Repenser la guerre contre la drogue en Afrique de l’Ouest
Abdul Tejan-Cole et Nana Afadzinu
À l’heure actuelle, c’est presque devenu un cliché de dire que la guerre contre la drogue a échoué. L’approche prohibitionniste, qui s’est le plus fortement exprimée sous l’ancien président américain Richard Nixon, a eu peu d’effet sur le ralentissement de la consommation de drogues, mais elle a eu des conséquences dévastatrices pour les individus et les sociétés du monde entier. En Amérique latine, pour ne citer qu’un seul exemple, elle a conduit à des politiques étatiques répressives et à la militarisation des efforts d’interdiction au détriment des politiques de lutte contre les effets néfastes de la consommation de drogues sur la santé et le bien-être social.
Cette approche risque de provoquer des dommages similaires en Afrique de l’Ouest, à l’heure où la guerre contre la drogue dans la région entraîne une augmentation de la répression de l’État et des violations des droits de l’homme. En 2014, la Commission de l’Afrique de l’Ouest contre la drogue a remarqué que la pénalisation de tous les aspects de l’activité liée à la drogue, y compris la possession pour usage personnel, a donné lieu à une multitude de conséquences négatives. Les consommateurs de drogue se sont réfugiés dans la clandestinité, la corruption a augmenté et les prisons ont été massivement surpeuplées. Et ce sont en majeure partie les pauvres (dont un grand nombre devraient être aidés plutôt que punis), qui sont jetés en prison, tandis que les riches toxicomanes échappent aux sanctions pénales grâce à leur argent.
Mais la répression n’a pas empêché l’Afrique de l’Ouest de devenir un centre de transit majeur pour la cocaïne, l’héroïne et le cannabis. En mars, les autorités nigérianes ont découvert et démantelé le premier laboratoire de méthamphétamine à échelle industrielle du pays, ce qui indique que la production, la distribution et la consommation de drogues de synthèse pourraient rapidement augmenter dans la région. L’Afrique de l’Ouest n’a pas de données fiables sur les tendances de la consommation de drogue, mais certains signes montrent qu’elle est en hausse.
La répression n’a pas empêché l’Afrique de l’Ouest de devenir un centre de transit majeur pour la cocaïne, l’héroïne et le cannabis.
Compte tenu de la gravité de la crise, l’Afrique de l’Ouest ne peut pas se permettre de se taire à la Session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations unies sur le problème mondial des drogues, qui se tient du 19 au 21 avril. Il faut adopter une réponse plus humaine, qui respecte les droits de l’homme et aborde le problème comme un défi de santé publique.
En janvier, les représentants de 11 pays d’Afrique de l’Ouest, dont les agents de lutte contre la drogue, se sont rassemblés à Accra (Ghana) lors d’une réunion organisée par l’Institut de la société civile d’Afrique de l’Ouest (West Africa Civil Society Institute, WACSI). Les personnes présentes ont fait part de leur soutien pour recentrer l’effort de lutte contre la drogue sur la santé publique et les droits de l’homme, plutôt que sur la justice pénale.
Une approche similaire est préconisée dans une grande variété de documents et d’exposés de principes, notamment le Plan d’action sur la lutte contre la drogue de l’Union africaine de 2013, la Position commune africaine pour la Session extraordinaire de l’Assemblée générale de l’ONU sur le problème mondial de la drogue, la Déclaration d’Addis-Abeba sur l’intensification des ripostes équilibrées et intégrées de lutte contre la drogue en Afrique et la Déclaration d’Abuja adoptée par la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Selon les termes de la Position commune africaine, « l’objectif principal des politiques de lutte contre la drogue consiste à améliorer la santé, la sécurité, la protection et le bien-être socioéconomique des personnes et des sociétés. »
Les pays d’Afrique de l’Ouest doivent tirer parti de la session spéciale de l’ONU pour rompre avec l’approche inefficace de la dernière décennie. Les dirigeants de la région doivent faire pression pour une véritable réforme et ne pas permettre de confirmer le statu quo par le renforcement des cadres existants.
Nous devons dissiper l’idée selon laquelle les politiques des drogues progressistes se traduiraient par une attitude de laisser-faire à l’égard de l’usage de drogues et par une augmentation du trafic de drogue.
Pour commencer, nous devons dissiper l’idée selon laquelle les politiques des drogues progressistes se traduiraient par une attitude de laisser-faire à l’égard de l’usage de drogues et par une augmentation du trafic de drogue. L’expérience dans d’autres parties du monde a montré que les alternatives aux peines de prison pour des délits mineurs non violents liés à la drogue peuvent conduire à de meilleurs résultats pour la santé et le maintien de l’ordre, lorsque les consommateurs de drogue sont orientés vers les services dont ils ont besoin et lorsque la police, libérée de la traque des petits délinquants, peut poursuivre les principaux trafiquants.
La Session extraordinaire de l’ONU doit servir à jeter les bases de la réforme non seulement des lois et des politiques, mais aussi des perceptions et des attitudes. Aussi importantes que puissent être les réformes politiques, leur efficacité dépendra des évolutions durables dans les normes sociétales et dans les mœurs. Un message clair et sans équivoque est nécessaire, un message qui permette à la société civile d’influencer les décideurs non seulement aux niveaux international et national, mais également local et communautaire.
Les dirigeants traditionnels et communautaires doivent comprendre que la pénalisation et l’incarcération des usagers ne mettent pas un terme à la toxicomanie, mais remplissent seulement les prisons. Ils doivent également être rassurés quant au fait que la dépénalisation de l’usage de drogue n’élimine pas toutes les sanctions, puisque les sanctions administratives et les relais des services de santé peuvent toujours servir à dissuader la consommation de drogue.
Si le but de la session extraordinaire de l’ONU consiste à réaliser « une société sans toxicomanie », elle doit dans ce cas faire davantage que réaffirmer les engagements et accords antérieurs. Elle doit se montrer audacieuse et progressiste, en proposant l’approche la plus rentable et la plus humaine pour traiter le problème mondial de la toxicomanie. Cela ne peut se produire que si les pays et les régions touchés, notamment l’Afrique de l’Ouest, s’expriment haut et fort et collectivement.
* Cette tribune, proposée par les auteurs à WATHI et éditée par nos soins, a été également publiée sur le site de Project Syndicate.
Photo: https://www.irinnews.org/
Abdul Tejan-Cole est le directeur exécutif d’Open Society Initiative for West Africa (OSIWA).
Nana Afadzinu est la directrice exécutive de l’Institut de la Société Civile de l’Afrique de l’Ouest ou West Africa Civil Society Institute (WACSI).