Hippolyte Eric Djounguep
Quelles perspectives pour les peuples, au plus près de leurs existences, dans les chemins qu’ils choisissent et ceux qu’ils subissent, dans leurs alliances (ZLECA, ALENA, CETA, etc.) et leurs séparations (Brexit, etc.), pour leur permettre d’entendre une information qui donne sens et saveur à leur vie tout entière ? Dans la société actuelle qui est plus sensible à ce qui est donné à voir qu’à ce qui est donné à entendre, le «geste-parole» constitue une façon très précieuse de partager quelque chose d’exaltant, d’innovant et de salutaire.
On trouve la source de cette existence dans le «oui» premier que les enjeux, les évolutions et les transitions en cours dans le monde imposent. Telles sont les exigences qui fondent les espérances. Signe d’une puissance incontrôlée, la Covid-19 marque l’actualité internationale et touche tous les aspects.
L’humanité se prépare déjà à un nouveau commencement
Un autre jour se lève. Même si le ciel est sombre et nuageux, on peut présager de la fin de l’orage et envisager les conséquences. Selon les prévisions de la Banque mondiale, le monde doit s’attendre à sa plus grande récession économique depuis un siècle. Sombres perspectives pour le développement et toutes les croissances mondiales. En une fraction de temps, le monde a été ébranlé par un ennemi: un virus invisible et insaisissable.
Plus de quatre millions de personnes infectées, plus de 500 cents mille morts, un système économique effondré, près de trois cents millions de chômeurs potentiels dus à la Covid-19, des bouleversements tectoniques des plaques socio-politiques et économiques à envisager sur l’étendue du globe. Assez terrifiant pour un bilan encore provisoire et qui va certainement s’alourdir.
Le monde est en ébullition, c’est la dégénérescence d’un système qui s’opère. Une transition factuelle qui conduira certainement vers de grands changements sociopolitiques et économiques
Difficile à entendre et même d’affronter l’avenir avec sérénité. Des scènes de protestations déjà effectives aux Etats-Unis, au Brésil, en Inde, en Afrique du Sud, en France, en Iran, au Nigéria, au Mali, au Burkina Faso, au Cameroun, etc. Le monde est en ébullition, c’est la dégénérescence d’un système qui s’opère. Une transition factuelle qui conduira certainement vers de grands changements sociopolitiques et économiques. La pandémie de la Covid-19 est un catalyseur de “l’establishment” de ce nouveau monde et porteuse de germes d’une nouvelle vision de notre planète et de ses différentes interactions inter-espèces.
Face à la menace globale, que faire?
En se redisant le flux d’informations développées dans les canaux de diffusion du savoir, la préciosité de la recherche dans les laboratoires et la profondeur des expériences passées, la Covid-19 ce nouveau révélateur des capacités et finalement des insuffisances humaines est un indicateur qui nous décentre de nous-mêmes et nous libère de tout souci d’autojustification. Il nous «appelle» à dépasser nos complexes et à conjuguer nos connaissances pour le bien-être de l’humanité, à examiner nos habitudes pour les mettre au diapason de la mondialisation.
Ainsi, face à cette menace globale, le discours doit être à la fois accueil, promesse et envoi; ne retenir qu’un seul des trois pôles ne rendrait pas compte de toutes les réalités et complexités environnantes. Une menace globale qui exige une solidarité et une unité contre un ennemi qui ne connaît pas de frontières politiques, philosophiques et religieuses.
La géopolitique des peuples (non réactionnaire, non extrémiste et non ré-inventrice des vielles chimères) en œuvre, dans un contexte pandémique où tous les indicateurs et autres pronostiques sont au rouge, s’impose le devoir d’offrir un signe et une parole qui disent les enjeux et les ambitions d’une humanité sortie de “la grande nuit”. Elle ne consiste pas à faire un acte magique qui contraindrait les circonstances à être favorables; ce n’est pas non plus signifier qu’il faudrait approuver tous les projets prétendument démocratiques, économiques, humanitaires et sanitaires.
Sorties des sentiers battus, les capacités humaines, l’espérance humaine, les aspirations humaines ne se situent plus à la périphérie d’un monde où les enjeux mercantilistes occupent le centre
Puisqu’elle renvoie à une information et une action stratégiques qui font toutes choses nouvelles, puisqu’elle suscite la confiance en des jours meilleurs, elle ouvre l’avenir et oriente une dynamique de vie renouvelée. Elle est une communauté de singularité, d’expression démocratique et de multiplicité de pensées. Elle consiste en un foisonnement de singularité pour la construction d’un monde pluriel. Elle est l’expression de la démocratisation de toutes les strates de la société.
Sorties des sentiers battus, les capacités humaines, l’espérance humaine, les aspirations humaines ne se situent plus à la périphérie d’un monde où les enjeux mercantilistes occupent le centre. C’est dire l’urgence et la primauté de dé-confiner notre compréhension et notre totale adhésion à l’humanisme. Oui une nature humaine dans toute sa diversité et dans toutes ses complexités pour l’édification des mondes.
Les citoyens au cœur des «mouvements tectoniques»
La géopolitique des peuples est une évidence de plus en plus perceptible au travers des évènements qui se succèdent ; c’est aussi cet appel à accueillir les embellies de la vie avec gratitude et un appui pour assumer les difficultés avec courage et confiance. Elle atteste non seulement la présence d’une certaine félicité, dans les échecs comme dans les succès, dans les marches assurées comme dans les errances.
Elle ne dispense ni des incertitudes de la vie ni des risques des projets, encore moins des responsabilités, mais soutient la confiance en un avenir encore meilleur. Sur la base de cette compréhension de l’information stratégique sortie de toute analyse géopolitique, le devoir appelle donc les peuples dans leur commune diversité à accueillir pour eux-mêmes ce don de l’univers pour les transformations sociétales et à poursuivre la réflexion sur leur propre pratique des données géopolitiques et de la construction de leur environnement.
La géopolitique des peuples trouve tout son sens dans la valorisation des différences par l’intérêt qu’on y prête, dans la confiance et la gratitude des citoyens du “village planétaire”
Les bouleversements en cours dans le monde sont une donnée précieuse, toujours à accueillir. Les dynamiques qui se mettent en place dans la conquête sans cesse renouvelée qu’offrent les différentes mutations traduisent l’expression d’une multitude des mondes. Loin de cette logique dualiste visant chaque fois à se fonder soit sur l’unilatéralisme, soit sur le multilatéralisme mieux encore sur l’unanimisme.
Il ne s’agit ni de confondre la légitime diversité avec une juxtaposition de convictions et de pratiques individuelles (simple pluralité), ni d’assimiler l’unité des sens avec l’imposition à tous d’une conviction, d’une vision et d’une pratique uniques (uniformité). La géopolitique des peuples trouve tout son sens dans la valorisation des différences par l’intérêt qu’on y prête, dans la confiance et la gratitude des citoyens du “village planétaire”. Enfants divers d’un même destin commun. Ainsi, ouvrir un chemin ensemble, c’est considérer précisément comme une information stratégique le fait que les grandes crises mondiales nous parlent aussi à travers nos différences.
De l’expérience pandémique au règne du «surhomme»
Au-delà même de ce nouveau monde en perspective, pour lequel nous devons lutter de toutes nos forces, nous sommes appelés à nous abandonner à cette pluralité ou diversité qui nous précède, nous enveloppe et nous suit. C’est elle qui permet de trouver l’allégresse dont aspire chaque sujet humain et qui permettra de «chanter» pour le bien que la vie nous offre et de «désenchanter» tous les pronostics d’un catastrophisme éventuel. C’est cette confiance qui ouvre un avenir possible et neuf.
Contre toute évidence et toute logique de ce monde, c’est la vie qui a le dernier mot sur la mort, et non l’inverse. Nous sommes bien plus que nos actes, bien plus que nos réussites et nos échecs, car nous sommes d’abord les citoyens d’un même monde. Rien ne peut briser la coexistence pacifique et harmonieuse. L’avenir n’est pas enfermé dans un passé aussi tragique soit-il, mais au contraire c’est l’avenir rendu possible qui vient transformer notre quotidien. C’est pourquoi l’expérience pandémique de la Covid-19 germe déjà et à nouveau dans l’esprit humain. Il la relève.
Source photo : Alghad.com
Hippolyte Eric Djounguep est un analyste géopolitique et contributeur dans les médias. Il est l’auteur des ouvrages Cameroun-crise anglophone: essai d’analyse post colonial (2019), Géoéconomie d’une Afrique émergente (2016), Perspective des conflits (2014), Conflits et paix (2014), Médias et conflits (2012). Depuis 2012, il s’intéresse aux dynamiques des conflits en Afrique dans la région des Grands Lacs, dans la corne de l’Afrique, dans la région du Lac Tchad et en Afrique de l’Ouest.