Dr Aly Tounkara
Le président de la transition Assimi Goita a mis en place en janvier 2024 un organe de dialogue exclusivement porté par des Maliens en vue d’arriver à une paix et une stabilité durable, tant souhaitées et recherchées par et pour le Mali. Cette décision intervient après la révocation de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger de 2015, qui liait l’État du Mali et les groupes armés signataires.
Il faut rappeler qu’en effet, ce dialogue inter-malien est une reprise éternelle des initiatives déjà développées en termes de recherche de paix, dont les résultats peinent à être mis en œuvre. Même s’ils sont mis en œuvre, leurs incidences sont largement en deçà des attentes légitimes formulées par les communautés à la base. Partant de ce constat, nous sommes tentés de penser que les différents diagnostics qui ont sous-tendu les dialogues antérieurs étaient soit biaisés en termes d’analyse et de propositions soutenues, par la qualité des participants et participantes aux différents débats ou souffraient de la volonté politique pour la transformation des maux qui affaissent les terroirs en proie aux conflits tous azimuts, en de vraies opportunités durables de paix et de réconciliation.
Un comité de pilotage pluriel mais pour quelle efficacité ?
Malgré sa diversité, la composition du comité de pilotage semble manquer de courage et de vision, selon plusieurs articles et documents scientifiques rédigés par des chercheurs nationaux et des partenaires au développement, qui soulignent en effet le caractère rigoureux et scientifique d’une telle démarche. Ce projet aurait dû être confié à une cohorte de jeunes pétris d’expérience du terrain assistée d’un conseil d’orientation pouvant être constitué de personnes ressources irréprochables et aux compétences avérées. Un comité de 150 personnes pourrait paraître inefficace. Fallait-il miser sur le nombre de personnes au détriment des compétences requises pour mener à bien ce projet ? La préférence semble avoir été donnée à la représentation des communautés et de la société civile.
Un accent particulier aurait été mis sur l’expertise des acteurs en charge d’animer ce dialogue pour acquérir une cartographie actualisée et circonstanciée des conflits, cela aurait pu servir de feuille de route pour d’éventuelles recommandations actionnables. En outre, pour plus d’efficacité et de pertinence, le comité de pilotage devait tendre la main à tous les acteurs de la violence, y compris les groupes radicaux violents avec le référentiel musulman et les ex-séparatistes.
Il faut rappeler qu’en effet, ce dialogue inter-malien est une reprise éternelle des initiatives déjà développées en termes de recherche de paix, dont les résultats peinent à être mis en œuvre. Même s’ils sont mis en œuvre, leurs incidences sont largement en deçà des attentes légitimes formulées par les communautés à la base
Les chances pour aboutir à un résultat objectif sont réduites dès lors que ce dialogue a explicitement misé sur les personnes qui sont déjà favorables à l’État. Surtout, quand on sait que le dialogue entre communautés est certes tendu mais très souvent instrumentalisé, voire manipulé par les groupes radicaux violents. De ce fait, tout dialogue qui mettrait précisément de côté ces groupes est un dialogue qui s’inscrirait dans le déni de l’évidence ou l’ignorance des facteurs réels (pas nécessairement officiels brandis de part et d’autre) de conflictualité.
Quoi qu’il en soit, aucun Malien ne doit se sentir écarté ou marginalisé. Aucune solution ne sera durable que si tous les acteurs y adhèrent et s’y reconnaissent tout en s’appropriant pleinement du projet. Notre papier sert de sentinelle en posant le débat sous forme d’hypothèses susceptibles de conduire au succès ou à l’échec du dialogue. Ce dernier n’est point notre souhait tant son impact influencera négativement le processus général de gouvernance du pays. Les meilleurs résultats dépendront de l’ouverture du cadre de dialogue à tous les Maliens. Le temps donné au comité de pilotage du dialogue semble être le premier facteur limitant du processus. Le mois est déjà écoulé sans que le processus ait démarré effectivement. La fixation d’une nouvelle échéance préfigure l’impréparation du dialogue ou la faible attention qui sera accordée aux résultats du dialogue. Car, à la fin, tout est aussi question de temps. La mise en œuvre des recommandations en aura plus besoin que la mise en synergie des acteurs et actrices pour produire lesdites recommandations.
Des recommandations contextualisées et non génériques
La lecture des conclusions des dialogues précédents nous donne l’impression d’une uniformisation des conflits et de la généralisation des acteurs en présence. Or, il se trouve que les facteurs de la conflictualité à Farabougou, ou à Macina (centre du Mali), sont différents de ceux qui sous-tendraient les conflits à Ouatagouna ou à Indelimane (Nord du Mali). En effet, le piège serait de produire un document global au nom de la cohésion sans qu’il ne soit teinté de ces particularités ô combien importantes pour des solutions partagées et durables. Il serait vital de tenir scrupuleusement compte des spécificités propres aux conflits et des caractères hybrides et dynamiques des acteurs en face et d’éviter de travailler uniquement sur des thèmes et des sous-thèmes génériques.
Aussi, nier l’existence des tensions entre les communautés (une assertion pouvant s’avérer troublante pour les décideurs politiques) constituerait l’une des limites de ce dialogue. Il ressort clairement des simples observations que les tensions entre les communautés ont été instrumentalisées à partir des référentiels ethniques, religieux, géographiques et même claniques. Ainsi, il s’avère évident de constater que cette instrumentalisation a eu raison sur toute autre considération. Donc, il est urgent et même impérieux de souligner qu’aujourd’hui entre Peulhs et Dogons, il y a des tensions, de même entre les peaux rouges (Touaregs, Arabes et Berbères) et les populations dites de peaux noires (Songhaïs, Peulhs, etc.). Ne pas s’attaquer à ces causes structurelles du conflit, parce que l’on veut éviter d’irriter telle ou telle partie, compromettrait les chances pour le Mali de retrouver la communion et dissiper par ricochet les clichés et les préjugés qui continuent de grossir le rang de l’ennemi.
Image d’illustration: APA News
Dr Aly Tounkara est enseignant-chercheur à l’Université des Lettres et sciences humaines de Bamako (ULSHB). Il est également le directeur exécutif du Centre des études sécuritaires et stratégiques au Sahel (CE3S). Ses recherches portent sur les questions sécuritaires, l’islam politique et le genre. Il a publié de nombreux écrits sur ces thèmes et conduit plusieurs études sur les questions liées à l’extrémisme violent, le fait religieux et la gouvernance locale pour des organisations non gouvernementales nationales et internationales intervenant en Afrique.