Cameroun: propositions pour changer Yaoundé
Stéphane Akoa
Au départ il y a simplement une question : n’a-t-on vraiment jamais rien programmé pour contrôler le développement de nos cités ? S’ensuivent des idées. Des propositions. Des manières de « rêver» la ville. Pour rendre à la vieille Ongola, l’ancien nom de Yaoundé, un aspect digne d’une cité-capitale.
Se réapproprier la ville au quotidien
Penser le futur de Yaoundé passe par une condition nécessaire : l’autorité administrative doit jouer parfaitement et pleinement son rôle de gestionnaire de l’espace urbain afin de réduire la densité du centre de la ville, couplée à une action de développement et d’aménagement des territoires périurbains. Il faut, pour cela, définir un centre-ville dont l’identité doit être fortement liée à l’histoire et au patrimoine. Mais pour une ville comme Yaoundé, à quel espace fait-on référence ? Au Jaunde Station de Kund, Tappenbeck et Zenker, où les Allemands bâtirent leurs bases scientifiques à la fin du 19ème siècle ? Aux limites du centre administratif de 1925, de 1941, de 1948 ?
Définir, situer, nommer et distinguer les territoires de Yaoundé est aussi une manière de mettre un terme au désordre qui tend à vouloir s’imposer à nos consciences et à nos modes de vie. Les citadins doivent se réapproprier la ville qui les accueille au quotidien. Ce qui peut être rendu possible par l’installation de cœurs de quartier à vocation citoyenne, lieux de rencontre de type « agora ». Ce qui supposerait de créer des places pavées. C’est le moment de s’interroger sur le nombre de statues érigées à Yaoundé qui laissent croire qu’il y a donc si peu de héros nationaux à honorer !
On doit pouvoir réduire les nuisances et déplacer les garages, les ateliers de menuiserie métallique et les dépôts de bois vers des secteurs attribués à cet effet. Tout comme on doit fermer le Marché Central aux activités marchandes et trouver une nouvelle attribution au bâtiment circulaire pour un usage qui pourrait être dédié à la convivialité, avec des bars et des restaurants pour en faire un lieu central, animé les soirs et les week-ends, ou à la culture avec des galeries d’art contemporain et des boutiques d’artisans. Et fermer aussi le marché de Mokolo en affectant les bâtiments libérés à de nouvelles affectations.
Définir, situer, nommer et distinguer les territoires de Yaoundé est aussi une manière de mettre un terme au désordre qui tend à vouloir s’imposer à nos consciences et à nos modes de vie.
La rue doit retrouver sa fonction avec des trottoirs pour les déplacements des piétons et une chaussée, simple ou double, pour les véhicules à moteur. S’ajouteraient éventuellement des allées pour les autobus et/ou les taxis, ainsi que des pistes cyclables. Il faut repenser la circulation des automobiles, les stationnements, les arrêts de taxis et proposer un maillage de rues piétonnes (l’avenue Kennedy par exemple), de rues à sens unique, de ruelles et autres passages pavés, tout particulièrement pour décongestionner les espaces confus (les sous-quartiers) et proposer une circulation entre les espaces d’habitation. Sans oublier de régler la question des nœuds que posent certains carrefours.
Penser le futur de Yaoundé impose aussi de valoriser le patrimoine architectural de la période coloniale quand on connait la fonction structurante, pour une société, d’un rapport décomplexé avec sa mémoire et les marques visibles qui l’affirment. On pourrait ainsi lister les bâtiments qui datent du début du siècle dernier et poser des plaques pour localiser des implantations historiques, rénover les vieilles demeures, débarrasser les façades des bâtiments anciens de toute affiche ou panneau, réglementer la pose des enseignes et des antennes, sauvegarder murs, façades, toitures, en veillant à la nature et à la couleur des matériaux. Il faudrait également entretenir les cimetières en suivant l’idée selon laquelle la ville a une histoire qui doit être conservée. Outre les effets escomptés pour le tourisme, cette initiative permettrait de construire une harmonie et une identité remarquables. Usages non seulement esthétiques mais utiles du patrimoine…
En faire une région-capitale
Penser le futur de Yaoundé, c’est notamment définir une articulation et une complémentarité entre chacun des espaces du périmètre urbain. Ceci suppose préalablement une distinction des niveaux de ville. Une ville spontanée, qui occupe la plus grande surface de Yaoundé, s’ajoute à une ville urbanisée d’inspiration individuelle à certains endroits et d’inspiration publique à d’autres (lotissements de la Société Immobilière du Cameroun ou de la Mission d’aménagement et d’équipement des terrains urbains et ruraux).
Penser le futur de Yaoundé impose aussi de valoriser le patrimoine architectural de la période coloniale.
Il faut désormais oser une révision des schémas de contrôle du territoire pour faire de Yaoundé et des subdivisions mitoyennes une véritable région-capitale. On pourrait alors situer une limite au-delà de laquelle se trouveront des communes associées dans le cadre d’une véritable politique de communauté urbaine. Certains quartiers périphériques peuvent bénéficier d’une autonomie administrative dans le cadre d’un régime nouveau, d’un découpage administratif qui verrait la mise en place de boroughs ou de districts.
Penser le futur de Yaoundé, c’est assumer une conduite effective et raisonnée du développement des territoires urbains. Par d’audacieuses remises en question des types d’emprises, des formes de mise en valeur des espaces, des allocations des ressources ou une rediscussion des manières de vivre le rapport entre le statique (l’aménagement, le niveau d’équipement, la distribution des espaces entre lieux pour habiter, lieux pour la détente et le loisir, lieux pour produire, commercer et consommer, etc.) et le dynamique (la circulation, les modes et les vitesses de déplacements, les moyens pour aller d’un point à l’autre de la ville en voiture particulière ou en transports collectifs).
La question des déplacements suggère de suivre la voie ferrée qui traverse la ville pour l’aménager et utiliser ce moyen pour faciliter le transport des habitants de Yaoundé de la périphérie vers le centre aux heures matinales et du centre vers la périphérie aux heures du soir avec une sorte de tramway.
Certains quartiers périphériques peuvent bénéficier d’une autonomie administrative dans le cadre d’un régime nouveau, d’un découpage administratif qui verrait la mise en place de boroughs ou de districts.
Parfois, nous pouvons aussi décider de ne rien bâtir pour laisser la ville respirer. Laisser libres les zones non-constructibles, voire les dégager de toute habitation. Du fait de la topographie, certains secteurs sont d’accès difficile voire dangereux pour la construction. Mais nous savons que l’avidité, le besoin d’espace, l’inertie des autorités qui regardent faire sans agir, ont conduit progressivement à une occupation et à une construction de tout le foncier disponible. Il devient alors impossible de distinguer les niveaux d’occupation et de déceler des marques d’organisation. Chaque mètre carré est bâti, rien n’est laissé vacant, aucune voirie n’est aménagée. Accepter des friches urbaines est une nécessité.
Ne pas enterrer le fleuve
La gestion du réseau hydrique est un autre impératif. Il faut calibrer tous les cours d’eau. Cela pourrait permettre, par exemple, de favoriser la création d’une véritable traversée verte en dégageant les rives du fleuve Mfoundi pour les encadrer d’une promenade gazonnée et arborée. Douala et Yaoundé ont véritablement nié la place de l’eau dans leurs schémas directeurs d’aménagement. A Douala, les berges du Wouri sont négligées en attendant la mise en œuvre du projet Sawa Beach qui proposerait un aménagement des espaces en eau de type marina et autres complexes d’appropriation de l’espace aquatique. Yaoundé a préféré enterrer le Mfoundi !
A l’instar de nombreuses autres villes, l’urbanisation s’est développée non pas autour des fleuves mais bien contre eux.
A l’instar de nombreuses autres villes, l’urbanisation s’est développée non pas autour des fleuves mais bien contre eux. Dans le cas de Yaoundé, une partie du linéaire a été enterré afin de permettre, en surface, une urbanisation homogène. Le cours d’eau n’est donc que partiellement aérien, libre dans sa partie amont, en particulier dans le secteur de Djoungolo. Ses conditions hydrauliques et son équilibre ne semblent plus assurés puisque la ville a très régulièrement les pieds dans l’eau.
Cette situation semble résulter de l’inefficacité du système d’assainissement voire de son dysfonctionnement et d’une lacune certaine dans la gestion des crues du Mfoundi. La ville-capitale n’est donc plus en mesure d’absorber les excédents d’eau. Les résurgences dans les points les plus bas la transforment, après chaque pluie, en Venise boueuse.
Oser des solutions architecturales originales
Penser le futur de Yaoundé demande tout d’abord de nous accorder sur certains paradigmes et réaffirmer que les conséquences néfastes pour les familles chassées de Ntaba ou les pseudo-commerçants déplacés de l’avenue Kennedy ne sont point supérieures à la somme des erreurs et des risques qui ont précédé la démolition de leurs logements ou de leurs installations.
Il est indéniable que les actions de lutte contre le désordre urbain peuvent choquer par leur violence et l’on pourrait avoir de la compassion pour les personnes déplacées. Mais nous devons être sincères : les «casses» décidées par les autorités de la ville sont à notre sens une occasion unique de ne pas laisser s’étendre, sournoise, apathique, inesthétique, une « ville-rien » pour citadins sans repères, une « ville-oubli » sans édifices symboliques ni lieux de mémoire, une « ville-village » sans ordre ni projet.
Yaoundé est un enchevêtrement de pratiques et de tactiques continuellement mobilisées pour la survie – subvenir à ses besoins, gérer son ménage, perpétuer les liens communautaires – et la production d’entités (la rue, le quartier, le sous-kwat,) qui composent une somme de contenus aux statuts multiples. Les acteurs urbains, pourtant profondément enracinés dans des lieux et des assignations sociales spécifiques, influencent la morphologie d’un territoire disputé.
Comme toute collectivité, Yaoundé est animée par des identités mobiles et des appartenances à géométrie variable (tantôt tribales en fonction des origines géographiques et tantôt économiques en fonction du type d’activité exercée). Cela signifie, à des échelles différentes, avec l’agencement des schèmes culturels et des modes d’appropriation, des configurations en renouvellement.
Les «casses» décidées par les autorités de la ville sont à notre sens une occasion unique de ne pas laisser s’étendre, sournoise, apathique, inesthétique, une « ville-rien » pour citadins sans repères.
Le désordre de Yaoundé est un système autorégulé basé sur un principe d’acceptation de ses déséquilibres et de ses imperfections, dans une tension entre ce qu’il est possible de faire dans la ville et la mobilisation à la fois improvisée et permanente de toutes les idées, intentions, opportunités, ressources, pour renégocier la gestion du capital spatial. Repenser notre ville, cela veut dire que nous devons oser des solutions architecturales originales afin de construire un nouveau type d’habitabilité (maisons en bois ou en matériaux locaux, architecture flexible …) utilisant, par exemple, l’énergie solaire et la récupération des eaux pluviales.
Nous ne devons pas cesser de proposer des réponses aux demandes et aux attentes sociales. Par adjonction de solutions intégratives. Du cœur urbain à la périphérie. Là où s’ouvrent, hétérogènes et multiples, des espaces en devenir.
Photo: www.inverses.org
Stéphane Akoa est politologue, chercheur à la fondation Paul Ango Ela de géopolitique en Afrique centrale (FPAE).