Awa Touré
Le racisme structurel cesse-t-il d’exister aux portes des systèmes de santé ? On pourrait penser que face au droit à la vie et à la santé, le champ médical est dénué des marques du racisme structurel.
En France, au Canada, aux États-Unis ou plus largement en Occident, il semble que cette présomption soit fausse. Quand on s’interroge sur les décès dus à des comportements racistes, on visualise tout de suite les violences policières. Récemment, un rapport du Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’Homme (HCDH) a indiqué qu’en présence de données disponibles, on constate « des taux disproportionnés de décès de personnes d’ascendance africaine par les forces de l’ordre dans différents pays ».
Le même rapport souligne que « seule une fraction des cas de décès ou de blessures de personnes d’ascendance africaine aux mains des forces de l’ordre était signalée ou attirait l’attention du public ou des médias. »
Ce qu’il faut mettre en avant, c’est qu’il existe des éléments qui ont permis de relever le racisme et la violence exercés par les forces de l’ordre sur les civils d’ascendance africaine. Les mots ont une portée sans précédent. C’est pourquoi je souhaite définir et souligner de manière explicite le terme suivant : La mort, c’est lorsqu’une entité cesse de vivre.
Les causes de la mort peuvent être multiples. Lorsqu‘elle est causée par un autre individu, on parle d’homicide. Juridiquement, on constate deux types d’homicides, etce qui les distingue, c’est l’intention.
Pourtant, quand on lit des articles relatant les violences, la responsabilité des acteurs -en l’occurrence ici celle du corps médical-, est mise de côté ou questionnée en fonction de l’ethnie de la victime.
En France, la mort de Naomie Musenga, une strasbourgeoise moquée par le Samu, a suscité des réactions de patients qui estiment avoir été victimes de préjugés racistes lors de leur prise en charge. Douleur minimisée, ton méprisant, diagnostic retardé sont les faits qui ressortent le plus lors de ces témoignages. Ces derniers relatent des violences administratives, dans l’accueil et dans la prise en charge des différents patients. Cependant, il existe malheureusement peu de chiffres en ce qui concerne les effluves de racisme au sein du système médical.
Cependant, il existe malheureusement peu de chiffres en ce qui concerne les effluves de racisme au sein du système médical
Je pense particulièrement à une scène mise en avant par Myriam Dergham, externe en médecine au moment des faits. Cela se passe au moment de l’annonce du diagnostic d’un patient :
« Le patient, un étudiant d’une vingtaine d’années, venait d’apprendre qu’il était atteint d’une tumeur au cerveau, raconte-t-elle. Il est resté interdit. Pas un mot ne sortait de sa bouche. Devant son absence de réaction, le médecin s’est mis à lui crier dessus en articulant chaque mot : “Vous parlez français ?” Parce que le patient avait la peau mate, le médecin s’est empressé de penser qu’il ne parlait pas français, alors qu’il était simplement choqué. Ce jour-là, j’ai compris que la couleur de peau pouvait déterminer la qualité d’une prise en charge ». Ce témoignage illustre la violence symbolique et émotionnelle présente lors du rapport entre le patient et le praticien. Ce que l’on note aussi, c’est l’essentialisation des patient·e·s racisé·e·s, c’est-à-dire des patient·e·s qui ne sont pas perçu·e·s comme blanc·he·s.
Nous sommes face à un problème majeur. Le système médical fait face à des défaillances. La douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle que chaque être vivant peut ressentir. Alors comment expliquer que celle-ci soit minimisée, moquée et ignorée quand elle est exprimée par les minorités ? Un terme encore peu trop documenté existe pour qualifier ces situations : le syndrome méditerranéen.
Par définition, « le syndrome méditerranéen est une idée, un ensemble de stéréotypes culturels à caractère raciste existant dans le monde médical venant de la part des professionnel·le·s de santé. Ces stéréotypes amènent les professionnel·le·s à considérer que des personnes perçues comme non blanches seraient amenées à exagérer ou mentir sur leurs symptômes et douleurs lors d’un diagnostic médical. Ceci ayant un impact direct sur la prise en charge car dangereuse pour les personnes concernées. »
Les idées structurent nos sociétés. Entre divergences et convergences, les mentalités s’enracinent dans des schémas de pensée parfois difficiles à ébranler. Des questions se posent et restent malheureusement sans réponse dans des sociétés où la prise en compte de l’ethnie comme paramètre d’étude est repoussée dû au passé colonial des civilisations. Que se cache-t-il derrière l’uniforme ? Séparer le professionnel de santé de ses croyances et idées devrait être considéré comme une norme. Dans le meilleur des mondes, le praticien demeure neutre et applique sans faille les codes de la déontologie et de l’éthique.
« Ce jour-là, j’ai compris que la couleur de peau pouvait déterminer la qualité d’une prise en charge ». Ce témoignage illustre la violence symbolique et émotionnelle présente lors du rapport entre le patient et le praticien. Ce que l’on note aussi, c’est le « profilage » des patient·e·s racisé·e·s
Facilité par l’usage d’internet, de plus en plus de voix et de contestations ont vu le jour. Des témoignages et expériences qui relatent la manière dont le racisme ordinaire bouleverse les quotidiens. Certains d’entre eux illustrent particulièrement comment la santé et la douleur des concernés est remise en cause par les professionnel·le·s de santé. Ils ont fait face à de la discrimination raciale au sein du système de santé.
Ce phénomène, bien que davantage étudié aux États-Unis, ne se limite pas à ce seul espace. Souvent, il s’agit d’un tabou dans les autres pays, notamment en France. Les patients sont traités différemment. D’ailleurs, plusieurs professionnel·le·s de santé ont témoigné, de manière anonyme ou non, à ce propos.
Les discriminations en santé sont aussi anciennes que l’existence de la médecine elle-même. En France, la classification des civilisations a été amorcée par le mouvement des Lumières au 18ème siècle. Dans cette hiérarchie, les personnes noires étaient placées en bas de l’échelle. En reprenant certains écrits scientifiques de cette époque comme ceux de Paul Broca, on observe l’animalisation de tout un peuple. De la seconde moitié du 17ème au 20ème siècle, la hiérarchisation du monde et des civilisations a engendré des expérimentations de violences inouïes. Persuadés de trouver une marque de l’animalité, les corps des individus colonisés ont été déshumanisés par les scientifiques. Pour certains peuples d’Afrique, cette déshumanisation a été sans précédent. Des pionniers dans certaines branches comme la gynécologie ont construit leur savoirs et savoir-faire en menant des expériences sur des esclaves noir·e·s. Les scientifiques et les chercheurs ont tenté de prouver la solidité des corps africains. Malgré leur échec, leurs idées ont été largement diffusées dans les sociétés.
Les stéréotypes auparavant assignés aux personnes noires tels que la paresse, l’hypersexualité, le goût pour la danse ou encore l’infériorité intellectuelle ont forgé ces imaginaires.
Ces témoignages alertent et montrent la nécessité de prendre en compte dans les études à venir le critère ethnique pour mettre en lumière les défaillances du système de santé. En effet, c’est l’institution et ses modes d’apprentissage qu’il faut réformer pour améliorer le rapport entre le patient et les praticiens.
Une loi du silence pèse sur de nombreux soignants mais aussi sur des patients. La perpétuation de pratiques et de comportements basés sur des idées, des stéréotypes racistes met en danger la santé des individus à plusieurs niveaux. Une étude du Center for Disease Control and Prevention (CDC) menée aux États-Unis met en évidence des données percutantes. En effet, elle montre que les femmes noires sont deux fois plus à risque de mourir de causes liées à la grossesse ou à l’accouchement que les femmes blanches et hispaniques. Face à ce constat, on ne peut que s’interroger : Dans quelle mesure peut-on remettre en cause la neutralité du personnel médical ? Comment expliquer ce silence qui cache l’existence de pratiques et comportements discriminants au sein de ce système ?
Les femmes noires sont deux fois plus susceptibles d’avoir des complications pendant la grossesse et l’accouchement. Complications pouvant entraîner le décès du parent et de l’enfant
Bien souvent, on aborde le passé colonial d’une nation ou d’une autre en omettant la vérité qui se cache derrière les prouesses de la science. Dans une époque où des humain·e·s étaient perçu·e·s et traité·e·s comme des rats de laboratoires, la circulation des idées a été légitimée, en grande partie par la science. Aujourd’hui, la présence du racisme dans le milieu médical ne demeure que trop peu documentée.
Cependant, comme mis en évidence en amont, les témoignages sont nombreux. Il ne s’agit pas de fictions mais de faits venant non seulement de patients mais également de praticiens. Il est nécessaire que les sociétés concernées se tournent vers ce problème. Tout comme il est primordial qu’une attention particulière soit portée aux questions de racisme au sein de ce milieu afin d’endiguer ces discriminations qui peuvent être fatales. Surtout, il est essentiel que davantage d’études soient menées pour produire des données afin d’améliorer l’institution médicale.
Je souhaite conclure par une autre étude. Celle-ci met en évidence que la couleur de la peau est associée à la probabilité d’être recommandé pour l’ablation de l’une des quatre tumeurs cérébrales les plus courantes. La décision clinique de ne pas tenter l’opération est plus fréquente chez les personnes noires. Ce dernier exemple montre qu’il est urgent d’agir. Ignorer plus longtemps l’existence du racisme dans le système de santé, c’est consentir à rester spectateur d’une tragédie humaine.
Crédit photo : bondyblog.fr
Awa Touré est une étudiante en troisième année à Sciences Po Lille. Elle s’intéresse aux dynamiques sociales et aux enjeux géopolitiques en Afrique de l’Ouest.
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Very intriguing and well written! I feel like racism in the medical field isn’t talked about enough so it was nice to read this analysis as it sheds a light on the topic and opens up a door for debate and future discussion. Well done.
Très bonne analyse critique d’un phénomène dont on parle peu dans le domaine médical. L’auteur ouvre des pistes de réflexions sur d’éventuelles études de recherches dans ce domaine qui doit unir dans sa diversité l’humanité pour sa préservation et non la détruire.