Auteur : Mourad El Manir
Organisation affiliée : Policy Center for the New South
Type de publication : Policy Brief
Date de publication : Novembre 2019
Lien vers le document original
Introduction
Le prix du meilleur roman africain de science-fiction au titre de l’année 2017 a été remporté par Tade Thompson pour son livre intitulé “Rosewater” qui aborde la lutte contre les cyber-fraudes au Nigéria en 2066. Cette référence à un roman de science-fiction n’est pas fortuite dans la mesure où le mot “cyber espace”, inspiré du mot “cybernétique”, fut utilisé, pour la première fois, en 1984, par l’auteur de romans de science-fiction William Gibson, pour désigner “Une hallucination consensuelle vécue quotidiennement en toute légalité, dans tous les pays, par des gosses auxquelles on enseigne les concepts mathématiques.”
Le rapprochement entre ces deux romans vise à montrer que l’Afrique a intégré dans son présent et surtout dans son avenir l’évolution fulgurante des technologies d’information et de communication, qui a généré une véritable transformation de la société et de l’économie mondiale.
Au-delà des aspects techniques du cyber-espace, la cyber-attaque contre l’Estonie en 2007, a élevé le cyber espace au rang de théâtre d’opération militaire au même titre que les milieux aéroterrestre et maritime et la conflictualité dans ce milieu n’est plus perçue comme un affrontement de technologies, mais comme “l’utilisation des moyens numériques à des fins de contrôle de la volonté de l’adversaire”, rejoignant, en cela, la célèbre formule du théoricien allemand Carl Von Clausewitz “la guerre n’est que le prolongement de la politique par d’autres moyens”.
Cette conflictualité du cyber espace est confortée par la multiplication des cyber-attaques intervenues dans le champ des affrontements globaux, par l’institutionnalisation de capacités de défense cybernétiques et par les dynamiques internationales de régulation de l’espace cybernétique.
Dans cet environnement aux multiples facettes, l’Afrique, dont la digitalisation est en nette expansion, tente d’y prendre pied sans être préparée ni en termes de ressources humaines judicieusement formées, ni sur le registre des infrastructures physiques et informatiques nécessaires. Le continent est également handicapé par le manque d’outils et d’instruments pour faire face aux menaces et aux risques générés par le développement du cyber espace.
Des avancées indéniables
La rentrée de l’Afrique dans l’ère numérique est une réalité incontestable. En effet, sur les trois indicateurs adoptés à l’échelle internationale, les chiffres réalisés par le continent sont prometteurs. Ainsi, en à peine quelques années, le taux d’accès de la population à Internet a enregistré une avancée exponentielle. Au 30 juin 2019, ce taux atteignait 39,8% alors qu’il n’était que de 5% en 2007, la moyenne mondiale étant de 57,3%. D’après le cabinet Deloitte, l’Afrique compte aujourd’hui 450 millions d’africains connectés (sur 1,2 milliard) via leur Smartphone.
Sur le nombre d’utilisateurs actifs de Facebook, l’Afrique se prévaut de 211 millions (janvier 2019) soit une progression de 15% par rapport à 2018. La région la plus connectée reste l’Afrique du Nord. Enfin, sur le taux de pénétration de la téléphonie mobile, qui constitue la porte d’entrée de l’Afrique dans le monde digital, le continent comptera 660 millions équipés d’un Smartphone en 2020, soit le double qu’en 2016.
Sur le nombre d’utilisateurs actifs de Facebook, l’Afrique se prévaut de 211 millions (janvier 2019) soit une progression de 15% par rapport à 2018.
En termes d’avancées, il y a lieu de souligner aussi le développement d’une économie numérique, notamment dans les secteurs bancaires (l’Afrique est bien positionnée dans le registre de “mobile banking”), les services en ligne, les télécommunications, les médias, les assurances mais aussi dans les secteurs de l’éducation et de la culture ou de la santé. Dans ce cadre, les revenus issus de la téléphonie mobile représentent 3,7% du PIB sur le continent africain, soit le triple de ceux des économies développées.
Même dans le domaine de l’intelligence artificielle, le continent est en passe de conquérir une part de ce marché d’avenir. En juin 2018, l’entreprise américaine Google a annoncé l’ouverture d’un centre de recherche en intelligence artificielle au Ghana pour inclure cette technologie dans les programmes de formation et de développement.
Les chiffres réalisés par le continent sont prometteurs. Ainsi, en à peine quelques années, le taux d’accès de la population à Internet a enregistré une avancée exponentielle. Au 30 juin 2019, ce taux atteignait 39,8% alors qu’il n’était que de 5% en 2007, la moyenne mondiale étant de 57,3%.
Par ailleurs, certains pays africains ont enregistré des évolutions substantielles dans des secteurs très pointus comme celui de la Block-Chain. L’Afrique du Sud a mis sur pied la « Blockchain Academy” qui offre des formations sur les crypto-monnaies et la technologie de Blockchain. Le Kenya a mis sur pied un groupe de travail sur cette technologie en particulier et sur l’intelligence artificielle comme moyen d’optimiser la gestion publique.
Au Nigéria, des organisations se multiplient pour la maitrise de l’environnement des monnaies numériques. En Ouganda, le gouvernement est fortement impliqué dans l’introduction de la Block-Chain dans le secteur bancaire en vue de réduire les couts opérationnels et les risques.
Dans un rapport sur les évolutions en cyber-sécurité, rendu public en 2017, l’Union internationale des télécommunications (UIT), a précisé que plusieurs pays africains ont mis en place de bonnes pratiques de renforcement des capacités de lutte contre la cybercriminalité. La question cybernétique est également prise en charge par certaines organisations régionales.
La CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) a mis en place une initiative régionale qui organise régulièrement des forums sur des sujets relatifs à la cyber sécurité et la SADC (Communauté de développement de l’Afrique Australe) coordonne les efforts de ses Etats membres pour renforcer la cybersécurité en Afrique Australe.
Sur le plan continental, l’Union africaine a adopté “la convention sur la cyber- sécurité et la protection des données à caractère personnel “, à l’issue de la 23ème Assemblée des chefs d’Etat et des gouvernements de l’Union africaine, tenue à Malabo les 26 et 27 juin 2014. Cette convention appelée “Convention de Malabo” a pour but de mettre en place un cadre juridique pour la cyber sécurité et la protection des données personnelles.
Dans le domaine de la cyber-défense, les acquis, bien que modestes, ont le mérite d’exister. Ils sont encadrés par des initiatives privées. Les pays de l’Afrique Australe organisent, de manière bisannuelle, un forum portant le nom “Africa Cyber Defence Summit”. Par ailleurs, des études sont menées, actuellement, pour procéder à l’ouverture de trois centres d’opérations de cyberdéfense, au Nigéria, à l’Ile Maurice et au Sénégal, en plus de celui déjà ouvert en Afrique du Sud.
Des vulnérabilités persistantes
Sur le plan technologique, le continent enregistre une inégalité dans l’accès à l’espace numérique. En effet, certaines régions et une grande partie de la population sont totalement absentes du cyberespace, de ses enjeux et de ses retombées économiques. Cette situation est due à la faiblesse des infrastructures nationales, rendant une connexion à internet onéreuse : en République centrafricaine ou en Guinée, une connexion haut débit peut couter jusqu’à 500 dollars par mois.
Dans le même registre, l’Afrique connaît une fissure cybernétique entre les Etats6 ayant massivement investi dans le cyber (infrastructures, concepts d’emploi, moyens) quand d’autres manquent de ressources nécessaires pour assurer une protection minimum. Cette déficience a été mise en évidence par une enquête de la Commission de l’Union Africaine sur les tendances de la cyber sécurité et de la cybercriminalité en Afrique qui a souligné que seulement 15 pays africains ont mis en place une législation en matière de cybercriminalité.
En termes de cyber-nuisance, l’Afrique remporte la palme de la cybercriminalité. Cette situation ne cesse d’être dénoncée. Elle est induite par l’accessibilité d’internet, le développement de la 3G/4G, l’anonymat sur le web, le manque de sécurisation de certaines infrastructures critiques et sensibles ainsi que par le manque de sensibilisation à la cyber-sécurité des acteurs évoluant dans les Entreprises et des populations. Dans ce registre, le panorama cybercriminel-istique africain est particulier.
En termes de cyber-nuisance, l’Afrique remporte la palme de la cybercriminalité.
Il inclut le piratage des serveurs téléphoniques, communément appelé “phreaking”, le piratage des systèmes d’informatiques avec demande de rançon “ransomware”, la manipulation du trafic d’un site internet avec le but de dérober des informations confidentielles, le “pahrming” ainsi que la cyber escroquerie dans ses différentes formes, allant de l’arnaque aux sentiments au chantage à la vidéo, en passant par les faux visas ainsi que les fausses offres d’emploi et de bourses d’études.
Cette cybercriminalité africaine à un coût. Il est énorme. La société de cyber-sécurité kenyane Serianu qui a diligenté un audit en partenariat avec plus de 700 institutions publiques et privées africaines, fait état de chiffres alarmants. Rien que pour l’année 2017, la cybercriminalité continentale a engendré des préjudices financiers considérables : le Nigéria (649 millions de dollars), le Kenya (210 millions de dollars) ou encre la Tanzanie (99 millions de dollars). Au total, le continent a enregistré une perte de 3,5 milliards de dollars pour l’année 2017.
Sur la question du cyber-terrorisme, dans le sens de l’utilisation des réseaux sociaux pour véhiculer des messages de haine, le recrutement de djihadistes ou la collecte de financements occultes, les experts restent sceptiques, en avançant que dans beaucoup de pays africains, touchés de plein fouet par le terrorisme (Nigéria, Niger, Tchad, Soudan, Ethiopie, Somalie), le taux d’abonnement au téléphone mobile est inférieur aux moyennes africaines. Dans son livre “l’Afrique, Nouvelle frontière du Djihad”, Marc-Antoine Pérouse de Montclos précise que “des sondages réalisés auprès d’anciens combattants de Boko Haram dans des camps déplacés au Nigéria ont montré qu’aucun d’entre eux n’a été recruté en ligne”.
Concernant les enjeux internationaux liés au numérique, l’Afrique enregistre un retard considérable sur la question stratégique des Datacenter, dans le sens d’infrastructures de stockage et de traitement de données.
Concernant les enjeux internationaux liés au numérique, l’Afrique enregistre un retard considérable sur la question stratégique des Datacenter, dans le sens d’infrastructures de stockage et de traitement de données. L’enjeu est de maintenir les données stratégiques et les données personnelles sur le sol africain. Actuellement, le continent ne compte que 80 Centres de Données dont la moitié est implantée en Afrique du Sud.
La situation est telle qu’une importante part des données africaines est stockée et exploitée en dehors du continent. Sur ce sujet, une importante bataille est engagée sur la future mise en place des Datacenter africains, dans laquelle les pays anglophones, particulièrement ceux ayant un accès à la mer (proximité des câbles marins) ont la prééminence. Il y a lieu de signaler que le Royaume du Maroc est en passe de se positionner comme un hub pour les Datacenter au Nord de l’Afrique.
Sur la question du cyber-terrorisme, dans le sens de l’utilisation des réseaux sociaux pour véhiculer des messages de haine, le recrutement de djihadistes ou la collecte de financements occultes, les experts restent sceptiques, en avançant que dans beaucoup de pays africains, touchés de plein fouet par le terrorisme (Nigéria, Niger, Tchad, Soudan, Ethiopie, Somalie), le taux d’abonnement au téléphone mobile est inférieur aux moyennes africaines
Par ailleurs, le besoin africain en investissements et en transfert de technologies dans le domaine cybernétique place l’Afrique dans une posture de vulnérabilité extrême, à tel point que des experts n’hésitent pas à parler de “cyber-colonialisme”. Ce concept est défini comme “la politique ou la pratique permettant de prendre le contrôle total ou partiel du cyber-espace d’un pays par des technologies et de l’exploiter économiquement”.
Le doigt accusateur est dirigé vers les Gafam qui en offrant des services gratuits (Facebook) organisent le secteur du numérique en Afrique pour pouvoir le contrôler à leur profit. L’ONG Global Justice Now a publié en mai 2018, un rapport, au titre évocateur, “Comment l’agenda global du e-commerce annonce le pouvoir des grandes firmes numériques et menace le Sud.”
En dernier lieu, le continent africain est confronté au développement considérable des pratiques de manipulation des informations (Fake news), induit par la facilité d’accès à l’Internet et aux Smartphones ainsi qu’au faible taux de sensibilisation des populations. La situation est telle que les “fake news” sont considérées comme une menace à la paix sociale sur le continent, particulièrement10 en Afrique subsaharienne.
Consolidation des acquis et réduction des déficiences
Compte tenu des enjeux cybernétiques en présence, la mise en place d’une cyber-stratégie africaine, une impérieuse nécessité, passe, d’abord, par l’instauration d’un climat de confiance.
En effet, l’espace cyber est un domaine où la méfiance est de rigueur, compte tenu des révélations sur les écoutes et les activités de surveillance auxquelles se livrent les Etats entre eux, en utilisant justement les moyens offerts par le cyber.
Par ailleurs, le continent africain, doit, partir en rangs unis pour, consolider sa digitalisation, en vue de disposer de l’outil qui lui permettra, le cas échéant, de se positionner en acteur efficace et efficient dans l’espace numérique. Dans ce cadre, il doit relever, dans l’immédiat, trois défis :
- La connectivité : bien que le niveau de la connectivité du continent africain est en nette progression, il demeure en deçà des chiffres mondiaux. Dans ce cadre, il y a lieu de renforcer les infrastructures des pays africains de manière à rendre la connexion à internet moins onéreuse.
- L’infrastructure électrique : une attention particulière doit être accordée à la résolution des problèmes d’approvisionnement et de délestage électrique, avant d’investir dans les infrastructures nationales des technologies de l’information et de communication.
- Les équipements : la numérisation du continent est tributaire de la réalisation des équipements adéquats. Outre leur réalisation, les Etats africains doivent s’approprier la capacité de leur utilisation. Par ailleurs, ils doivent encourager la mutualisation des moyens, pour réaliser des économies d’échelle.
Conclusion
Le champ des études sur la Sécurité s’est élargi avec la consécration du Cyber-espace comme un théâtre de confrontation à part entière, au même titre que la Terre, l’Air, la Mer et l’Espace. Ce faisant, la cyber-conflictualité qui en découle n’est plus perçue comme un affrontement de technologies mais comme un moyen, un autre, en plus, et/ou en complément, des formes de combat cinétiques et létaux, pour réaliser des objectifs stratégiques.
Par ailleurs, l’espace numérique, qui devenu un espace de tensions culturelles, politiques, sécuritaires et économiques, offre un nouveau cadre pour le jeu des rivalités et de coopération entre acteurs stratégiques, avec pour conséquence une reconfiguration des rapports de forces sur la scène internationale. Dans ce contexte, les pays africains qui ont réussi, relativement, à amorcer leur digitalisation, ont appréhendé, à quelques exceptions, le cyber-espace administrativement, sans prendre conscience des conséquences négatives d’un déficit opérationnel sur leur sécurité nationale.
Les Wathinotes sont soit des résumés de publications sélectionnées par WATHI, conformes aux résumés originaux, soit des versions modifiées des résumés originaux, soit des extraits choisis par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au thème du Débat. Lorsque les publications et leurs résumés ne sont disponibles qu’en français ou en anglais, WATHI se charge de la traduction des extraits choisis dans l’autre langue. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.
The Wathinotes are either original abstracts of publications selected by WATHI, modified original summaries or publication quotes selected for their relevance for the theme of the Debate. When publications and abstracts are only available either in French or in English, the translation is done by WATHI. All the Wathinotes link to the original and integral publications that are not hosted on the WATHI website. WATHI participates to the promotion of these documents that have been written by university professors and experts.