Bénin: pour l’heure, deux mandats; à terme, un seul, nous promet-on !
Moudjib Djinadou
Sans doute Patrice Talon le sait-il : il est aujourd’hui président de la République du Bénin parce qu’une majorité d’électeurs a tenu à défaire ce que lui, Talon, a tant contribué à ériger tantôt. Sans aucun doute sait-il également que ces électeurs-là, du moment où ils ont la prérogative d’utiliser leur vote comme bon leur semble, transforment immanquablement le processus en instant de vérité, devant lequel sont forcés de s’incliner stratégies et autres savants calculs ennemis du principe de réalité.
Car les électeurs béninois, du fond de leurs campagnes sans électricité ni eau potable, ont une notion très précise du temps qui passe. Au terme duquel il faut bien mettre un terme au mandat qu’ils ont donné pour cinq ans, et renouvelé une ultime fois. Et ils clarifient: le terme « ultime » veut dire « dernière possibilité » et ne laisse d’espace à aucune alternative. En d’autres termes, ils n’ont pas souhaité qu’un mandat puisse dissimuler un autre.
Roturiers de la république, ils ont sauvé leur pays en appliquant la loi des nombres. Ici, pas de géométrie à la dissection compliquée. Pas de consensus ni de quorum. Face à l’attelage arrogant des arithmétiques politiciennes, eux, gueux mais nombreux, ont sans concertation sophistiquée, additionné une urgence à l’autre pour livrer un message sans équivoque: à terme, le dernier mot reviendra à la conscience collective, qui distingue dans la brume qu’on ne lui dit pas tout.
Ces misérables-là, je les ai vus s’aligner pour voter les 6 et 20 mars 2016, drapés dans une tranquillité à faire trembler les théoriciens et contorsionnistes à la conscience volage. Puis sortir de leurs habitations assister et participer au comptage des voix, s’assurer de visu qu’il est vrai que 1+1, ça fait bien 2.
Dans la rigueur de cette conformité aux principes de l’État de droit face à des politiciens passés maitres en entourloupes et autres roulades, on peut regretter que la victime collatérale soit un des meilleurs parmi nous, un digne fils de notre pays.
J’use de l’épithète « collatérale », à dessein: Lionel Zinsou n’a jamais été que le troisième homme, n’ayant pu développer et présenter son « moi » à l’électeur, étranglé dans un corset dont il n’avait peut-être pas suffisamment anticipé l’étroitesse.
C’est une dernière pirouette, dans la veine de « quand il n’y en a plus, il y en a encore » que des millions de Béninois ont choisi de contenir. Sauvant ainsi la république d’un recul fatal dans les abîmes de la contrefaçon politicienne et malicieuse concoctée dans des états majors, qui s’accommodent narquoisement de l’hérésie qui veut que des partis politiques bruyamment présents au Parlement ne proposent pas un seul candidat à une élection où le président sortant n’est pas en compétition.
C’est à grand pas que progresse la démocratisation de ce pays, où les anonymes s’invitent, à terme, pour expliquer aux politiciens précieux et inutiles que les conventions légalement formées tiennent lieu de lois à ceux qui les ont faites. Ils, elles, protègent l’ État de droit contre les coups de force, les trucages et tripatouillages d’une arène politique tout à son théâtre, insensible au mal qu’elle fait à nos enfants.
Patrice Talon, pour autant, président par défaut? Pour le respect qu’on doit à celui qui déploya une mécanique organisationnelle admirable sur les chemins enchevêtrés de la conquête du pouvoir, il faut espérer que l’expression, dans le contexte électoral béninois de mars 2016, ne soit pas considérée comme caricaturale ou péjorative. Car, à moins de dédire ce que les lignes ci-dessus tentent de démontrer, il n’est pas possible d’argumenter autrement: le président Talon, est bien le fruit d’un tourbillon électoral où le rejet a incendié l’adhésion. L’homme parait trop perspicace pour ne pas l’avoir compris. Et la détermination qu’il arbore traduit avant tout sa volonté authentique et sincère de nous faire adhérer, maintenant que l’objet du rejet n’est plus qu’un souvenir dont notre mémoire collective fera ce qu’elle pourra.
Je termine. Je m’en veux d’évoquer ceci et surtout de faire ce parallèle maladroit et convenu: Mandela était une icône en arrivant au pouvoir, qu’il quitta au bout d’un mandat, quand rien ni personne ne l’y invitait. De l’exil au sommet de l’État, Patrice Talon sera une icône si, au terme du mandat qui démarre le 6 avril 2016, il tire sa révérence, laissant aux livres d’histoire le soin de l’installer à l’estrade des gens d’honneur. Un mandat unique, donc. Le président Talon s’y est engagé. Nous, Saint-Thomas devant l’Eternel…
Photo: lemonde.fr
Titulaire d’un Doctorat d’État en droit international public, Moudjib Djinadou est actuellement le directeur des Affaires politiques du Bureau des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest (UNOWA), à Dakar au Sénégal. Il a travaillé pour les Nations unies dans les domaines de la paix, de la sécurité et de la gouvernance notamment au Soudan, en Haïti, au Burundi et en République démocratique du Congo. Il est également écrivain. Les opinions exprimées ici sont personnelles et ne reflètent pas les positions des Nations unies.