Auteur : Sandrine Berthaud-Clair
Site de publication : Le Monde
Type de publication : Tribune
Date de publication : 14 mai 2020
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Ils ont graphé de mille couleurs les murs du continent pour diffuser les messages de prévention contre le Covid-19. Ils ont chanté pour alerter leurs « frères et sœurs ». Se sont engagés auprès des ONG et des agences internationales pour mettre leur notoriété au service de la cause.
Fally Ipupa, Koffi Olomidé, Bobbi Wine, DJ Kerozen, Ferre Gola, Nash, Tiken Jah Fakoly, Meiway, Alpha Blondy, Youssou N’Dour, les Y’en a marre… La liste est très longue des artistes africains qui se sont impliqués sans tarder dès que le nouveau coronavirus est arrivé. Mais, bien avant la pandémie qui a poussé la moitié de la planète à se confiner, écrivains, chanteurs, musiciens, comédiens, peintres, plasticiens, sculpteurs, cinéastes d’Afrique œuvraient déjà auprès de leurs concitoyens au jour le jour, souvent de manière très discrète.
« Boxer la situation »
« Dans un pays pauvre comme le Congo, l’art a une importance capitale, raconte la dramaturge Sylvie Dyclo-Pomos, qui dirige la compagnie Ludo Sylvie. L’artiste contribue avant tout à mettre du baume au cœur d’une population qui traverse d’incessantes crises. Notre rôle est de donner de la joie, gratuitement, à des gens qui n’ont parfois rien à se mettre sous la dent. »
L’énergique Congolaise a aussi créé une « fabrique culturelle », Gare aux pieds nus, qui accueille en priorité des jeunes, « parfois ancrés dans la violence », pour faire le plein d’activités artistiques. « A Brazzaville, la situation est telle que certains en ont perdu la raison et errent dans les rues, explique Sylvie. Leur souffrance n’a jamais été entendue. L’art, le théâtre particulièrement, peut aussi aider à guérir. » A ses yeux, l’art vaut toutes les thérapies et empêche une frange de souffrants de sombrer dans une folie provoquée par la guerre et la misère.
Avant de penser l’avenir, les artistes pansent l’urgence, prenant en charge la misère sociale du continent. Mahi Binebine, peintre, romancier et sculpteur de renommée internationale, a mis son talent et son argent, avec Nabil Ayouch, le réalisateur de Much Loved sélectionné à Cannes en 2015, au service des gamins des bidonvilles du Maroc. « Il fallait aider ces gosses, leur permettre de rêver et de choisir une autre voie que la violence. L’art est vital », précise-t-il.
Cette nouvelle génération d’architectes et, surtout, la suivante, « que les tours de Dubaï intéressent peu », ont fait de cet aveuglement une force. En repartant de la vision des habitants et de leur réalité. Plusieurs expériences « d’ateliers spontanés » ont été menées dans les quartiers « infréquentables » d’Abidjan en inversant les rôles. Ce sont les habitants qui ont dit l’usage des bâtiments, des espaces, communs, leur pratique du tri sélectif, la réalité des jardins partagés au milieu de l’anarchie urbaine.
Ces architectes qui veulent « habiter le monde autrement » en nourrissent leur travail pour tester des projets loin du regard des politiques et les transformer en modèles : « Quand l’artiste s’affranchit du politique, tout devient possible. »
Illustrant son propos avec les œuvres du Congolais Freddy Tsimba, qui récupère les milliers de douilles de balles de mitrailleuses sur les « champs de bataille » de son pays, la République démocratique du Congo (RDC). Le sculpteur en fait d’immenses corps de femmes, girondes, parfois enceintes, intitulées Porteuses de vie qui sont autant de dénonciations des guérillas qui meurtrissent l’est de la RDC et l’affirmation d’une espérance. « En recyclant ces douilles destinées à donner la mort, il les reconfigure dans une dimension esthétique, analyse Franck Ekra. L’art est un projet poétique autant que politique. »
« Dans un pays pauvre comme le Congo, l’art a une importance capitale, raconte la dramaturge Sylvie Dyclo-Pomos, qui dirige la compagnie Ludo Sylvie. L’artiste contribue avant tout à mettre du baume au cœur d’une population qui traverse d’incessantes crises. Notre rôle est de donner de la joie, gratuitement, à des gens qui n’ont parfois rien à se mettre sous la dent. »
Histoire familiale « shakespearienne »
Une dimension qui n’a pas échappé aux régimes autoritaires du continent, qui manient les armes de la censure et de la prison. A bout d’épreuves, le rapport de forces mène parfois à l’exil. « Le statut de l’artiste africain est tel que les oiseaux du ciel ont des nids, les renards des tanières, mais certains des plus grands fils d’Afrique n’ont pas où poser leur tête dans leur propre pays », dénonce Franck Ekra.
L’analyste rappelle pourtant que « le politique, lorsqu’il est revitalisé par la culture, peut nous amener à une issue par le haut ». Citant le Sénégalais Léopold Sédar Senghor et l’Ivoirien Bernard Dadié, deux hommes d’exception qui ont su faire coïncider leur pratique de la politique et leur art, devenant des figures tutélaires inspirant les générations futures.
Car tous en sont persuadés : « L’art gagne toujours », même si « l’artiste, lui, en paie le prix fort », ajoute dans un éclat de rire le Mahi Binebine. Un rire qui transcende une histoire familiale « shakespearienne », comme il le raconte dans l’un de ses livres, écartelé entre un père qui fut « fou du roi » Hassan II et un frère qui passa dix-huit ans dans les geôles du dictateur. Mais la puissance de la censure ne fait que révéler en creux la puissance des idées dont sont porteurs les artistes et qu’aucune cellule n’a jamais réussi à enfermer. « Le politique a tout à fait raison d’avoir peur de l’artiste », sourit à son tour Sylvie Dyclo-Pomos.
Et ces deux dernières décennies, les plus jeunes qui ont poussé dans « un environnement politique dégradé », note Issa Diabaté, en fin observateur de la Côte d’Ivoire, ont fini par se prendre en charge eux-mêmes et à ne plus attendre d’en haut les solutions à leurs problèmes quotidiens. La vitalité des sociétés civiles du continent en témoigne. Armés des réseaux sociaux, ces jeunes « sont capables de rassembler 3 000 à 4 000 personnes sans communication officielle et, chemin faisant, s’affranchissent complètement de la décision politique. C’est dans cette direction que tous les penseurs, créateurs et artistes devraient aller ».
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