Le 20 novembre, un décret du président de transition du Mali, le général de corps d’armée Assimi Goïta, annonça le limogeage du Premier ministre Choguel Maïga et de son gouvernement. Le lendemain, le ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation, le général de division Abdoulaye Maïga, fut nommé sans grande surprise Premier ministre. Comme Assimi Goïta et les quatre colonels qui détiennent et se partagent la réalité du pouvoir depuis le coup d’État, l’officier de gendarmerie Abdoulaye Maïga qui n’en faisait pas partie, fut promu au grade de général en octobre dernier.
Avec la nomination de ce dernier à la tête du gouvernement, le pouvoir politique est désormais clairement, entièrement et de manière assumée entre les mains des officiers des forces armées. Même si Abdoulaye Maïga apparaît comme le plus politique et le plus souple des nouveaux généraux influents, avec une expérience, entre autres, de fonctionnaire de la Commission de la CEDEAO, l’organisation régionale dont ne sera plus membre le Mali fin janvier 2025, sauf improbable revirement.
Choguel Maïga avait créé les conditions de son limogeage en délivrant un discours surréaliste quelques jours plus tôt devant les membres de son mouvement politique, discours très critique et virulent sur les autorités militaires de transition qui l’auraient écarté de toutes les décisions majeures des derniers mois notamment sur le report des élections devant mettre fin à la transition. Pas sûr qu’il réussira à revêtir les habits d’un leader de l’opposition civile au régime militaire après l’avoir servi avec beaucoup d’éclat et de verve pendant plus de trois ans. Et après avoir été solidaire de la neutralisation de nombre de voix politiques et citoyennes critiques de la manière dont le pays était dirigé.
Au-delà des ambitions personnelles, et notamment présidentielles, de telle ou telle autre personnalité civile ou militaire, les soubresauts politiques actuels au Mali confirment la fragilité intrinsèque des pouvoirs issus des coups d’État militaires et leur impact quasiment inévitable sur la stabilité politique et institutionnelle pendant toute la durée des périodes d’exception, en particulier lorsque cette durée n’est pas connue. Et cela est vrai même lorsque les auteurs du coup d’État sont convaincus au départ d’agir dans l’intérêt supérieur de leur nation.
Choguel Maïga avait créé les conditions de son limogeage en délivrant un discours surréaliste quelques jours plus tôt devant les membres de son mouvement politique, discours très critique et virulent sur les autorités militaires de transition qui l’auraient écarté de toutes les décisions majeures des derniers mois notamment sur le report des élections devant mettre fin à la transition
La première fragilité vient du fait que le colonel, le général ou le capitaine qui réussit à prendre le pouvoir par la force n’est pas en soi plus légitime que n’importe lequel de ses frères d’armes. C’est la capacité à réussir un coup et à s’imposer qui compte, pas une forme de légitimité qui serait issue des populations. Le risque d’une récurrence de coups ne disparaît pas au fil du temps, en particulier lorsque la durée de la transition militaire n’est pas connue, lorsque les calendriers annoncés ne sont pas respectés et lorsque les engagements initiaux ne le sont pas non plus. Les régimes militaires sahéliens en sont là, celui de Guinée qui se fait oublier également.
Non seulement les régimes sont en roue libre, mais les dirigeants militaires n’excluent nullement d’être candidats quand ils décideront d’organiser des élections. Les dirigeants militaires actuels ne sont plus soumis à aucune pression provenant d’une organisation régionale comme la CEDEAO ou de l’Union africaine qui n’est plus audible. L’organisation continentale avait érigé en principe l’interdiction pour les auteurs des changements anticonstitutionnels de gouvernement de se porter candidats aux élections de sortie de transition, avec une idée que chacun peut comprendre : que le coup d’État ne soit pas un moyen de prendre le pouvoir par la force et de se maintenir durablement au pouvoir ensuite comme président élu au terme d’élections manipulées. Ce principe a volé en éclats et du Mali à la Guinée en passant par le Gabon, tous les dirigeants militaires actuels sont bien partis pour être candidats aux élections lorsqu’ils voudront les organiser.
Il faut aujourd’hui prendre la mesure du changement majeur qui s’opère en Afrique de l’Ouest et des perspectives dans 5 à 10 ans. Il faudra faire avec le retour fulgurant des militaires sur la scène politique dans les pays du Sahel mais pas seulement. Abdoul Karim Saidou, Maître de conférences agrégé de science politique à l’université Thomas Sankara de Ouagadougou, a publié il y a quelques mois un article très intéressant titré : « Démocratie et insécurité au Sahel: une cohabitation impossible? ».
Non seulement les régimes sont en roue libre, mais les dirigeants militaires n’excluent nullement d’être candidats quand ils décideront d’organiser des élections
Parlant des régimes militaires, il écrit ceci: « De façon globale, leur agenda politique et la mise à l’écart des partis politiques laissent penser à de nouvelles entreprises politiques ayant vocation à s’enraciner plutôt qu’à des régimes de transition. Ces nouveaux coups d’État semblent répondre à une volonté des militaires de se repositionner dans l’arène politique. La crise sécuritaire leur sert de prétexte pour atteindre cet objectif. En clair, ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement la sécurité nationale, c’est aussi la concurrence pour le contrôle de l’appareil d’État entre élites civiles et militaires… ».
Nous devons en effet voir la réalité en face : les progrès réalisés depuis les années 1990 en matière de professionnalisation et de dépolitisation des armées, d’apprentissage de la soumission des hauts gradés aux autorités politiques civiles, sont en train d’être annihilés. Les implications ne sont pas théoriques : elles sont potentiellement graves et durables pour la qualité de vie de la majorité des populations ouest-africaines au cours des prochaines décennies.
Pendant qu’on s’enfonce dans des impasses politiques, des centaines de milliers d’enfants de la région ne vont plus à l’école à cause de l’insécurité, ou n’y sont jamais allés. Jeudi prochain 28 novembre, WATHI organise en partenariat avec l’ambassade d’Irlande au Sénégal une table ronde virtuelle sur « L’éducation dans les situations d’insécurité en Afrique de l’Ouest ». On parlera forcément beaucoup des pays du Sahel. Ne manquez pas ce rendez-vous. Excellente semaine.