Dans le cadre du débat sur l’énergie et l’électricité en Afrique de l’Ouest, WATHI a rencontré Yannick Thanou, ingénieur en énergie basé à Ouagadougou au Burkina Faso. Dans cet entretien, il parle des questions d’électrification en lien avec le développement rural.
Quel est le potentiel de l’énergie solaire au Burkina Faso et en Afrique de l’Ouest ? Comment est-il exploité?
Le Burkina fait partie des pays sahéliens. C’est un pays enclavé mais il possède la bande solaire la plus importante dans la région. Donc, il y a vraiment un grand potentiel en matière d’énergie solaire. Aujourd’hui, le taux d’utilisation du solaire dans le pays est d’environ 10% du potentiel énergétique. En Afrique de l’Ouest, c’est plus ou moins pareil. Seulement, il faut savoir utiliser ce potentiel. Il n’y a pas seulement la photovoltaïque à tenir en compte mais il y a aussi tellement de technologies qui vont avec le solaire à maitriser.
Actuellement, le potentiel dans ce secteur n’est pas assez exploité. Nous avons un avantage, c’est que nous avons assez d’espace ici en Afrique et le solaire est une énergie verte qui contribue à la lutte contre la destruction de la couche d’ozone. On sait que les pays industrialisés tels que les États-Unis, les pays du G5 sont ceux qui polluent le plus en utilisant des ressources fossiles. Nous avons cet avantage de pouvoir redorer le blason en essayant d’investir énormément dans le solaire. Toutefois, les politiques ne sont pas bien agencées même si certains pays sont entrain d’émerger.
Quelles sont les besoins des communautés rurales en matière d’énergie?
L’économie de la majorité des pays africains est concentrée dans les capitales. C’est pour cela qu’on assiste à des phénomènes d’exode rural. Pourtant, les matières premières viennent généralement des milieux ruraux. Cela entraine des coûts logistiques importants et une diminution de la valeur ajoutée des milieux ruraux. Aujourd’hui, environ 80% de la population sont des agriculteurs et ils font souvent partie de classes sociales défavorisées. Les gens se débrouillent pour pouvoir nourrir leurs familles. Quand on va dans le milieu rural, on se rend compte que les habitants font preuve d’ingéniosité. Il y a des meuniers, des vulganisateurs, des unités de congélation etc. Malheureusement, ces activités génératrices de revenus ne bénéficient pas d’électricité de bonne qualité pour améliorer l’économie rurale.
J’ai eu la chance de contribuer à un projet qui devait apporter une solution à cette thématique. Nous devions créer un marché pour développer des activités génératrices de revenus et leur fournir de l’électricité de qualité grâce au solaire ou à la biomasse avec un groupe électrogène en cas de panne d’électricité. Nous nous sommes rendus compte qu’en une année, le village a connu un taux de développement de 12% quand bien même nous vendions le prix du kilowattheure sans subvention. Donc, si nous arrivons à converger les efforts vers les populations rurales en leur fournissant une énergie de bonne qualité, nous pourrions voir nos économies nationales croître car ces gens aussi ont des idées et ils ne manquent pas de ressources mais c’est l’accessibilité de l’énergie qui pose problème.
Maintenant le besoin varie d’un pays à un autre parce que chaque pays a sa propre culture et ses traditions mais, très souvent, il y a beaucoup de similitudes en fonction des différentes régions et le besoin est crucial.
Nous nous sommes rendus compte qu’en une année, le village a connu un taux de développement de 12% quand bien même nous vendions le prix du kilowattheure sans subvention
Au Burkina Faso, je crois que c’est beaucoup mieux par rapport à d’autres pays. En Guinée, l’énergie est déplorable. Même dans la capitale, l’énergie fonctionne souvent deux heures par jour. Les gens utilisent des groupes électrogènes, ce qui fait que là-bas le besoin est plus crucial. Dernièrement, il y a eu Kaleta, le projet de barrage hydroélectrique du président de la Guinée Alpha Condé, qui visait à développer l’autosuffisance énergétique du pays, mais il y a toujours un manque important à combler.
De plus, si on a pu monter des projets pour l’électrification des villes alors il faut que les petites organisations de financement puissent accompagner les gens du milieu rural parce qu’il y a des activités essentielles qui permettent d’augmenter les revenus des populations, d’améliorer leurs conditions de vie et ainsi d’améliorer les conditions économiques de nos pays.
Les populations ont-elles un rôle à jouer aux côtés des États pour électrifier leurs communautés?
Dans le modèle économique, normalement tout le monde a un rôle à jouer. Le premier rôle des populations, c’est d’adhérer à l’idée qu’on vienne leur fournir une électricité de qualité. Il faut généralement un plaidoyer pour pouvoir discuter avec eux des différentes conditions car électriser des populations sans subventions, c’est différent de ce que font nos compagnies nationales.
Le rôle principal des populations, c’est donc d’adhérer aux projets d’électrification. Et quand on adhère, ça veut dire respecter les échéances et payer les factures car le paiement des factures permet de prendre en charge les coûts d’opération de la centrale électrique mais aussi les coûts d’entretien et de maintenance. Le rôle des populations peut également être de faciliter l’avancée du travail au niveau local.
Quelles sont les activités génératrices de revenus qui souffrent le plus du manque d’énergie?
Ce sont celles qui ont déjà un impact économique très élevé et qui apportent de la valeur ajoutée. Si on prend l’exemple de la boulangerie, on s’est rendu compte que dans les milieux ruraux, les gens font 50km pour acheter du pain. Notre étude avait montré nettement que la boulangerie est l’activité génératrice de revenus qui souffrait le plus du manque d’énergie au niveau local car le pain est un produit qui est vraiment consommé par les populations.
Il faut que les petites organisations de financement puissent accompagner les gens du milieu rural parce qu’il y a des activités essentielles qui permettent d’augmenter les revenus des populations
Ensuite, en ce qui concerne les biens et services, il y a les unités de soudure. C’est vrai que ce sont des industries qui consomment beaucoup d’énergie mais, en même temps, ça leur permet d’augmenter leurs chiffres d’affaires, d’améliorer les conditions de vie des populations et d’avoir un impact économique sur la société.
Il y a aussi les petites activités génératrices de revenus. Si on prend l’exemple d’une femme qui vend que des arachides, c’est un métier qui lui permet de nourrir sa famille. Elle vend son produit le matin mais la nuit elle ne peut pas sortir. Pourtant, il y a des gens qui vaguent dans les rues la nuit. Avoir des lampadaires dans les rues des zones rurales, c’est lui permettre de vendre davantage, d’augmenter sa productivité et d’avoir encore plus de revenus. Disons que tout le monde a besoin de l’énergie mais le plus crucial c’est ceux qui font de beaux chiffres d’affaires notamment la boulangerie, les unités locales de congélation et les unités de soudure.
A votre avis, quels sont les défis les plus urgents à résoudre dans le domaine de l’énergie au Burkina?
Le défi le plus urgent c’est d’électrifier les zones les plus reculées. Aujourd’hui, les zones les plus reculées sont en manque d’électricité et cela peut avoir un impact sur la montée du terrorisme. Si on n’a pas assez d’énergie dans les zones frontalières, les frontières restent poreuses. Les gens peuvent faire ce qu’ils veulent comme ils veulent. S’il y avait assez d’énergie dans ces zones reculées, les habitants pourraient communiquer et, dans certains cas, prévenir des dangers immédiats. Mais quand on est dos au mur, sans courant, sans quelque chose à manger, on ne peut pas se focaliser sur des étrangers qui viennent sur notre territoire jusqu’au jour où on se rend compte que ce sont des terroristes.
L’énergie contribue à améliorer les conditions de vie des populations dans les zones frontalières. L’énergie est source d’économie donc s’il y avait une bonne économie dans certaines zones reculées, cela rendrait les populations moins vulnérables. Il faut donc se focaliser sur les populations les plus éloignées, essayer de leur fournir de l’énergie et leur permettre d’améliorer leurs conditions de vie car elles sont les populations les plus défavorisées.
Maintenant, il faudra un modèle économique pour les accompagner parce qu’aujourd’hui, les gens ont compris l’utilité de l’énergie dans leurs vies mais souvent il y a des gens qui n’ont pas les moyens. Par exemple, pour quelqu’un qui a une vie modeste, il lui faudra peut-être investir 800 000 francs pour un kit d’électricité qui va marcher pendant 10 ans. Mais ce n’est pas évident qu’il puisse fournir cette somme immédiatement. Il faudra un modèle qui lui permette de payer par échéances ou d’avoir certaines subventions. Cela dit, l’urgence est là. On a compris enfin que l’énergie est moteur du développement donc sans énergie pas d’usines, sans énergie pas de développement.
De plus en plus de solutions utilisent la biomasse pour produire de l’énergie. Quel est la pertinence de ces solutions? Quelle ampleur ces solutions peuvent prendre dans la stratégie d’électrification universelle des pays de la région?
En effet la biomasse est possible pour la production de l’énergie mais la question est quel type de biomasse doit être utilisé. La biomasse est une énergie verte qui lutte contre la destruction de la couche d’ozone. C’est tout l’intérêt de l’utiliser et essayer de le substituer au butane ou à des types d’énergie similaires. Maintenant, l’intérêt c’est aussi de faire un mix énergétique, de ne pas seulement implanter des champs solaires mais aussi d’implanter des arbres pour pouvoir les intégrer dans le mix énergétique. Le tout contribuera à lutter contre la destruction de la couche d’ozone.
Il faudra un modèle économique pour les accompagner parce qu’aujourd’hui, les gens ont compris l’utilité de l’énergie dans leurs vies mais souvent ils n’ont pas les moyens
En Afrique, quoi qu’on dise, la biomasse n’est pas encore développée dans le mix énergétique alors qu’utiliser un bio-digesteur pour produire de l’énergie est une valeur ajoutée car c’est des déchets qu’on revalorise. C’est toujours bien de revaloriser parce que la biomasse est à encourager, maintenant chaque biomasse a sa pratique. Il est clair qu’on ne peut pas l’intégrer à fond dans notre politique d’électrification mais elle peut contribuer à un certain pourcentage.
Source photo : Energies Media
Yannick Thanou est un consultant en énergie basé à Ouagadougou au Burkina Faso. Il est expert sur les questions d’énergie solaire et de développement rural. Il a travaillé pour des projets d’envergure comme Akon Lighting Africa.
2 Commentaires. En écrire un nouveau
Très propore
Merci. Ensemble nous réleverons d’essentiels défis !