Mody Thioub
Le programme de développement durable à l’horizon 2030 et la décennie d’actions des Nations Unies pour la nutrition 2016-2025 appellent l’ensemble des pays et les parties prenantes en à finir avec la faim et à prévenir toutes les formes de malnutrition d’ici 2030. En effet, le nombre de personnes dans le monde souffrant de sous-alimentation chronique a augmenté d’après les estimations de la FAO, passant de 777 millions en 2015 à 815 millions en 2016 .
La situation de l’insécurité alimentaire a empiré dans certaines régions du monde. L’Afrique est la plus touchée avec une proportion qui atteint environ 27% de sa population soit pratiquement quatre fois plus que les niveaux observés dans n’importe quelle autre région en 2016. Plus particulièrement, l’Afrique subsaharienne demeure la région où la prévalence de la sous-alimentation est la plus élevée avec un taux alarmant de 22,7% de sa population en 2016.
Les quatre piliers de la sécurité alimentaire et nutritionnelle notamment la disponibilité, l’accès, l’utilisation et la stabilité, sont sous-tendus par plusieurs dimensions d’ordre, politique, économique, climatique, et social. En ce qui concerne la dimension sociale, dans son rapport sur la situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture, la FAO a fait le constat selon lequel, l’inégalité homme-femme est un frein à la sécurité alimentaire et nutritionnelle.
En effet, les femmes représentent en moyenne 43% de la main d’œuvre agricole dans les pays en développement. Ce pourcentage s’élève jusqu’à 80% et même davantage, dans certains pays d’Afrique subsaharienne, d’après l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture.
L’Afrique subsaharienne demeure la région où la prévalence de la sous-alimentation est la plus élevée avec un taux alarmant de 22,7% de sa population en 2016
Les femmes exercent des activités importantes dans le domaine de la production alimentaire pour la famille. Ces activités vont de la gestion des semences à la culture des produits agricoles en passant par le stockage, la transformation et la commercialisation de certains produits. Elles s’occupent aussi de la volaille, du petit bétail (moutons et chèvres) et assurent une nutrition saine et diversifiée, contribuant ainsi à l’amélioration de la résilience de la famille.
À ce rôle important qu’elles jouent dans la production alimentaire, s’ajoute leur contribution prépondérante à la préservation de la biodiversité, la préparation, la transformation des produits alimentaires et la diversification de l’alimentation et la santé des enfants.
Cependant, Elles rencontrent de nombreuses inégalités par rapport aux hommes et font face à des handicaps, qui freinent leur potentiel en matière de sécurité alimentaire et nutritionnelle. Ces contraintes sont entre autres:
- la faible prise en compte de leurs besoins dans les politiques de développement;
- la faible reconnaissance et la faible rémunération de leur travail;
- le faible accès au crédit, aux intrants, aux technologies, à la mécanisation et aux innovations agricoles de manière générale;
- le faible accès à la terre (au foncier);
- la pénibilité du travail avec une charge globale de travail plus importante imputable à l’équipement de ménage limité et à un matériel agricole rudimentaire;
- le faible taux d’instruction et de formation sur les activités agricoles;
- le faible pouvoir décisionnel au plan familial et communautaire;
Les femmes représentent en moyenne 43% de la main d’œuvre agricole dans les pays en développement. Ce pourcentage s’élève jusqu’à 80% et même davantage, dans certains pays d’Afrique subsaharienne
Cette situation a de nombreuses répercussions sur la production agricole qui peine à atteindre des niveaux satisfaisants d’autant plus que les femmes y jouent un rôle clé. D’après, la FAO, si les femmes avaient le même accès que les hommes aux ressources productives, elles pourraient augmenter de 20 à 30% les rendements de leur exploitation, ce qui aurait pour effet d’accroître la production agricole totale des pays en développement de 2,5 à 4%. Des gains de production de cette ampleur pourraient réduire de 17% le nombre de personnes souffrant de faim dans le monde.
Le rôle joué par les femmes dans le domaine de la sécurité alimentaire et nutritionnelle et la contribution qu’elles y apportent, sont de première importance. C’est pourquoi tous les efforts visant à réduire l’insécurité alimentaire et nutritionnelle doivent tenir compte des contraintes auxquelles sont assujetties les femmes dans ce domaine.
Quelques axes d’amélioration de la contribution des femmes à la sécurité alimentaire et nutritionnelle des ménages
-Repenser la dynamique organisationnelle des femmes à travers entre autres la mise en place d’un nouveau type de groupe, qui place la femme au cœur de la prise en charge des questions de sécurité alimentaire et nutritionnelle au sein des communautés: pour traiter les questions de nutrition au sein des ménages, il est nécessaire de mettre l’accent sur la promotion du rôle des femmes en tant que productrices et consommatrices d’aliments variés et riches en nutriments, d’une part, et d’autre part en tant que personnes en charge de la nutrition et de la santé du ménage.
Cela consiste donc à assurer la pleine participation des femmes aux activités de formation sur la nutrition. Cette participation passera inéluctablement par l’organisation des femmes en groupes, qui vont servir de réceptacles aux formations sur la nutrition.
D’après, la FAO, si les femmes avaient le même accès que les hommes aux ressources productives, elles pourraient augmenter de 20 à 30% les rendements de leur exploitation, ce qui aurait pour effet d’accroître la production agricole totale des pays en développement de 2,5 à 4%
Ces organisations vont constituer un terreau fertile où se développent les jalons d’une sécurité alimentaire et nutritionnelle durable. Composés exclusivement de femmes en âge de procréer, plus concernés par la nutrition dans les ménages, ces groupements sont des cadres de partage d’ expériences communes en matière de prise en charge de la santé et de la nutrition des enfants de moins de 5ans, des adolescents, des femmes enceintes et allaitantes.
Par l’entremise de ces groupes, les capacités des femmes sont constamment renforcées pour une éducation nutritionnelle qui profite à la famille et à toute la communauté. Ces organisations servent donc de levier à prise de conscience et une meilleure appropriation des bonnes pratiques en matière de nutrition et d’hygiène dans les ménages ruraux. Ce type de groupement de femmes est actuellement promu à l’USAID à travers le projet Feed the Future Kawolor.
-Promouvoir des modèles de jardins qui améliorent la production d’aliments diversifiés, sains et nutritifs par les femmes: l’accès limité des femmes à la terre, au crédit, aux intrants agricoles ainsi que la pénibilité du travail agricole, sont autant d’éléments qui expliquent leur faible capacité en matière de production agricole. Face à cette situation, Il s’impose de promouvoir des modèles d’exploitations agricoles simples, résiliantes, accessibles aux femmes, capables d’améliorer l’augmentation de revenus et la diversité alimentaire au sein des ménages.
Repenser la dynamique organisationnelle des femmes à travers entre autres la mise en place d’un nouveau type de groupe, qui place la femme au cœur de la prise en charge des questions de sécurité alimentaire et nutritionnelle au sein des communautés
Ces modèles reposent principalement sur trois principes notamment, l’accès aux intrants par un système de financement inspiré des ROSCA (Rotating Saving Credit Association), le renforcement des capacités productives des femmes à travers la formation pratique et la diminution de leur charge travail par l’adoption de technologies productives très simples et économiquement accessibles.
Ces modèles vont contribuer à l’autonomisation des femmes, par la mise à l’échelle des pratiques et des technologies leur permettant de gagner du temps, de l’énergie et d’alléger leur charge de travail. En effet, les femmes ont besoin de plus de temps et d’énergie pour mieux prendre soin d’elles et de leurs enfants afin de maintenir un bon état nutritionnel et donc un bon état de santé maternelle, néonatale et infantile.
Ces exploitations vont faciliter la promotion d’une horticulture familiale et communautaire, centrée sur les femmes afin de permettre aux ménages, d’accéder à une gamme de produits diversifiés pour une alimentation plus riche, saine et équilibrée. Il s’agit ici, d’accompagner les femmes dans la pratique d’ activités maraichères dans les maisons (micro-jardinage) ou dans des espaces plus vastes appelés jardins communautaires, cédés par les communautés.
Promouvoir des modèles de jardins qui améliorent la production d’aliments diversifiés, sains et nutritifs par les femmes
Avec ce système très simple, les femmes peuvent cultiver durant l’hivernage une large gamme de fruits et légumes tels que le gombo, le bissap, la patate douce à chair orange, l’aubergine, la tomate, la laitue, le melon, la pastèque. Pendant la saison sèche, la gamme est plus variée avec l’introduction de la carotte, le navet, la pomme de terre, l’oignon, le chou et le piment.
La disponibilité d’aliments riches et diversifiés générés par ces types d’exploitation, combinée à l’amélioration des connaissances des femmes sur les bonnes pratiques alimentaires, peuvent nettement améliorer la nutrition au sein des ménages.
-Améliorer les capacités d’autofinancement des femmes pour juguler leur faible accès au crédit: les institutions financières ne sont pas enclines à octroyer des crédits aux femmes du fait de la grande précarité de leur situation socioéconomique. N’étant généralement pas ou peu solvables, les femmes ont un accès limité au crédit, ce qui réduit considérablement leurs capacités à investir dans les semences, les fertilisants et à adopter de nouvelles techniques agricoles. Pour remédier à cette contrainte, les femmes se rabattent sur des systèmes de microfinance communautaire comme les Associations rotatives d’épargne et de crédit (AREC).
En effet, les femmes ont besoin de plus de temps et d’énergie pour mieux prendre soin d’elles et de leurs enfants afin de maintenir un bon état nutritionnel et donc un bon état de santé maternelle, néonatale et infantile
Redynamisés, avec une orientation investissement, ces systèmes de crédit peuvent être de véritables instruments d’autofinancement pour les femmes, surtout en ce qui concerne l’accès aux intrants nécessaires à la production d’aliments nutritifs, sains et diversifiés.
Source photo : akeza.net
Mody Thioub est ingénieur agroéconomiste, formé à l’Ecole nationale supérieure d’agriculture (ENSA). Il est actuellement prestataire en suivi-évaluation et apprentissage chez « USAID Feed the Future Kawolor ». Il est aussi cofondateur, chargé de projets chez AgroSultSynergie.
3 Commentaires. En écrire un nouveau
Bravo fréro on est fière de toi 🥰
Très bel article avec une qualité rédactionnelle de haute facture mais surtout riche en enseignements. Ceci démontre une fois de plus que la femme est clé du développement
Excellent article! Félicitation à Mody pour avoir réalisé une analyse situationelle avant de déboucher sur des propositions éprouvées.