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Fatimata Ly
Le 02 décembre 2024 a marqué l’installation de la quinzième législature à la suite des élections législatives qui se sont tenues le 17 novembre 2024. Cette étape primordiale est couronnée par l’élection d’El Malick Ndiaye à la présidence de l’Assemblée nationale avec 134 voix sur 165. Ce dernier est l’ancien ministre des Infrastructures et des Transports terrestres et aériens d’avril à décembre 2024
Cet événement s’inscrit dans un contexte politique marqué par l’obtention d’une majorité absolue par le parti Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (PASTEF), qui a remporté 130 des 165 sièges avec 54,97 % des voix.
Au-delà des chiffres et des résultats, ces élections législatives dévoilent des enjeux majeurs : la quête de représentation d’un électorat jeune et déterminé, l’importance de la parité dans un paysage politique en évolution, et la diversité des profils au sein de l’hémicycle. Ce scrutin traduit également une tension palpable entre désintérêt et engagement, continuité et rupture, témoignant des aspirations contradictoires d’une société en pleine mutation.
Analyse des résultats des élections législatives du 17 novembre 2024
Sur un total de 7 millions d’électeurs inscrits, environ 3,6 millions se sont rendus aux urnes lors des législatives de 2024. Cela représente un taux de participation de 49,72 %, légèrement supérieur à celui observé lors des élections législatives de 2022 (46,6 %), mais bien inférieur à celui de la présidentielle de mars 2024 (61 %), où les enjeux étaient perçus comme plus déterminants.
Cette différence de participation peut être attribuée à l’importance perçue de l’élection présidentielle, qui capte davantage l’attention du public. Toutefois, ce chiffre reste notable en comparaison avec d’autres scrutins législatifs, et témoigne d’une certaine dynamique électorale, particulièrement parmi les jeunes.
En effet, parmi les électeurs inscrits, près de 38 % sont âgés entre 18 et 35 ans, soit environ 2,7 million de personnes. Cette tranche d’âge reflète une représentation notable des jeunes dans l’électorat même si cela montre également un écart avec le poids démographique, puisque plus de 75 % de la population sénégalaise a moins de 35 ans. Cette dynamique de participation varie selon le type d’élection : la mobilisation des jeunes est généralement plus forte lors des élections présidentielles, perçues comme plus décisives, tandis que leur engagement dans les législatives reste plus faible. Plusieurs facteurs expliquent cette différence, tels que les obstacles administratifs (manque de documents d’identité) et un intérêt relatif pour le processus démocratique. Malgré leur influence potentielle, les jeunes demeurent sous-représentés dans les institutions politiques.
Une autre donnée intéressante est la répartition quasi égalitaire de la participation entre les hommes et les femmes, avec 50,3 % d’électeurs masculins (soit 3 708 224) et 49,7 % d’électrices féminines (soit 3 663 666). Cette parité dans l’engagement civique des deux sexes est un indicateur positif de l’inclusivité du processus électoral sénégalais, bien que des efforts demeurent nécessaires pour encourager une plus grande représentativité des femmes dans les sphères politiques.
Parmi les 46 départements du Sénégal, le parti au pouvoir a réussi à prendre 40 départements sous sa domination. 15 sièges ont été attribués à la diaspora dont 13 députés issus du parti PASTEF (trois députés pour l’Afrique de l’Ouest, trois pour l’Europe ouest centre nord, trois pour l’Europe du Sud, un pour l’Amérique Océanie, un pour l’Asie Moyen-Orient, un pour l’Afrique du Nord ainsi qu’un en Afrique australe) et deux députés du parti TAKKU WALLU pour l’Afrique centrale.
L’opposition dont l’ancien président Macky Sall est le chef de file a néanmoins réussi à conserver quelques bastions électoraux, principalement dans le Fouta (Nord Est) où il arrive en tête dans 3 départements (Matam, Kanel Ranérou Ferlo), en plus du département de Goudiry (région de Tambacounda à l’est) et le département de l’Afrique centrale, une des circonscriptions de la Diaspora.
Grâce à la loi adoptée sur la parité en 2010, cette législature comprend 68 femmes et 97 hommes montrant ainsi une légère régression comparée à la 14e législature de l’Assemblée nationale qui comptait 73 femmes, soit 44,2% des 165 députés. Cependant, malgré cette baisse, on remarque une certaine constance dans cette réforme.
Il est aussi important de mentionner que la moyenne d’âge des députés est de 47 ans. 42,4% des députés ont entre 40 et 50 ans et 3% soit 5 députés ont moins de 30 ans. Le doyen d’âge de la nouvelle Assemblée nationale, Alla Kane, 87 ans, et la benjamine, Anne Marie Yacine Tine, 26 ans, sont tous deux membres du parti PASTEF. Cette représentation des jeunes est relativement faible tandis que le ⅓ des électeurs ont entre 18 ans et 35 ans. Alors que les jeunes ont souvent été à l’avant-garde des mouvements sociaux et des contestations politiques, leur faible représentation au Parlement peut limiter l’impact de leurs revendications sur les politiques publiques.
La diversité professionnelle des 165 députés de l’Assemblée nationale reflète une pluralité d’expériences susceptibles d’enrichir les débats parlementaires. Avec une forte présence des secteurs de l’éducation (27%) et du commerce/entrepreneuriat (22%), on peut s’attendre à des réformes orientées vers ces domaines. Cependant, on constate que la faible représentation des métiers techniques, scientifiques (5%) et médicaux (3%) risque de limiter l’expertise sur c es enjeux complexes. Cette composition, bien qu’inégale, offre une certaine inclusion sociale grâce à des profils atypiques tels que des ménagères, étudiants et retraités.
Implications politiques des nouveaux élus
Plusieurs députés occupant des postes ministériels ont présenté leur démission à la veille du démarrage des travaux de l’Assemblée nationale tout comme certains élus qui ont renoncé à leur mandat législatif. El Malick Ndiaye, qui occupait autrefois le poste de ministre des Infrastructures et des Transports terrestres et aériens, a choisi de démissionner afin d’assumer pleinement sa fonction parlementaire, laquelle lui a également valu l’honneur d’être élu président de l’Assemblée nationale.
Néanmoins, Ousmane Sonko, tête de liste du parti PASTEF lors des législatives, et Macky Sall, ancien président de la République du Sénégal, qui avait mené campagne en se présentant comme tête de liste et opposant direct du PASTEF, ont préféré se retirer. Ces gestes relèvent d’une stratégie visant à mobiliser les militants et à renforcer le capital sympathie.
Le retrait de Macky Sall s’apparente davantage à une stratégie électorale de caution morale. Pour un ancien président, occuper un poste de député est perçu comme une rétrogradation, d’où son choix de se retirer après avoir attiré des votes.
Avec la majorité parlementaire, le parti PASTEF prévoit d’amorcer des changements dans les politiques publiques à travers des réformes constitutionnelles, un agenda de transformation économique et une lutte renforcée contre l’impunité. Cependant, il existe des craintes quant à la possibilité que leur affiliation partisane influence leurs décisions, notamment lorsqu’il s’agit de voter des lois ou d’influencer les politiques publiques au bénéfice de leur parti.
La diaspora sénégalaise, qui joue un rôle clé dans l’économie nationale avec plus de 350 000 électeurs et des transferts de fonds atteignant 2,9 milliards de dollars en 2023 (près de 10 % du PIB), exprime des attentes élevées envers cette nouvelle législature. Connue pour son engagement politique et son soutien massif à l’opposition ces dernières années, elle espère la mise en œuvre de politiques adaptées à ses préoccupations.
Le parti PASTEF, représenté par 7 des 8 circonscriptions réservées à la diaspora, prévoit des initiatives pour renforcer ces liens. Parmi celles-ci figurent le soutien à des projets locaux d’investissement, l’optimisation des transferts de fonds et l’intégration de la diaspora dans le développement national. Ces mesures visent à consolider les liens entre le Sénégal et ses ressortissants à l’étranger.
Le nouveau bureau de l’Assemblée nationale
À la suite de l’élection du nouveau président de l’Assemblée Nationale, la première séance communément appelée “séance inaugurale” marqua la mise en place du bureau de l’institution parlementaire. Ce bureau est composé de 17 membres élus après d’intenses débats au cours d’une longue journée d’installation de la quinzième législature et tous appartenant à la majorité. L’unique composition des membres du parti PASTEF s’explique par un conflit durant la première session de non-respect de la parité par le groupe de l’opposition Takku Wallu Sénégal, qui avait proposé Mohamed Ngom dit Farba au lieu d’une huitième vice-présidente et s’est vu refusé cette candidature. S’en est suivie d’une séance houleuse et de la saisie du Conseil constitutionnel par l’opposition afin de contester cette décision. L’autorité constitutionnelle s’est déclarée incompétente et a validé ladite composition.
Les premières actions de la nouvelle Assemblée
Avec une volonté de « rupture systémique », les premiers jours de la quinzième législature ont été très mouvementés à travers le vote de la suppression de deux institutions consultatives et le vote de plusieurs projets de lois.
Dans la mise en œuvre de son programme, le président Diomaye Faye avait proposé des réformes institutionnelles à l’appareil législatif, notamment la suppression du Conseil économique, social et environnemental (CESE) et du Haut Conseil des Collectivités Territoriales (HCCT), une proposition que l’Assemblée nationale de 2022 a rejetée. Selon le ministre de la Justice Ousmane Diagne ces deux institutions créées par l’ancien président Macky Sall ont coûté au Sénégal plus de 200 milliards de francs CFA entre 2012 et 2024. Jugées trop « budgétivores » dans le budget de l’État, elles ont été finalement dissoutes par la majorité des députés en décembre pour une rationalisation des ressources étatiques.
Comme événement majeur, le Premier ministre Ousmane Sonko a présenté le 27 décembre 2024 sa Déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale, où il a exposé les priorités du gouvernement pour l’année 2025, notamment en matière d’infrastructures, d’éducation et de développement économique. Cette déclaration vise à aligner les actions gouvernementales sur les objectifs stratégiques du programme « Sénégal 2050 ».
L’Assemblée nationale a également procédé à l’élection des membres de la Haute Cour de Justice (HCJ), une promesse faite par le Premier ministre Ousmane Sonko. Installée le 28 décembre 2024, cette cour a pour but de juger les personnalités politiques, y compris d’anciens ministres et le président, pour des actes de corruption ou de haute trahison. Cependant, l’on peut se demander si cette institution, composée d’un bureau issu du pouvoir législatif et du parti au pouvoir, ne risque pas d’être un instrument à double tranchant, susceptible d’être instrumentalisée à des fins politiques. Dans tous les cas, il est essentiel pour le gouvernement de respecter et de préserver l’autonomie de cette institution afin de garantir une justice équitable et impartiale.
L’assemblée Nationale a également validé le projet de loi de finances pour l’année 2025, évalué à 6 395 milliards FCFA, centré sur des investissements dans la souveraineté alimentaire et énergétique ainsi que sur des dépenses sociales, avec un objectif de croissance fixé à 8,8 % pour soutenir le développement économique du pays.
Sur le plan financier, l’Assemblée nationale du Sénégal examine deux projets de loi structurants : le premier vise à réguler le secteur bancaire (projet de loi n°01-2025), tandis que le second encadre la microfinance (projet de loi n°02-2025), essentielle à l’inclusion financière et au soutien des petites entreprises. Ces réformes ambitionnent de consolider le cadre légal pour garantir la stabilité et la croissance du secteur financier national.
Cette Assemblée nationale s’inscrit dans ce que l’on dénomme le « Jub, Jubal, Jubanti », un slogan phare du nouveau président Faye incarnant les valeurs de droiture, de probité et d’exemplarité que l’administration souhaite promouvoir dans la gestion des affaires publiques. Sur la base de ces principes, l’État, à travers tous ses appareils, mène des actions en faveur d’une gouvernance plus transparente avec notamment la publication des rapports de la Cour des Comptes, de l’Inspection générale d’État et de l’Office National de lutte contre la Fraude et la Corruption (OFNAC).
Crédit photo: APA News
Fatimata Ly est étudiante en Master 2 Diplomatie et Géostratégie au Madiba Leadership Institute du groupe ISM. Passionnée par la recherche sur les questions de sécurité et de bien-être en Afrique, elle est stagiaire à WATHI.
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Mes félicitations Fatima. Bonne continuation