Dourandji Jean Martin Leoba
Jadis, l’évocation du Tchad dans les médias internationaux renvoyait à la guerre et à la famine entre autres. Aujourd’hui encore, malgré l’accalmie, l’actualité tchadienne reste largement dominée par les questions militaires. C’est à se demander si finalement ce pays d’Afrique centrale n’a pas fait du sécuritaire sa vocation. Les discours officiels corroborent cette thèse si bien que les préoccupations des Tchadiens soient ailleurs.
En réalité, et pour comprendre cette situation, il faut a priori reconnaître que les gouvernements successifs depuis 1960 n’ont guère accordé la priorité à autre chose qu’à un secteur qui leur permet de contrer d’une part l’opposition armée, et d’autre part, de se maintenir au pouvoir. Il s’ensuit donc que le développement économique a été occulté par les luttes personnelles pour le pouvoir. Ainsi, aussi bien les dirigeants tchadiens eux-mêmes que les partenaires internationaux, n’ont daigné placer l’économie au rang de première priorité.
Bien entendu, cet échec se traduit par un retard considérable dans les infrastructures, l’accès des populations aux services de base et tout naturellement des indicateurs sociaux alarmants. Il en découle que le pays se retrouve au dernier rang des classements de développement malgré qu’il soit producteur de pétrole depuis vingt-ans.
Les nombreuses ressources dont regorge le pays
En effet, l’ensemble du territoire du pays est doté d’immenses ressources naturelles, d’une part, entre autres, le pétrole, l’uranium, le fer, le cuivre, et d’autre part, des ressources qui font la spécificité du Tchad. Ces ressources qui confèrent donc un avantage différenciatif important sont la gomme arabique, le coton, la spiruline, le karité, le sésame.
Jadis, l’évocation du Tchad dans les médias internationaux renvoyait à la guerre et à la famine entre autres. Aujourd’hui encore, malgré l’accalmie, l’actualité tchadienne reste largement dominée par les questions militaires
Si le pétrole qui place le pays au dixième rang africain avec une réserve de 1,5 milliard de barils, est à ce jour l’unique ressource naturelle judicieusement exploitée, la répartition et la gestion de sa rente demeurent largement discutables. Encore que la nationalisation du principal bassin de production, décision hautement risquée, pourrait compromettre les perspectives.
Quant à l’or, si son existence est prouvée dans plusieurs provinces du pays, son exploitation artisanale prive l’État de ressources financières additionnelles et crée des tensions récurrentes importantes pour son contrôle. Dans le secteur agricole, l’élevage tchadien confère au pays le troisième rang en Afrique tout comme l’agriculture qui lui offre de nombreux atouts. Il demeure tout aussi important de signaler les atouts indéniables du Tchad dans les secteurs du tourisme ou encore de l’artisanat. L’on convient, tant il est vrai, que l’exploitation de ces ressources et la bonne gestion de leur rente peut vraiment placer le Tchad au rang de puissance émergente. Ce passage en revue non exhaustif montre bien la quantité de ressources dont dispose le Tchad.
La responsabilité des dirigeants politiques
La responsabilité de développer un territoire revient aux dirigeants politiques. Ceux-ci doivent imaginer les solutions nécessaires et identifier les moyens pour y parvenir. Toutefois l’on convient que pour le cas du Tchad, la faiblesse des ressources financières intérieures a expliqué en partie le sous-développement jusqu’ à la fin des années 1990. Mais depuis l’entrée en activité des champs pétroliers de Doba en 2003, les ressources financières ont commencé à abonder. Malheureusement, la tradition de développement n’existant pas, les dépenses improductives et militaires ont considérablement et rapidement accru au détriment des dépenses d’investissement. Tout comme la gabegie qui a suivi n’a pas permis le décollage économique.
Si le pétrole qui place le pays au dixième rang africain avec une réserve de 1,5 milliard de barils, est à ce jour l’unique ressource naturelle judicieusement exploitée, la répartition et la gestion de sa rente demeurent largement discutables
La responsabilité des dirigeants est d’autant engagée que l’on constate ces dernières années une forte hausse du chômage et une paupérisation accrue de la population ainsi que des perspectives quasi nulles pour les jeunes. Aussi, les mauvais choix répétitifs des dirigeants constituent un fardeau pour les finances de l’État. Il leur revient d’inverser l’ordre des priorités. Il est aussi de leur responsabilité d’éviter les situations de gaspillage des ressources et de garantir une allocation optimale de celles-ci.
Les dirigeants tchadiens qui ont jusque-là montré peu d’empressement pour le développement de leur pays vont-ils rectifier le tir ? La réponse affirmative n’est pas certaine à ce stade mais il existe cependant un élément de pression très important, la nouvelle génération portée par le charismatique opposant Succès Masra. Économiste de formation et ancien de la Banque africaine de développement, celui-ci doit son succès actuel à son discours innovateur et son ‘’obsession’’ pour la transformation économique du Tchad loin des discours ‘’archaïques’’ d’en face. Les pouvoirs tchadiens gagneraient à adopter la même posture que leur principal opposant.
Politiques publiques peu ambitieuses
En matière de politique publique, les résultats sont tout aussi désastreux. Ceci explique la médiocrité des indicateurs de développement plaçant systématiquement le Tchad dans le dernier rang des différents classements de l’IDH (indice de développement humain), de compétitivité, de la bonne gouvernance, etc. Que ce soit dans le domaine de l’éducation, de la santé, de l’accès à l’eau ou à l’électricité, les besoins demeurent entiers. Par exemple, le taux d’accès à l’électricité est de 11% selon la Banque mondiale contre 53% pour l’eau. Ce qui est inconcevable dans un pays ensoleillé en permanence toute l’année et inondé par de nombreux cours d’eau. Pour couronner ces différents échecs, le nombre de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté est passé de 4,7 millions à 6,5 millions entre 2011 et 2018.
Aussi faut-il voir en ces résultats le manque d’ambition des dirigeants tchadiens plus enclins à engager le pays et ses ressources sur les questions militaires que pour améliorer la vie de leurs concitoyens.
Malheureusement, la tradition de développement n’existant pas, les dépenses improductives et militaires ont considérablement et rapidement accru au détriment des dépenses d’investissement. Tout comme la gabegie qui a suivi n’a pas permis le décollage économique
Autre fait marquant du peu d’ambitions des dirigeants tchadiens, en considérant le budget général de l’État, celui-ci est insuffisant pour un pays de 17 millions d’habitants. Il oscille entre 900 et 1500 milliards de FCFA en dépenses. Et pourtant des pays démographiquement inférieurs comme le Gabon ou la République du Congo ont dépassé ce seuil. Tout comme d’autres pays sahéliens, tels que le Niger ou le Burkina Faso.
A contrario, le Tchad qui est relativement peu endetté par rapport à son PIB, conserve sa capacité, bien que des risques d’autres natures subsistent, à emprunter pour financer son développement. Il advient qu’en vérité, avec un budget modeste, les moyens de développement soient, toutes choses étant égales par ailleurs, limités.
Faire des arbitrages équitables
Pour maintenir l’équilibre, les dirigeants doivent répartir de manière équitable les ressources nationales. A cet égard, les secteurs productifs doivent avoir une attention particulière. Car créateurs de richesse et pourvoyeurs d’emplois pour les jeunes. Il est d’autant plus urgent de développer le Tchad que ce pays après vingt ans d’exploitation pétrolière présente quasiment les mêmes caractéristiques qu’il ne l’est avant son entrée dans le cercle des producteurs.
S’il est vrai que la sécurité est un facteur d’attractivité, la négligence du développement génère l’insécurité et constitue un facteur de répulsion. Point n’est besoin de rappeler que dans le contexte de montée du terrorisme, la pauvreté en constitue un terreau, et le pays se doit d’être performant d’abord économiquement puis sécuritaire ensuite. Il apparaît dès lors que dans le contexte tchadien un choix s’impose : opter pour la rupture, ce qui signifie mettre en place une politique pro-développement aux effets bénéfiques inclusifs ou faire le choix de la continuité c’est-à-dire du renforcement disproportionné des forces armées au prétexte de la sécurité au service exclusif des dirigeants.
Image d’illustration: Agenceafrique
Dourandji Jean Martin Leoba est un économiste et un entrepreneur tchadien diplômé des universités Adam Barka d’Abéché et de Yaoundé II. Anciennement employé de la microfinance dans son pays, il est actuellement en stage au Nkafu Policy Institute à Yaoundé.
2 Commentaires. En écrire un nouveau
Un article intéressant. En ma qualité d’economiste de développement, je valide l’integralité de cette pertinente analyse.
Les dirigeants africains ne savent définir les ordres de priorité en matière d’investissements malgré d’importantes mannes financières tirées de l’exploitation des ressources énergétiques nouvelles découvertes dans leurs sous-sols. Ce qui risque d’arriver à des pays comme le Sénégal qui, devant commencer à exploiter le pétrole et gaz récemment découverts, s’est déjà trop endetté à environ 75% de son PIB. Ce qui lui laisse, avec un service de la dette trop élevé, peu de place pour des investissements productifs.