Elimane Haby Kane
Contexte
L’annonce d’importants gisements de pétrole et de gaz sur le territoire « on shore » et « offshore » du Sénégal fait l’objet de nombreux débats. Ces découvertes suscitent des convoitises et révèlent de nouveaux enjeux dans la gouvernance des ressources minérales au Sénégal. Le pays dispose dans son bassin sédimentaire d’un potentiel énorme qui peut transformer la structure de l’économie du pays.
Si les découvertes récentes de ressources en hydrocarbures ont provoqué un tollé dans ce pays, il est curieux de noter l’absence d’un débat de fond sur la gouvernance des ressources minérales. La gestion de ces ressources constitue une grande nébuleuse oubliée entre les mains d’un club fermé d’acteurs. Le secteur minier est exploré depuis plusieurs années au Sénégal avec l’octroi de plus de 202 titres miniers (2014). L’apport de ce secteur dans l’économie nationale, notamment en termes de revenus, reste faible.
Un rapport de l’Inspection général d’Etat (IGE) de 2014 comptait seulement 14 milliards de FCFA de bénéfices perçus par l’Etat du Sénégal sur une période de 15 ans.
Un rapport de l’Inspection général d’Etat (IGE) de 2014 comptait seulement 14 milliards de FCFA de bénéfices perçus par l’Etat du Sénégal sur une période de 15 ans. Fort heureusement, avec les différentes interventions des acteurs de la « société civile », le secteur s’est invité dans le débat national dans les années 2010-2012, au point de favoriser la candidature du Sénégal à l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) http://itie.sn/. Cette candidature a été annoncée en décembre 2011 lors d’une déclaration de l’ancien président de la République, ensuite entérinée lors du conseil des ministres du 3 février 2012.
Quelques années plus tard, cette volonté est rendue effective par l’actuel président qui officialise l’adhésion du Sénégal en octobre 2013 à l’ITIE. Aujourd’hui la question de la gouvernance des ressources minérales devient centrale compte tenu des grands bouleversements que connaît ce secteur.
De la dépendance totale à la manne bénie ?
Le Sénégal est un pays qui dépend de l’extérieur de par les caractéristiques de son économie, de sa consommation d’énergie et particulièrement des produits d’hydrocarbures. Il faut espérer que le pays passe de cette dépendance à une autosuffisance si la manne annoncée est bien gérée. Il suffit de voir comment les produits tirés des ressources minérales impactent positivement sur la balance de paiement des exportations jusqu’à hauteur de 23%. Il est donc raisonnable de penser à une révolution des statistiques économiques si on réussit à mettre en place un bon système de gouvernance du secteur avec une utilisation stratégique des revenus générés.
Des efforts de transparence qui mettent à nu les faiblesses de la gouvernance du secteur
On a tendance à réduire la question de la transparence du secteur minéral à la publication du rapport ITIE. C’est une grave erreur et cela est une perception très minimaliste de la dimension de la transparence. L’ITIE est une initiative qui obéit à des normes standards. Elle se préoccupe de la disponibilité des données relatives aux paiements émis par les entreprises et perçus par l’Etat à travers ses institutions publiques.
Elle fournit ainsi une base de données relativement intéressante pour un suivi et un contrôle efficace du secteur. Elle vient renforcer un cadre préexistant constitué de règles juridiques et d’institutions de contrôle. Cette initiative vise surtout à appuyer les dynamiques citoyennes favorables à une gestion transparente des ressources publiques. Cependant, le rapport révèle aussi des manquements sur la gouvernance globale des ressources minérales au Sénégal.
Ce sont encore les entreprises privées étrangères qui fournissent les données relatives aux gisements. Une sorte de dé-patrimonialisation qui ne dit pas son nom.
La disponibilité des informations concernant la gestion des ressources pétrolières est un réel problème. En effet, ce sont encore les entreprises privées étrangères qui fournissent les données relatives aux gisements. Une sorte de dé-patrimonialisation qui ne dit pas son nom. Même si on peut évoquer l’existence du cadastre minier, il n’en existe pas encore pour le secteur pétrolier. La question de la propriété des ressources minérales est aussi pendante.
Par ailleurs le rapport ITIE met en évidence la non application de la loi 2012 -22 du 27 -12- 2012 portant Code de transparence qui exige la publication de tous les contrats miniers. Tout ceci montre qu’il y a bien d’autres facteurs et paramètres à prendre en considération pour juger de la transparence d’un système de gestion de ressources minérales.
Affaire Petro-Tim, des promesses non tenues…un débat encore pendant
Petro-Tim est une société d’exploitation dont « l’objet social est l’exploration et la recherche pétrolière; la prise de participation dans tous titres miniers et pétroliers, l’exploitation, la production, le stockage temporaire, le traitement, le transport, le raffinage, la distribution, le marketing et la commercialisation ». Définition tirée sur le site web de la société. Cette société dispose d’un contrat de recherche et d’exploration d’hydrocarbures avec l’Etat du Sénégal.
Le 17 janvier 2012, le contrat Petro-Tim LTD – Petrosen – Etat du Sénégal portant sur la recherche et le partage de production sur les permis de Cayar Offshore profond et Saint- Louis Offshore a été signé. Ce contrat a suscité beaucoup d’interrogations au sein de la classe politique et de la société civile que la presse a repris sous le nom de « l’Affaire Petro-tim ». http://www.gouv.sn/Point-de-situation-sur-les.html.
Il reste donc à vérifier si les demandes de cession ont été approuvées par le ministère de l’Energie ou si des autorisations préalables ont été octroyées aux acquéreurs pour procéder à ces transactions douteuses.
Le rapport ITIE est resté muet sur l’Affaire Petro-Tim. Il ne mentionne que les procédures convenues entre le comité national et l’administrateur indépendant qui n’ont pas pour objet d’effectuer un audit des revenus extractifs, ni de déceler des erreurs, actes illégaux ou autres irrégularités. En d’autres termes, le rapport se limite strictement aux termes de référence qui ne prévoient pas le contrôle des opérations avec ladite société. Il invoque (en se référant à l’article 8 du code pétrolier) l’existence de deux cas de cessions (Petro-tim-Timis corporation/ Timis Corporation – Kosmos) en évitant de vérifier si les conditions prévues ont été remplies pour ces deux opérations.
Il reste donc à vérifier si les demandes de cession ont été approuvées par le ministère de l’Energie ou si des autorisations préalables ont été octroyées aux acquéreurs pour procéder à ces transactions douteuses.
Petrosen, un acteur public incontournable dans le secteur pétrolier
La société des pétroles du Sénégal (Petrosen) est une société anonyme à participation publique majoritaire avec une situation assez ambiguë dans l’architecture institutionnelle de la gouvernance du secteur des hydrocarbures. En effet, Petrosen représente l’Etat du Sénégal dans sa participation aux opérations pétrolières dans les sociétés contrôlées par les privés et en même temps, elle assume plusieurs autres fonctions de souveraineté comme la promotion du bassin sédimentaire, la gestion des intérêts stratégiques de l’Etat dans le secteur, notamment dans les contrats de partage de production, sur la gestion de la chaîne de valeur, la commercialisation et l’exploitation. La société assure également pour le compte de l’Etat du Sénégal le suivi et le contrôle technique des opérations.
Il est donc impératif de mettre en place un arsenal institutionnel plus adapté qui sépare les différents rôles et échelles de la chaine d’exploitation, de transport, de transformation et de commercialisation des produits des hydrocarbures. Ainsi le Comité d’orientation stratégique du pétrole et du gaz, dont la constitution n’est pas encore précisée ne devrait pas être une seule réponse politique au débat dans un contexte d’opacité. Sa mise en place devrait répondre à une impérieuse nécessité de prise en charge sereine des nouveaux enjeux du secteur.
Les ressources naturelles sont-elles pour autant au bénéficie du peuple à qui elles appartiennent ?
La constitution du Sénégal adoptée par référendum en mai 2016 dispose que les ressources naturelles appartiennent désormais au peuple sénégalais. Cette disposition juridique remet en cause la réglementation opératoire en vigueur sur la question de la propriété des ressources. En effet, les dispositions du code minier et du code pétrolier stipulent que les ressources naturelles appartiennent à l’Etat du Sénégal. A ce niveau il y a donc lieu de faire une harmonisation. Il se pose aussi la question de la représentativité du peuple dans les processus de négociation et de contrôle des ressources minérales.
Le peuple est – il uniquement représenté par le président de la république et son gouvernement ? Ne devrait-on ouvrir le processus de gouvernance des ressources minérales en amont et en aval, au parlement, aux élus locaux et aux associations citoyennes et communautaires ? L’implication de ces dernières catégories représentatives des citoyens devrait se faire à tous les niveaux de la stratégie de gouvernance du secteur et de manière multipartite et paritaire.
La situation des collectivités locales et des populations vivant dans les zones minières est davantage préoccupante. Celles-ci vivent généralement dans la précarité et la pauvreté extrême. La Responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) peut être un outil de prise en charge des besoins des populations au-delà des paiements obligatoires. Cet instrument devrait être intégré dans le cadre d’une stratégie nationale RSE qui impliquerait l’ensemble des acteurs pour définir les priorités locales et aller au-delà de la simple volonté des entreprises qui l’utilisent souvent dans un but philanthropique voire même de marketing social.
Le Comité d’Orientation Stratégique Pétrole-gaz devrait partir de cette considération pour être un organe consultatif dans la définition de la stratégie nationale du secteur et pour piloter les réformes urgentes à faire dans ce secteur.
L’Etat ne dispose pas de moyens pour assurer une surveillance administrative et technique adéquate. Les différents codes, minier, pétrolier et le code général des impôts permettent des exonérations fiscales et douanières pour les titulaires de permis d’exploitation et de concessions minières sur les trois premières années.
De la nécessité de réformer le cadre juridique et institutionnel de gouvernance du secteur des hydrocarbures
Le processus ayant abouti à la réforme du code minier enregistre des avancées incisives sur les questions de transparence et de prise en compte du contenu local (http://www.appa.int/pub/localcontentappa.pdf). Toutefois, Il est urgent de s’attaquer au code pétrolier et surtout d’ouvrir les travaux à l’ensemble des parties prenantes pour aller dans le sens d’un consensus qualitatif autour des nouveaux enjeux de ce secteur. Au-delà du code, des préoccupations majeures concernant l’architecture institutionnelle et la gestion des revenus sont identifiées.
Renforcer la transparence, l’efficacité fiscale et prévoir les générations futures dans la gestion des ressources
D’autres réformes s’imposent au niveau du cadre juridique et du système de mobilisation des revenus générés par le secteur. A cet effet, la réforme en cours du code pétrolier devra être rapidement élargie à d’autres acteurs particulièrement les parlementaires et les organisations citoyennes. La réforme devra être discutée publiquement avec les communautés qui seront impactées par ces opérations. Ceci pour mieux cerner les impacts économiques, sociaux et environnementaux et anticiper sur les risques encourus tout en assurant une mobilisation de revenus conséquents suffisamment importants pour participer à la transformation de la structure économique du pays.
La réforme en cours du code pétrolier devra être rapidement élargie à d’autres acteurs particulièrement les parlementaires et les organisations citoyennes. La réforme devra être discutée publiquement avec les communautés qui seront impactées par ces opérations.
Le nouveau code devrait renforcer les dispositions de transparence dans l’octroi des contrats et conventions, bannir les incitations fiscales et permettre un plus strict contrôle des opérations et des comptes des entreprises exploitantes. Par ailleurs, la répartition des ressources générées devraient se faire dans un esprit de consensus, d’intégrité, d’esprit républicain et patriotique.
Pour cela, il est important de tenir compte des réserves de fonds de stabilité et de progression, des fonds destinés à des investissements de diversification des secteurs économiques moteurs (mix-énergie, agriculture, pêche, élevage,…) et des fonds souverains destinés aux futures générations. Une partie des revenus tirés de l’exploitation des ressources minérales devrait prioritairement être allouée aux dépenses sociales pour réduire la pauvreté et la précarité qui hante encore une grande partie des Sénégalais.
Photo credit: Actusen.com
Expert en gouvernance – développement international et management de projet, Elimane Kane est actuellement responsable du programme gouvernance à l’ONG Oxfam au Sénégal. Il a été chargé de programme, ensuite directeur exécutif du Forum civil, la section sénégalaise de Transparency International. Il a coordonné plusieurs programmes dans le domaine de la gouvernance, de la lutte contre la corruption et de l’éducation citoyenne. Il est aussi administrateur-fondateur de l’institut supérieur panafricain de formation ISAF-Kangforé. Il est également membre-fondateur de l’association panafricaine LEGS-Africa (www.legs-africa.org ).