Safiyatou Demba
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) explique dans son 6ème rapport publié en 2023 qu’il est nécessaire de réduire les émissions de CO2 de 40 % d’ici 2030 afin de limiter le réchauffement de la planète à 1,5°C, conformément aux estimations les plus optimistes des scénarios envisagés par les chercheurs. Cependant, la répartition de la responsabilité des émissions des gaz à effet de serre (GES), n’est pas homogène au niveau mondial.
On observe que la contribution est inégale entre les régions, l’Amérique du Nord et l’Europe représentaient à elles seules plus d’un tiers des émissions anthropiques nettes cumulées de CO2 de 1850 à 2019. Ceci s’explique en partie par la forte période d’industrialisation qu’ont connu les pays développés avec l’utilisation de nouvelles sources d’énergie, à partir de gaz et de pétrole, et du développement de la chimie. Aussi l’utilisation des armes chimiques et de la bombe atomique ont eu un impact désastreux sur notre écosystème.
Bien que la part des émissions soit plus importante dans les pays occidentaux, les effets se dirigent vers les pays plus vulnérables et ayant contribués le moins au dérèglement climatique. En Afrique sub-saharienne qui ne représentait que 3,2% des émissions en 2023, le changement climatique affecte la disponibilité de l’eau et la production agricole. Ces impacts ont des répercussions directement sur la sécurité alimentaire, la santé, et conduit à une migration forcée des populations.
Le fond international de développement agricole anticipe une diminution des rendements de blé d’au moins 25%, et de riz d’au moins 10% en Afrique de l’Ouest et centrale d’ici 2050 si les émissions de GES continuent d’augmenter.
Plus de temps à perdre
L’accord de Paris regroupe un total de 195 pays dont 48 d’Afrique sub-saharienne. Tous les États signataires s’engagent à réduire leurs émissions de GES, afin de limiter la température mondiale à 1,5 ° C. Dans ce contexte, la transition énergétique apparaît comme un moyen efficace pour atteindre l’objectif de décarbonisation.
La situation énergétique du continent Africain est encore loin de celle des pays développés. Alors que les pays développés cherchent à décarboniser leur consommation énergétique, l’Afrique est encore en quête d’accès énergétique pour sa population. En 2022, 80% de la population vivant sans accès à l’électricité vivaient en Afrique sub-saharienne.
Par ailleurs, l’impact environnemental des méthodes d’extraction actuelle contredit l’objectif même de ces technologies. Il est urgent d’investir dans des méthodes d’extraction plus respectueuses de l’environnement
Un nouveau modèle énergétique est donc nécessaire afin de maintenir un niveau optimal de consommation énergétique dans le monde tout en intégrant les populations privées de cette consommation, et en limitant les émissions de gaz à effet de serre. Selon le scénario « Net Zéro Émissions » de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), le développement des énergies renouvelables pourrait représenter 90% de la demande mondiale d’ici 2050.
Toutefois la production de ces technologies – (panneaux solaires, éoliennes, hydroélectrique) dépendent essentiellement de matières premières qui font l’objet d’une veille stratégique par les États afin d’assurer leur approvisionnement. La Banque africaine de développement publie, dans son rapport en 2022, une liste de 33 matériaux stratégiques qui « sont utilisés dans les technologies d’énergie propre et les industries vertes, maximisent les bénéfices des ressources minérales de l’Afrique et servent de matières premières pour l’industrialisation basée sur les ressources des industries de l’énergie propre. ».
Au plus profond des sols
Selon l’U.S. Geological Survey en (2024), nous pouvons fournir un aperçu de la production de 14 pays Africains des matériaux stratégiques par rapport au reste du monde en 2023. On observe que certains pays comme la République Démocratique du Congo (RDC) dominent la production mondiale de cobalt. D’autres pays, tels que la Guinée, se distinguent par leur domination dans la production de bauxite. Cette concentration de la production dans quelques pays souligne l’importance stratégique de ces matériaux pour l’économie de ces nations. Bien que ces ressources soient exportées à faible coût vers des raffineries situées dans des pays industrialisés, les retombées économiques pour les États africains restent limitées. En moyenne, seuls 40 % des recettes issues des matières premières africaines sont captés par les pays producteurs.
Par ailleurs, l’impact environnemental des méthodes d’extraction actuelle contredit l’objectif même de ces technologies. Il est urgent d’investir dans des méthodes d’extraction plus respectueuses de l’environnement. Certaines entreprises tentent de s’engager dans le développement local, mais ces efforts restent insuffisants pour compenser les impacts négatifs.
Le futur énergétique est déjà là
L’Afrique est appelée à jouer un rôle clé dans la transition énergétique mondiale, mais pas au prix de son propre développement. Pour éviter que le continent ne soit réduit à un simple fournisseur de matières premières, il est impératif de développer des infrastructures industrielles solides et de structurer des chaînes de valeur locales.
Les décideurs africains doivent œuvrer pour maximiser les retombées économiques des ressources stratégiques tout en limitant leur impact écologique. En augmentant les capacités locales d’extraction, de transformation et de commercialisation des matériaux critiques, l’Afrique pourrait stimuler la création d’emplois, renforcer ses économies locales et s’affirmer comme un acteur stratégique sur la scène internationale.
Avec des stratégies adaptées et inclusives, la transition énergétique pourrait se transformer en un puissant levier de développement pour le continent. Ce futur énergétique est déjà en cours, et il appartient à l’Afrique de le façonner à son avantage.
Crédit photo: aecfafrica.org
Safiyatou Demba est diplômée d’un Master en Ingénierie mathématique appliquée à la finance et d’un Master 1 en Économie. Passionnée par les questions de financement et les enjeux économiques en Afrique, elle se spécialise dans l’analyse des mécanismes de transition énergétique.