Mohamadou Fadel Diop
Alors que l’Union africaine et les Communautés économiques régionales se réunissent cette semaine pour discuter de leurs économies, le fossé entre les riches et le reste de la population en Afrique de l’Ouest doit être placé bien plus haut dans l’ordre du jour, affirme Mohamadou Fadel Diop – et cette conversation doit accorder une attention sérieuse aux politiques de réduction des inégalités telles que le renversement de l’austérité et l’annulation de la dette.
Au cours des 17 premiers mois de la pandémie Covid-19, les trois hommes les plus riches d’Afrique de l’Ouest ont vu leur fortune augmenter de 6,4 milliards de dollars : c’est plus que les fonds nécessaires pour vacciner tous les Ouest-africains. Ce bond de richesse s’est également produit alors que des milliers de personnes sont victimes de la famine dans la région en raison de la flambée des prix des denrées alimentaires.
Malheureusement, les pays d’Afrique de l’Ouest sont parmi les plus mauvais élèves en matière de lutte contre cette inégalité rampante. Cinq des dix pays les plus mal classés dans l’Indice mondial de l’engagement à réduire les inégalités (CRI) se trouvent en Afrique de l’Ouest : Liberia, Nigeria, Guinée, Côte d’Ivoire et Sierra Leone. En fait, l’indice – produit par Oxfam et Development Finance International et qui classe 161 pays – classe tous les États de la région, à l’exception du Cap-Vert, dans les 50 derniers en matière de réduction des inégalités.
Alors que l’Union africaine et les Communautés économiques régionales se réunissent cette semaine pour leur sommet de mi- année afin de discuter de leurs économies, il est plus que nécessaire de se demander pourquoi ce fossé entre les riches et le reste de la population ne figure-t-il pas en tête de l’ordre du jour ? Dans cet article, j’expliquerai pourquoi l’Afrique de l’Ouest s’est retrouvée en bas du tableau en matière de lutte contre les inégalités, et les politiques que les participants au sommet de cette semaine doivent adopter pour sortir la tête de l’eau.
L’augmentation des inégalités n’est pas une fatalité
L’inégalité en Afrique de l’Ouest n’est pas une fatalité. La construction d’une société égalitaire, qui met les services publics essentiels à la disposition de tous les citoyens et offre à chacun la possibilité de mener une vie digne, est une question de choix. Ce n’est pas quelque chose qui doit attendre le progrès économique, ni un luxe réservé aux pays développés.
En fait, la présence de certains des pays les plus riches de la région au bas du classement du CRI montre une fois de plus que la lutte contre les inégalités n’est pas seulement une question de moyens, mais aussi de volonté. Bien que possédant l’une des économies les plus productives du continent, le Nigeria est l’avant-dernier pays de la région à s’être le moins engagé à réduire les inégalités, et le troisième pire pays en Afrique subsaharienne.
Pourtant, ailleurs dans le monde, d’autres pays montrent qu’il existe une alternative. Le Territoire palestinien occupé (TPO), pays très fragile, a tout de même réussi à augmenter les dépenses sociales consacrées à la lutte contre les inégalités de 37 % à 47 % de son budget durant la pandémie Covid-19.
En fait, ces dernières années, le TPO a réduit de moitié la proportion de ses citoyens qui consacrent plus de 10 % de leurs revenus aux soins de santé. De plus, pour la première fois en 10 ans, elle a augmenté son salaire minimum de 33% du PIB par habitant. Malheureusement, en Afrique de l’Ouest, nous n’avons pas beaucoup de ces exemples retentissants. Pourquoi ?
Des politiques inadaptées, notamment en matière de fiscalité et de dépenses publiques
Les États d’Afrique de l’Ouest n’ont généralement pas mené de politiques visant à réduire les inégalités ces dernières années. Des impôts de plus en plus régressifs, la réduction des dépenses en matière d’éducation et de santé et la limitation de la protection sociale ont perpétué le statu quo dans des sociétés gouvernées par les riches pour les riches. Il en résulte une explosion des inégalités en Afrique de l’Ouest, en particulier au cours de la période Covid-19, dont la population ne s’est pas totalement remise jusqu’à présent.
Prenons le cas de la fiscalité dans la région qui permet à chaque État de mobiliser des ressources financières pour financer son développement. Les limites des dispositions communautaires en Afrique de l’Ouest encouragent les États à faire la course vers l’abîme, c’est à dire que chacun concurrence l’autre pour avoir le régime fiscal le plus incitatif afin d’attirer les investissements extérieurs.
Des entreprises minières gagnent des exonérations inconcevables, des multinationales détiennent des monopoles assassins pour la compétitivité et les PME locales, des entreprises nationales innovent dans l’évasion fiscale aussi rapidement que la Silicon Valley, sans que rien de cela ne s’explique. Ce sont des richesses importantes qui pourraient construire des hôpitaux, bâtir des écoles, éduquer les citoyens, financer des projets, réduire la migration des jeunes, etc. Mais tout cela échappe aux États africains selon une logique dont la correction reste à prouver.
Les États d’Afrique de l’Ouest n’ont généralement pas mené de politiques visant à réduire les inégalités ces dernières années. Des impôts de plus en plus régressifs, la réduction des dépenses en matière d’éducation et de santé et la limitation de la protection sociale ont perpétué le statu quo dans des sociétés gouvernées par les riches pour les riches
De l’autre côté, une jeune fille célibataire qui sort de l’Université après des années de sacrifices et de dettes, trouve un emploi, gagne le seul salaire qui doit nourrir une famille de six personnes et satisfaire aux obligations sociales des sociétés africaines, se voit taxer beaucoup plus qu’une entreprise étrangère en termes de pourcentage. C’est ce type d’injustice qu’il faut corriger immédiatement. Les solutions existent.
Le rôle du FMI, de la Banque mondiale et de l’austérité
Il est également important d’examiner les relations entre les institutions internationales et les États africains. En effet, lors de la reprise post-COVID, les pays à faible revenu ont dû faire appel au FMI et à la Banque mondiale pour soutenir leurs économies et éviter l’effondrement financier.
Une étude d’Oxfam sur les prêts COVID-19 du FMI à 85 pays entre mars 2020 et mars 2021 a révélé que le Fonds a encouragé 73 pays, dont 14 pays d’Afrique de l’Ouest, à mener des politiques d’austérité pendant la reprise, parmi lesquels figurent 14 pays d’Afrique de l’Ouest.
Le FMI et la Banque mondiale doivent cesser de promouvoir l’austérité et d’augmenter les impôts indirects régressifs dans la région, et au contraire encourager les impôts progressifs et aider à lutter contre les flux financiers illicites. Des mesures urgentes doivent être prises pour fournir un allégement ambitieux de la dette et pour lutter contre les conditions qui aggravent la pauvreté en Afrique.
Mais les États peuvent encore agir individuellement, ainsi qu’au sein des organisations régionales
Alors que les chaînes de l’austérité et de la dette renforcent l’asservissement des États d’Afrique de l’Ouest et limitent les ressources qu’ils peuvent investir dans les services essentiels, ils peuvent tout de même prendre des mesures progressives, car cela n’est pas seulement une question de moyens. Il faut de la volonté. Comme en montre le Territoire Occupé Palestinien, bout de terre annexé, pas totalement souverain, sous le coup de la guerre et qui, pourtant, manifeste un engagement réel à réduire les inégalités.
S’il n’y a pas de politique intentionnelle de lutte contre les inégalités, la croissance économique ne servira qu’à enrichir ceux qui sont déjà riches
C’est une responsabilité collective, que nos États doivent assumer ensemble au sein des organisations régionales, mais c’est une responsabilité individuelle d’abord. Bien entendu, les groupements régionaux tels que les 15 nations de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et les huit États de la CEDEAO qui font partie de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) jouent un rôle crucial dans l’évolution vers des politiques publiques plus favorables aux pauvres.
Ces organismes peuvent être les leaders intellectuels et institutionnels d’un changement de paradigme, d’autant plus qu’ils sont en partie responsables de la mise en œuvre de la Zone de Libre-échange Continentale Africaine (ZLECAf), laquelle façonnera les trajectoires économiques et sociales des pays d’Afrique de l’Ouest.
Toutefois, les États ne peuvent pas se contenter de pointer du doigt la CEDEAO, l’UEMOA ou encore l’Union africaine. Car il incombe à chaque État de poser les actes qu’il faut pour non seulement assurer la croissance économique, mais aussi satisfaire au bien-être de sa population. S’il n’y a pas de politique intentionnelle de lutte contre les inégalités, la croissance économique ne servira qu’à enrichir ceux qui sont déjà riches.
Cinq façons de lutter contre les inégalités en Afrique de l’Ouest
Nous espérons que le sommet de cette année marquera le début d’une action concrète visant à créer une Afrique de l’Ouest plus égalitaire et plus juste. Nous suggérons aux ministres et aux décideurs politiques de la région de commencer par ces cinq grandes actions pour réduire les inégalités en Afrique de l’Ouest :
- Reconnaître et planifier pour remédier à la crise de l’inégalité en Afrique de l’Ouest en développant des plans d’action nationaux pour la réduction des inégalités.
- Inverser immédiatement l’austérité budgétaire prévue, en mettant l’accent sur l’augmentation des niveaux de dépenses pour la santé, l’éducation et la protection sociale pour des services publics universels de qualité qui réduisent le fossé entre les riches et les pauvres, et entre les hommes et les femmes.
- Accroître le soutien de chaque gouvernement à l’agriculture vivrière à petite échelle.
- Offrir une annulation complète de la dette aux pays de la CEDEAO+ afin de réduire le service de la dette à de
faibles niveaux et de s’assurer qu’ils disposent d’un financement suffisant pour atteindre les ODD. - Orienter les flux d’aide à la région vers les politiques de lutte contre les inégalités.
Crédit photo : Seneplus
Mohamadou Fadel Diop est conseiller en recherche, politique et innovation pour Oxfam.