Pathé DIEYE
Les relations entre l’Afrique et l’Europe sont marquées par de fortes traces historiques, et ce, bien avant les indépendances. Depuis 1957, alors que l’essentiel des pays africains était sous colonie, la mise en place de la Communauté économique européenne (CEE) à Rome avait prévu un cadre permettant le libre commerce et l’aide au développement pour les pays d’outre-mer.
Avec la mondialisation qui s’accélère et les questionnements sur l’aide au développement qui se multiplient, l’aube du XXIe siècle a été un tournant décisif dans le réajustement et une meilleure formalisation des relations entre l’Afrique et l’Union européenne. C’est ainsi que se tint en avril 2000 le premier sommet Europe-Afrique au Caire.
Cette fois-ci, l’Europe y présente une politique pour l’Afrique qui va au-delà de l’aide au développement pour prendre en compte des axes stratégiques notamment « l’intégration régionale en Afrique et l’intégration de l’Afrique dans l’économie mondiale ; la bonne gouvernance, les institutions et les droits de l’Homme ; la paix et la gestion des conflits ; le développement durable ».
En tant que deuxième puissance militaire européenne, la Grande-Bretagne serait un allié militaire stratégique de l’Europe en Afrique notamment dans l’initiative de l’Alliance Sahel. Mais il sera un sérieux concurrent sur le plan commercial. Déjà, en janvier 2020, l’UK Africa Investment Summit s’est tenu avec la signature de plus de 6 milliards de livres de contrats commerciaux mais aussi le lancement d’un nouveau partenariat entre l’Afrique et la City
Toutefois, les échos d’un plaidoyer pour une coopération Europe-Afrique décomplexée, d’égal à égal, qui prenne en compte les priorités et les intérêts de chaque entité n’ont jamais cessé de rythmer ce compagnonnage aussi bien dans les sommets que les accords signés au fil des années.
Dans ce sillage, tout en conservant les axes dessinés au Caire, en 2007 à Lisbonne, cette ambition d’une relation moins condescendante a été matérialisée par «une nouvelle vision commune, inscrite dans une stratégie conjointe » et l’accent a été mis sur les migrations et les questions sécuritaires, notamment le terrorisme.
Depuis Lisbonne, l’escale à Tripoli trois ans plus tard, a permis au sommet de consolider des points concernant les droits de l’homme, la démocratie, l’immigration ou le changement climatique. La feuille de route de la stratégie commune pour la période 2014-2017 sera enfin adoptée au quatrième Sommet UE-Afrique de Bruxelles. Sous le thème « Paix, prospérité et population », ce sommet a eu pour but d’améliorer la stratégie conjointe et de mener la coopération vers une approche axée sur les résultats.
Après ce long cheminement ponctué de négociations, aujourd’hui l’UE est le principal partenaire de l’Afrique en matière d’échanges et d’investissements. Le total des échanges de biens entre les 27 États membres de l’UE et l’Afrique s’élevait à 235 milliards d’euros (soit 32 pour cent des échanges totaux de l’Afrique) en 2018. Il faut tout de même reconnaitre que quelle que soit l’étroitesse de ces relations, on note une asymétrie extrême. En effet, près de 30 pour cent de toutes les exportations africaines sont destinées à l’UE, tandis que l’Afrique représente un marché relativement insignifiant pour celle-ci.
Avec l’arrivée de la Chine qui d’année en année surclasse les partenaires commerciaux traditionnels et affirme sa présence militaire, la Russie qui cherche à se faire une place aux côtés des États-Unis, le Brexit est venu relancer les dés de la coopération entre l’Europe et l’Afrique et permet de reconfigurer le positionnement des grandes puissances et de quelques pays émergents sur le continent.
La Grande-Bretagne en Europe : un poids lourd économique et militaire
« Sans le Royaume-Uni, l’UE perd 15% de son effort d’aide au développement, 30% de sa capacité diplomatique, 40% de sa puissance militaire, environ 45% de sa force de frappe nucléaire et 50% de ses droits de véto au Conseil de sécurité ». Pesant 14% du PIB de l’Europe, le Royaume-Uni verra son absence mettre à rude épreuve l’Europe face à ses concurrents américain et chinois. D’ailleurs, selon l’Institut Jacques Delors, avec le Brexit, le budget européen subirait un déficit d’environ 10 milliards d’euros par an, soit la contribution nette du Royaume au budget européen.
En tant que deuxième puissance militaire européenne, la Grande-Bretagne serait un allié militaire stratégique de l’Europe en Afrique notamment dans l’initiative de l’Alliance Sahel. Mais il sera un sérieux concurrent sur le plan commercial. Déjà, en janvier 2020, l’UK Africa Investment Summit s’est tenu avec la signature de plus de 6 milliards de livres de contrats commerciaux mais aussi le lancement d’un nouveau partenariat entre l’Afrique et la City.
Ce sommet a permis de prouver que la Grande-Bretagne est résolue à étendre son influence en Afrique, car la particularité de cette rencontre est la main tendue aux pays du Maghreb et de l’Afrique de l’ouest qui ne font pas partie du Commonwealth. Tout cela implique que le Royaume-Uni, en sortant de l’Union européenne, fait non seulement affaiblir économiquement et diplomatiquement cet ensemble, mais opérera un nouveau départ dans une stratégie de repositionnement dans l’échiquier international et dans la redéfinition de ses relations bilatérales avec les pays africains.
Une perte de vitesse de l’UE et le nouveau visage du Royaume-Uni envers l’Afrique
Sans le Royaume-Uni, l’UE perd une bonne partie de sa capacité d’aide au développement. En effet, le Fonds européen de développement (FED) est le principal instrument de l’aide au développement de l’UE à destination des pays Afrique, Caraïbes, Pacifique (ACP), le Royaume-Uni en est le troisième contributeur derrière l’Allemagne et la France soit 14,7 % de l’aide totale.
De nouveaux dés sont jetés. Les pays africains pourraient profiter de ce nouvel acteur qui souhaite avoir une présence prononcée sur le continent, en négociant des accords sur la base de leurs priorités stratégiques notamment la défense, les changements climatiques, le virage numérique. Les pays d’Afrique de l’Ouest gagneraient à profiter de l’expérience britannique en tant que puissance maritime pour moderniser leurs hubs portuaires
Il serait probable que la Grande-Bretagne garde désormais cette enveloppe pour augmenter son influence en Afrique. Le Royaume peut être considéré désormais comme un acteur qui va mener sa politique africaine en toute indépendance aux côtés d’une UE qui voit baisser le poids de ses Investissements directs étrangers (IDE).
Le nouveau scénario provoqué par le Brexit va favoriser une plus grande présence des pays émergents en Afrique comme l’Inde, la Chine, la Russie. Cela va aussi obliger l’UE à accélérer la matérialisation concrète de ses vœux pieux notamment celui d’une véritable relation d’égal à égal avec le continent.
De nouveaux dés sont jetés. Les pays africains pourraient profiter de ce nouvel acteur qui souhaite avoir une présence prononcée sur le continent, en négociant des accords sur la base de leurs priorités stratégiques notamment la défense, les changements climatiques, le virage numérique. Les pays d’Afrique de l’Ouest gagneraient à profiter de l’expérience britannique en tant que puissance maritime pour moderniser leurs hubs portuaires.
Source photo : The Observer
Pathé DIEYE est chargé de recherche et de projet à WATHI. Il s’intéresse aux questions de conflits, paix et sécurité dans le Sahel et à la prospective. Titulaire d’un master 2 en Science politique mention relations internationales, il est lauréat de la Dalberg Talent Academy et est champion de plaidoyer pour ONE Campaign en Afrique de l’Ouest. Il est blogueur et anime son site “Silence des rimes”. Il est aussi romancier. Son premier roman intitulé “J’ai écrit un roman, je ne sais pas de quoi ça parle…” est publié aux éditions L’harmattan en décembre 2020.