 10 à travers le monde et est le troisième produit d’exportation devant l’automobile et l’industrie alimentaire. Il est même la première catégorie d’exportation dans de nombreux pays en développement.
Le Niger peut d’abord et avant tout miser sur ses voisins. Les jeunes (ouest) africains du continent et de la diaspora qui montrent un regain d’intérêt pour les richesses du continent et ont pour beaucoup les moyens financiers de leurs ambitions
Cette résilience et ces atouts économiques sont des avantages sur lesquels le Niger peut s’appuyer afin de faire du tourisme l’un des moteurs clés de son développement, comme outil unique en matière de transformation et de diversification économique. Si l’Afrique a été des années 90 à aujourd’hui la région touristique qui a connu la croissance la plus rapide au monde en termes de visiteurs, en revanche les investissements dans les voyages et le tourisme ne représentent que 6,2 % de l’investissement total en 2016.
Comme le soulignait il y a peu le président du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), « le tourisme est le chaînon manquant dans le programme de transformation de l’Afrique ». Le continent possède un potentiel touristique extraordinaire et devra croire aux prévisions de croissance pour le secteur : 1,8 milliards d’arrivées de touristes internationaux en 2030, dont près de 60 % à destination d’économies émergentes. Ces perspectives ont besoin d’une prise de conscience des décideurs africains notamment, qui enthousiasmera les populations.
Pour cela, le Niger peut d’abord et avant tout miser sur ses voisins. Les jeunes (ouest) africains du continent et de la diaspora qui montrent un regain d’intérêt pour les richesses du continent et ont pour beaucoup les moyens financiers de leurs ambitions. Néo-panafricanistes, expatriés, « repat » pour beaucoup, les jeunes africains n’ont jamais été aussi bouillonnants d’idées novatrices et d’une volonté tenace d’être des acteurs de changement dans leur propre pays. Ils sont sans aucun doute le moteur par lequel le continent atteindra son agenda de développement pour « l’Afrique que nous voulons ». C’est là un vivier dans lequel tous les pays africains, particulièrement le Niger, ont tout intérêt à investir.
Parce que nous voulons d’ici à 2063, une Afrique où les armes se seront tues, une Afrique sûre d’elle de par son identité, son patrimoine, sa culture et ses valeurs partagées et partenaire solide, unie et influente sur la scène mondiale et qui apporte sa contribution à la paix, au progrès humain, à la coexistence pacifique et au bien-être. Le Niger a l’occasion dès aujourd’hui de construire son avenir, prospère, dans la sérénité.
Source photo : ateliermasomi.com
Membre de WATHI, Tity est juriste de formation avec une double spécialisation en droit pénal et criminologie. Après avoir occupé les postes d’analyste dans le think-tank ISS Africa puis associée au programme Afrique de Girls Not Brides, une coalition d’ONG travaillant pour mettre fin au mariage des enfants, Tity travaille désormais au bureau régional à Dakar d’une organisation internationale de défense des droits humains.
Nigérien, Mawli Dayak est le directeur de l’agence Temet Evenements et initiateur du forum « Carrefour Innovation et Tourisme en Afrique de l’Ouest » (CITAO) dont la première édition s’est déroulée en juin 2018 à Agadez. Passionné de culture et d’histoire, Mawli travaille à la réhabilitation du tourisme nigérien, vecteur d’emploi et de cohésion sociale. Il invite les Africains à découvrir « le plus beau désert au monde » : le Ténéré.
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Beautiful article. With excellent data and arguments supporting tourism in Africa and in Niget specifically. Thank you. I’ll share it!
Many thanks for the comment Mrs Williams. Please check this space in the coming days for the english version of the article.