![Tchad-France : la fin d’une alliance militaire et vers une nouvelle ère de souveraineté ?](https://wathi.org/wp-content/uploads/2025/02/chad-fr-deby-macron-600x600.png)
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Samah Amat
Le 30 janvier 2025, l’armée française a rétrocédé sa dernière base à N’Djamena, mettant fin à près de cinq décennies de présence militaire au Tchad. Cette décision, présentée comme un acte de souveraineté par les autorités tchadiennes, marque un tournant historique dans les relations entre les deux pays. Depuis le ralliement du Tchad à la France libre en 1940, cette coopération militaire, formalisée par l’accord de 1976, a oscillé entre soutien au pouvoir en place et interventions controversées. Pilier de la stratégie française au Sahel, le Tchad a joué un rôle clé dans la lutte contre le terrorisme, grâce à sa position géographique stratégique et aux capacités opérationnelles de ses forces armées.
La mort d’Idriss Déby en 2021, figure centrale de cette alliance, a cependant ouvert une période d’incertitude. Son fils, Mahamat Idriss Déby, a d’abord maintenu les engagements militaires de son père, avant de rompre les accords de défense en novembre 2024, au nom de la souveraineté nationale. Cette décision, qualifiée de tournant historique, soulève une question cruciale: comment le Tchad peut-il redéfinir ses partenariats stratégiques sans compromettre la stabilité régionale ?
Une coopération historique ancrée dans la stabilité régionale
La coopération militaire entre la France et le Tchad s’est construite autour d’un discours de stabilité et de lutte contre l’insécurité régionale. Présenté comme un “verrou stratégique” par les autorités françaises, le Tchad a longtemps été perçu comme un pilier de la politique de défense française en Afrique. Cette vision repose sur l’idée que la présence militaire française contribue à maintenir un équilibre sécuritaire dans une région marquée par les conflits au Soudan, en Libye en Centrafrique ou encore au Sahel.Ce discours officiel français s’est construit autour de la rhétorique de la stabilité, présentant l’engagement militaire français au Tchad comme nécessaire pour prévenir le chaos. Ainsi, lors d’une intervention devant la Commission des affaires étrangères en mai 2021, Jean-Yves Le Drian déclarait : “Le sujet du Tchad, ce n’est pas uniquement le sujet du Tchad. C’est aussi globalement la sécurité du Sahel, et c’est aussi la sécurité de l’Europe, puisque le Tchad, c’est un peu la frontière sud de l’Europe.”
En désignant le Tchad comme un rempart contre les menaces régionales, ce type de discours a justifié la présence militaire française sur le long terme. Si Mahamat Idriss Déby a d’abord adopté une posture conciliante envers la France, en soulignant la nécessité de préserver la coopération militaire en novembre 2021, un glissement sémantique s’est opéré dès 2022, intégrant progressivement des éléments de souverainisme.
Parallèlement aux évolutions du discours officiel, la contestation populaire de la présence militaire française s’intensifie. Un des épisodes marquants a eu lieu en mai 2022, lorsque la plateforme Wakit Tamma, mouvement réunissant une trentaine de partis d’opposition, d’organisations de la société civile et de jeunes, dont les Transformateurs de Succès Masra, ont organisé une manifestation dénonçant la politique française au Tchad.
La coopération militaire entre la France et le Tchad s’est construite autour d’un discours de stabilité et de lutte contre l’insécurité régionale. Présenté comme un “verrou stratégique” par les autorités françaises, le Tchad a longtemps été perçu comme un pilier de la politique de défense française en Afrique. Cette vision repose sur l’idée que la présence militaire française contribue à maintenir un équilibre sécuritaire dans une région marquée par les conflits au Soudan, en Libye en Centrafrique ou encore au Sahel
L’événement est marqué par des actes symboliques forts, tels que la destruction de stations-service Total, groupe énergétique français hautement influent en Afrique, ou le brûlage de drapeaux français. Cet épisode illustre une contestation croissante des mécanismes de coopération postcoloniaux et une remise en cause des accords de défense, perçus comme un frein à la souveraineté nationale. Portée notamment par une jeunesse tchadienne en quête de nouvelles alternatives, cette mobilisation montre une opposition aux pratiques militaires et diplomatiques françaises, qui va au-delà d’’un simple rejet idéologique de la France.
Face à cette dynamique, la France a tenté d’adapter son approche, multipliant dès 2021 les déclarations justifiant une présence militaire “révisée” et “plus agile”. Cependant, ces ajustements rhétoriques et opérationnels n’ont pas suffi à apaiser les tensions, menant à la rupture des accords de défense en novembre 2024.
Quel avenir pour la coopération sécuritaire du Tchad et ses voisins ?
La décision du Tchad s’inscrit dans une tendance régionale : celle de plusieurs États (Mali, Burkina Faso, Niger) à remettre en question les accords de défense avec la France. Au-delà du simple rejet d’un modèle de coopération hérité du passé, ces États cherchent à diversifier leurs partenariats (Russie, Turquie, Chine, etc.), définissant leurs priorités sécuritaires en fonction de leurs propres intérêts.
En amont, le Tchad a accéléré la diversification de ses alliances, se tournant vers de nouveaux partenaires comme la Russie, la Turquie, la Chine et la Hongrie,. L’armée tchadienne est souvent présentée comme l’une des plus opérationnelles de la région, bénéficiant d’une expérience de combat éprouvée dans la lutte contre le terrorisme au Sahel et autour du lac Tchad. Avec un effectif estimé entre 40 000 et 65 000 soldats, elle a joué un rôle central dans plusieurs interventions régionales, notamment au Mali en 2013 et dans la lutte contre Boko Haram depuis 2014.
Cette réputation a fait du Tchad un acteur incontournable de la sécurité en Afrique centrale et sahélienne. Malgré ses capacités militaires importantes, le Tchad fait face à de nombreuses menaces, notamment les attaques récurrentes de Boko Haram dans la région du lac Tchad. Dernière illustration en date, celle de l’attaque djihadistes en octobre 2024, contre une base militaire tchadienne ayant causé la mort d’au moins 40 soldats. Avec la fin du G5 Sahel, dont le Tchad et la Mauritanie ont officiellement acté la dissolution en décembre 2023, la nécessité d’un nouveau cadre de coopération sécuritaire se fait sentir.
L’un des scénarios envisageables serait un rapprochement avec l’Alliance des États du Sahel (AES), créée en septembre 2023 par le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Cette confédération cherche à rompre avec l’influence occidentale et à bâtir un modèle de défense panafricain et souverain. Le Tchad a déjà participé à des exercices militaires avec l’AES et le Togo, signalant un intérêt potentiel pour cette alliance.
Cependant, plusieurs éléments compliquent une telle intégration. Plutôt qu’un alignement total, le Tchad pourrait favoriser des partenariats militaires bilatéraux avec la Russie, la Turquie ou la Chine, tout en préservant certains liens avec la France et d’autres puissances. L’AES considère certains États comme des adversaires hostiles. Or, le Tchad, bien que souverainiste, maintient des relations avec des puissances extérieures et pourrait ainsi hésiter à rejoindre officiellement une alliance perçue comme opposée à ces acteurs.
L’armée tchadienne est souvent présentée comme l’une des plus opérationnelles de la région, bénéficiant d’une expérience de combat éprouvée dans la lutte contre le terrorisme au Sahel et autour du lac Tchad
Ainsi, si la souveraineté militaire du Tchad est une priorité affichée, son avenir sécuritaire dépendra de sa capacité à équilibrer ses alliances sans se retrouver pris dans les clivages géopolitiques croissants entre blocs régionaux. La rupture des accords de défense franco-tchadien et la diversification des partenariats ne signifie donc pas nécessairement l’émancipation. Changer de partenaire sans modifier en profondeur les dynamiques de coopération risque d’entraîner une simple substitution d’influence. Dès lors, une question essentielle demeure : comment éviter que cette diversification ne se limite à un simple changement d’alliances sans aboutir à une réelle autonomie stratégique ?
Pour que cette rupture soit plus qu’un ajustement géopolitique, il est essentiel que le Tchad adopte plusieurs mesures de fond. Tout d’abord, investir dans ses forces armées ne devrait pas se limiter à l’acquisition de matériel militaire auprès de nouveaux partenaires, mais également à la création d’une industrie de défense locale. Cela inclut la formation de cadres militaires autonomes et l’amélioration des infrastructures stratégiques, dans l’objectif de réduire la dépendance aux appuis extérieurs. Si le Tchad envisage une coopération avec une organisation telle que l’AES, cette démarche devra être pensée dans une logique de complémentarité plutôt que de confrontation entre blocs.
Le pays pourrait alors jouer un rôle pivot, en cherchant à éviter une posture d’alignement exclusif, et en favorisant des partenariats équilibrés qui renforcent sa position régionale. Une telle coopération permettrait au Tchad de contribuer activement à la stabilité régionale tout en préservant son autonomie et ses intérêts stratégiques. Il est primordial que le Tchad renforce ses capacités locales pour assurer une sécurité durable. La défense nationale ne repose pas seulement sur les forces armées, mais aussi sur des institutions solides et une coordination renforcée entre les forces de défense et les acteurs civils.
Crédit photo: senegal5.com
Samah Ahmat est étudiante en Master de Conflits et crises internationales à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Elle s’intéresse particulièrement aux enjeux de paix et des conflits armés dans la zone sahélienne.