La crise au Sahel s’aggrave. Les violences, parfois extrêmes, perpétrées par diverses catégories d’acteurs, se multiplient et produisent des déplacements massifs de population. Des milliers d’écoles ont fermé, privant des centaines de milliers d’enfants de leur droit à l’éducation. La pandémie de COVID-19, en mettant en évidence la crise de gouvernance et, en particulier, la vulnérabilité des infrastructures sanitaires, a mis l’accent, avec encore plus d’acuité, sur les causes profondes de la violence et de l’insécurité au Sahel, qui ont conduit à de graves violations des droits humains, à des atrocités et à des besoins humanitaires criants.
La collaboration internationale entre États est essentielle pour faire face aux complexités de la crise. Nous saluons les efforts mis en œuvre par différents acteurs visant à mieux protéger et répondre aux besoins des populations et à construire une paix inclusive. Nous prenons note à cet égard de la mise en place d’une «Coalition internationale pour le Sahel». Ces efforts doivent être menés en consultation avec les populations affectées et en collaboration avec la société civile locale et régionale en particulier les organisations travaillant au Burkina Faso, au Mali et au Niger, les trois pays touchés par la crise du Sahel central.
Les moyens militaires n’ont pas permis jusqu’alors d’assurer la protection de toutes les populations sans discrimination et ont même conduit à de nombreux abus contre des civils. Ils n’apportent pas en eux-mêmes une solution aux conflits du Sahel central. Les États doivent pouvoir analyser les situations qui conduisent des personnes à rejoindre des groupes armés. Ils doivent comprendre comment les conflits déchirent des communautés et ce qu’il convient de faire pour répondre aux causes profondes de la crise de confiance entre les populations et leurs gouvernements.
C’est pourquoi nous, acteurs de la société civile sahélienne, annonçons aujourd’hui, avec le soutien de partenaires de la société civile africaine et internationale, le lancement d’une «Coalition citoyenne pour le Sahel». Notre objectif est de contribuer à la promotion des priorités qui, selon nous, devraient guider toute réponse à la crise dans notre région les «Piliers citoyens».
Les moyens militaires n’ont pas permis jusqu’alors d’assurer la protection de toutes les populations sans discrimination et ont même conduit à de nombreux abus contre des civils. Ils n’apportent pas en eux-mêmes une solution aux conflits du Sahel central
Notre coalition est un cadre collectif informel et inclusif. Nous voulons engager un dialogue constructif et exigeant avec les dirigeants politiques, les décideurs et d’autres acteurs clés dans la région, notamment les forces militaires et de sécurité, ainsi que les acteurs au-delà de la région qui sont engagés dans la Coalition internationale. Nous voulons faire entendre la voix et l’expertise de la société civile, parce que nous sommes convaincus que cela peut permettre de relever de manière plus efficace les défis de sécurité humaine auxquels font face les populations du Sahel, de faire respecter leurs droits fondamentaux et de s’attaquer aux injustices sous-jacentes qui alimentent la crise.
Les Piliers citoyens
La Coalition citoyenne pour le Sahel exhorte les États à articuler leurs interventions en faveur du Sahel autour de quatre «piliers citoyens». Dans les prochains mois, nous nous engageons à évaluer l’impact de la réponse à la crise du Sahel au regard de ces piliers, après avoir établi une série de critères de référence pour chacune des quatre priorités.
- Pilier citoyen 1: Mettre la protection des civils et la sécurité humaine au cœur de la réponse au Sahel
Toute intervention, qu’elle soit militaire, humanitaire, de développement ou pour assurer le renforcement de l’État, doit être évaluée sur sa capacité à mieux protéger les populations affectées par le conflit, sans discrimination. Toute intervention dans le domaine de la sécurité doit avant tout distinguer les civils des acteurs armés. Elle doit également inclure la prévention et la réduction de la violence, en particulier la violence basée sur le genre et l’appartenance communautaire, et prévoir des systèmes d’alerte précoce pour prévenir les crimes d’atrocité et éviter la stigmatisation de communautés.
Elle doit garantir le respect du droit international humanitaire et du droit international des droits humains. Les mesures sécuritaires doivent avoir pour finalité d’améliorer la protection des populations civiles, pas de les rendre plus vulnérables. Dans ce cadre, une attention particulière doit être accordée aux besoins spécifiques des populations les plus exposées aux violences, notamment les femmes, les enfants, les personnes déplacées, les groupes minoritaires, ainsi que des mesures spécifiques pour prendre en charge ceux qui ont survécu aux violences.
Notre objectif est de contribuer à la promotion des priorités qui, selon nous, devraient guider toute réponse à la crise dans notre région les «Piliers citoyens»
- Pilier citoyen 2 : Créer une stratégie politique globale qui s’attaque aux causes profondes de l’insécurité
Pour parvenir à une sécurité, une stabilité et une paix durables dans la région, il faut investir davantage dans la résolution des conflits, construire des systèmes de redevabilité effectifs et pour tous et s’attaquer aux inégalités et aux doléances locales à travers un dialogue politique. Pour avoir un impact, une telle stratégie devrait impliquer les populations affectées, les acteurs communautaires et autres représentants de la société civile, notamment les organisations de défense des droits humains, les autorités traditionnelles, les femmes leaders, les chefs religieux et les acteurs marginalisés, qui contribueront à une compréhension plus nuancée du contexte local.
Elle devrait prévoir la suppression des obstacles à la construction de la paix et promouvoir la cohésion sociale et le dialogue avec toutes les parties au conflit. Elle devrait reconnaître le rôle essentiel dans la résolution des conflits des populations vulnérables, notamment les femmes et les filles ainsi que les groupes marginalisés et sans voix. Il faudra également reconnaître la manière dont la crise climatique au Sahel alimente les conflits et proposer des solutions pour préserver au mieux les ressources naturelles et assurer un accès équitable et durable à celles-ci. Une stratégie globale à long terme, qui doit s’étaler sur plusieurs années plutôt que sur plusieurs mois, est essentielle pour créer les conditions d’une paix durable.
- Pilier citoyen 3 : Répondre aux urgences humanitaires et veiller à ce que l’aide soit adaptée au développement
Toutes les parties au conflit doivent respecter le droit international humanitaire. Elles doivent permettre aux populations vulnérables d’avoir accès à l’aide humanitaire, aux services essentiels et à tout ce qui est nécessaire au maintien des moyens de subsistance de base. Les populations du Sahel ont besoin d’une augmentation massive de l’aide humanitaire pour faire face aux difficultés liées au conflit ainsi qu’aux potentiels facteurs aggravants liés à la pandémie de COVID-19. Une augmentation de l’aide doit faire partie d’un plan de réponse global, qui garantisse un flux continu d’aide humanitaire, une meilleure transparence sur les décisions de fournir un soutien, des approches d’engagement communautaire intégrant le rôle des acteurs locaux, notamment les organisations de femmes, dans la délivrance de l’aide, et une distinction claire entre les mandats et les réponses des acteurs humanitaires d’une part et les acteurs militaires et politiques d’autre part.
Nous voulons faire entendre la voix et l’expertise de la société civile, parce que nous sommes convaincus que cela peut permettre de relever de manière plus efficace les défis de sécurité humaine auxquels font face les populations du Sahel, de faire respecter leurs droits fondamentaux et de s’attaquer aux injustices sous-jacentes qui alimentent la crise
Un tel plan doit également prévoir des financements additionnels pour l’aide au développement et une mobilisation juste et progressive des ressources fiscales en vue de renforcer les services essentiels et les filets de sécurité sociale locaux pour répondre aux besoins fondamentaux des populations en temps de crise. Par exemple, les parents devraient être en position d’envoyer leurs enfants à l’école, en particulier les filles, plutôt que de les faire travailler. Les filles ne doivent pas être contraintes à des mariages précoces ; les droits des femmes en matière de santé sexuelle et reproductive doivent être protégés. Les civils ne devraient pas être contraints, pour survivre, de faire des choix qui vont à l’encontre de leurs droits fondamentaux, leur ôtent leur dignité, ou mettent leur vie en danger.
- Pilier 4 : Lutter contre l’impunité et garantir l’accès de tous à la justice
Aucune attaque commise contre la population civile ne doit rester impunie. Il ne doit y avoir aucune tolérance pour les abus et les atrocités commis par des groupes armés, des milices, des groupes d’autodéfense ou des forces de sécurité. Toutes les initiatives mises en œuvre pour faire face à la crise doivent être conformes à l’État de droit et aux normes internationales en matière de droits humains, et reconnaître le rôle vital du système judiciaire et favoriser l’accès à la justice.
Elles doivent prévenir les dommages causés aux civils et aux personnes soupçonnées de commettre des abus, tenir les auteurs responsables et, en cas de violations avérées, lutter contre l’impunité pour prévenir de futures atrocités. Ce processus doit être transparent et faire l’objet d’un contrôle continu, notamment par les organisations locales de la société civile, avec des mécanismes prédéterminés de dénonciation, de sanction des abus et la garantie de la prise en compte de la dimension de genre. La consolidation de la paix doit nécessairement impliquer un processus de réconciliation, à travers la lutte contre l’impunité et l’accès à la justice, ainsi que la mise en place de processus de vérité et réconciliation.
Premières organisations signataires sahéliennes et ouest-africaines:
- Action Mopti, Mali
- African Security Sector Network (ASSN)
- Afrikajom Center (think tank ouest-africain basé à Dakar)
- Association des Juristes Maliennes (AJM), Mali
- Association Malienne des Droits de l’Homme (AMDH), Mali
- Centre Afrika Obota (CAO), Niger
- Centre Diocésain de Communication (CDC), Burkina Faso
- Centre pour la gouvernance démocratique (CGD), Burkina Faso
- Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés (CISC), Burkina Faso
- Conférence des Eglises de Toute l’Afrique (CETA)
- Coordination des associations des femmes de l’Azawad (CAFA), Mali
- Coordination Nigérienne des ONG et Associations Féminines du Niger (CONGAFEN), Niger
- Ligue Tchadienne des Droits de l’Homme (LTDH), Tchad
- Observatoire Kisal
- Réseau nigérien pour la gestion non violente des conflits (RE-GENOVICO), Niger
- Réseau Panafricain Pour la Paix, la Démocratie et le Développement (REPPADD), Niger
- Union fraternelle des croyants (UFC) Dori, Burkina Faso
- WATHI (Think Tank ouest-africain basé à Dakar)
- West Africa Network for Peacebuilding (WANEP) Burkina Faso
- West Africa Network for Peacebuilding (WANEP) Mali
- West Africa Network for Peacebuilding (WANEP) Niger
- Women in Law and Development (WiLDAF) Mali
ONG internationales soutenant la Coalition citoyenne pour le Sahel:
- Action Contre la Faim
- CARE International
- Center for Civilians in Conflict (CIVIC)
- Fédération internationale pour les droits humains (FIDH)
- Global Centre for the Responsibility to Protect (GCR2P)
- Médecins du Monde
- Norwegian Refugee Council (NRC)
- Open Society European Policy Institute (OSEPI)
- Oxfam International
- Plan International
- Première Urgence Internationale
- Saferworld
- Secours Islamique France