Plus d’un demi-siècle après les indépendances, la plupart des pays d’Afrique sub-saharienne ont comme langue officielle l’anglais, le français, l’espagnol ou encore le portugais. Le délaissement des langues locales, qui dans la plupart des sociétés africaines ne sont ni enseignées dans le système éducatif formel, ni utilisées dans l’administration pose un réel danger d’extinction de ces langues. Les conséquences d’une telle extinction sont multiformes. En effet, la langue en tant que système de signes vocaux, de manières de s’exprimer propres à une communauté d’individus est un élément d’identification qui est un vecteur de normes culturelles. Son extinction est donc inexorablement associée à une perte d’identité et à une déculturation. Une société qui n’est pas enracinée dans sa culture, consciente des valeurs qui sont les siennes, ne peut aspirer au développement juste en copiant les autres.
La disparition des langues locales, qui dans le contexte de la plupart des pays d’Afrique sub-saharienne sont uniquement orales, entraînera donc la disparition des savoirs locaux
La langue en tant que système abstrait sous-jacent à tout acte de parole est avant tout un système de pensée qui est vecteur du savoir technologique propre à la société qui en a l’usage. La disparition des langues locales, qui dans le contexte de la plupart des pays d’Afrique sub-saharienne sont uniquement orales, entraînera donc la disparition des savoirs locaux. Or, le développement pour être durable doit s’ancrer sur le système de pensée local et s’adapter aux conditions locales. Ainsi, tout système de pensée exogène, aussi positif qu’il soit pour porter des fruits doit se greffer sur l’existant qui lui sert de socle. Il n’est donc pas surprenant que l’importation de nouvelles technologies, pourtant intrinsèquement bonnes, n’arrivent pas à porter les fruits espérés dans le contexte de l’Afrique sub-saharienne. La négligence des savoirs locaux ne permet pas en effet à ces technologies de trouver un support approprié tel un porte-greffe sert de support au greffon.
Si au niveau étatique, il y a un délaissement apparent des langues locales, qu’en est-il dans le cercle familial ? Au sein des familles, de plus en plus de parents soucieux de créer un environnement propice à la scolarité de leurs enfants imposent de parler français, ou anglais également à la maison. Dans ce contexte, seule « la rue » reste le lieu par excellence d’utilisation des langues locales. En effet, sur la plupart des places publiques, les marchés, et même dans la cour de récréation, les langues locales ont droit de citer. Mais penser que « la rue » est un gage de longévité des langues locales serait une erreur. En effet, porter un tel jugement serait faire l’impasse sur les changements qui ont lieu au sein de la société. Avec les nouvelles technologies d’information, les contacts sur les places publiques sont moins intenses. Mieux, autant il y a une génération le nombre de personnes ne comprenant pas français et donc ne pouvant s’exprimer que dans les langues locales était important, autant la situation aujourd’hui est en train de s’inverser. Ainsi, les possibilités de converser dans les langues locales s’amenuisent.
Au sein des familles, de plus en plus de parents soucieux de créer un environnement propice à la scolarité de leurs enfants imposent de parler français, ou anglais également à la maison
Une langue, quelle qu’elle soit, si elle n’est utilisée quotidiennement ni au sein de l’administration, ni dans le système éducatif et se trouve de plus en plus délaissée dans le cercle familial, est vouée à une disparition certaine. Toutes les langues ne disparaitront pas d’un coup. Les langues des minorités linguistiques disparaîtront les premières. Puis suivront celles qui sont aujourd’hui considérées comme des langues majeures, mais qui entre temps seraient devenues mineures. Ce phénomène a déjà lieu sans qu’on ne s’en rende compte.
Au vu de cet état des lieux, la question qu’il convient de se poser est que faire ? Quel rôle incombe à l’Etat, aux organisations non-étatiques et aux familles ? Le cercle familial a un rôle primordial à jouer pour la promotion des langues locales*.
Mais pour ce faire, il faut déjà les familles soient conscientes du problème. La mentalité selon laquelle les langues locales ne peuvent disparaître doit changer, car lentement mais sûrement elles disparaissent. Aujourd’hui, de moins en moins de personnes sont en mesure de parler les langues locales sans faire de mélange avec le français, ou l’anglais. Ce mélange, qui pour les jeunes est un effet de mode, est en réalité symptomatique de la perte de vocabulaire dans les langues locales. En dehors de la prise de conscience, il est primordial, que les familles disposent des matériels et d’opportunités d’apprentissage. Les efforts d’alphabétisation dans les langues locales se sont longtemps focalisés sur les ruraux, pendant que les citadins sont également de véritables analphabètes dans les langues locales. Il y a donc lieu d’alphabétiser les adultes aussi bien en milieu urbain qu’en milieu rural pour que ces derniers puissent servir de relais auprès des plus jeunes.
Aujourd’hui, de moins en moins de personnes sont en mesure de parler les langues locales sans faire de mélange avec le français, ou l’anglais. Ce mélange, qui pour les jeunes est un effet de mode, est en réalité symptomatique de la perte de vocabulaire dans les langues locales
Le rôle de l’Etat consistera à sensibiliser davantage, offrir plus de formations et de classes d’alphabétisation. L’insertion des langues locales dans le système éducatif formel et dans l’administration peut s’effectuer au niveau régional suivant le modèle éthiopien, où les régions administratives sont basées sur un découpage linguistique. Toutefois, ce modèle n’est pas reproductible partout ailleurs. En effet, dans les pays où dans les divisions administratives cohabitent plusieurs groupes linguistiques, la promotion d’une langue locale au détriment d’une autre pourrait porter un coup à la cohésion nationale. Dans ce cas de figure, l’Etat devrait offrir davantage de classes d’alphabétisation pour tous les groupes linguistiques, afin que quiconque intéressé par l’apprentissage de sa langue locale puisse se faire alphabétiser. En outre, l’Etat devrait s’engager dans le développement de matériels d’apprentissage dont pourraient s’approprier les parents pour servir de relais auprès des plus jeunes.
Dans le contexte du Bénin, il est notable aujourd’hui pour quelqu’un qui souhaiterait faire apprendre à son enfant les bases de quelque langue locale, qu’il n’a ni de livres de contes, ni de site internet, encore moins d’applications mobiles pouvant servir de guide d’apprentissage
Dans le contexte du Bénin, il est notable aujourd’hui pour quelqu’un qui souhaiterait faire apprendre à son enfant les bases de quelque langue locale, qu’il n’a ni de livres de contes, ni de site internet, encore moins d’applications mobiles pouvant servir de guide d’apprentissage. Pourtant, avec les nouvelles technologies de l’information et l’intérêt des enfants pour les applications mobiles et l’internet, ce sont des moyens qui devraient être investis. Le développement de matériels innovants d’apprentissage est également le champ dans lequel nous situons l’action de toute organisation non-étatique soucieuse de cette question. A ce titre, avec quelques amis et sur fonds personnels nous avions décidé de lancer la première application mobile d’apprentissage de langues locales béninoises. La première application (http://allinone-benin.com/hosny/fongbeapp/) de la série est consacrée au Fongbé ( une langue parlée dans la partie méridionale du Bénin). Ceci est notre contribution personnelle à l’inversion de la courbe décriée. Vivement que l’Etat et d’autres acteurs joignent ce mouvement et que les familles adoptent les nouveaux outils qui seront mis à leur disposition.
*Le terme « promotion des langues locales » est choisi à juste titre car il ne s’agit pas du rejet des autres langues. Tout au contraire, j’accorde une grande valeur à l’enseignement des langues étrangères, vu que nous sommes dans un monde globalisé et tout citoyen africain doit être équipé pour se faire valoir au niveau international. Ce qui sous-tend une bonne maîtrise dans les langues internationales. Mais ceci ne devrait pas se faire au détriment des langues locales.
Source photo : attino.mondoblog.org
Johanes Agbahey est agro-économiste, spécialiste en modélisation des politiques économiques, agricoles et commerciales. Il est également entrepreneur social, actif dans l’entrepreneuriat des jeunes et la recherche de solutions innovantes aux problèmes de développement en Afrique. Toute position exprimée dans cet article engage la responsabilité individuelle de son auteur.
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Il y a t-il aussi une application pour la langue Bariba ?
N’existe t’il pas une application pour la langue xweda gbè ?
Chers amis, l’application mobile gratuite d’apprentissage de la langue Fongbe est maintenant disponible sur Playstore. https://play.google.com/store/apps/details?id=com.allinone_benin.fongbe.fongbe
Vous connaissez la boite a innovations. Fon, yoruba et bariba sur nos plateformes pour apprendre a lire, ecrire calculer, utiliser un ordi et internet.
Belle analyse sur l’importance des langue locale dans le développement. L’éducation doit se faire dans les écoles à la fois dans les langues internationales comme le français et l’anglais mais aussi dans deux à trois langues nationales choisies selon les régions. Les recherches ont en effet prouvé que l’enfant était capable d’apprendre 7 langues à la fois. Il s’agira de lui trouver des enseignants appropriés de chacune. Une telle option a l’avantage de résorber le chômage des jeunes. Chaque classe aura ainsi dès le primaire plusieurs enseignants sur des matières qui sortent du système actuel qui peine à former des jeunes capables de faire face aux enjeux du continents. Bref le système éducatif actuel doit être amélioré pour enseigner les apprenants dans plusieurs langues et sur des matières classiques et nouvelles. L’école nouvelle doit faire appel à des intellectuels communautaires compétents dans leur domaine de spécialisation. je crois que c’est ainsi que l’Afrique progressera et contribuera au développement global.