Auteurs: Junior Mumbala Abelungu et Ezéchiel Amani Cirimwami
Type de publication : Article
Date de publication : 2018
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L’Afrique est généralement présentée comme le continent où les conflits armés sont permanents. Ces derniers, dans la plupart de cas, remettent en question le droit censé être d’application, le droit international humanitaire (DIH). Ceci devait normalement conduire à une certaine judiciarisation desdites situations devant les instances régionales ou internationales.
Dans le cadre de son système régional de protection des droits de l’homme, l’Afrique s’est dotée notamment de la Commission et de la Cour africaines des droits de l’homme et des peuples. Celles-ci sont habilitées à se prononcer sur des différends ou questions impliquant principalement l’interprétation et l’application des droits de l’homme sous cet angle. C’est aussi le cas du Comité africain d’experts sur les droits et le bien-être de l’enfant (CAEDBE) qui se charge notamment de la promotion, de la protection et de l’interprétation des droits de l’enfant consacrés par la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant. Bien plus, le DIH ne se trouve pas moins concerné par ces mécanismes.
En effet, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (Charte) indique en ses articles 60 et 61 respectivement les «sources» du droit dont la «Commission s’inspire» dans l’accomplissement de sa mission, [et les] «sources» du droit qu’elle «prend aussi en considération comme moyens auxiliaires de détermination des règles de droit». «En réalité ce cadre de référence est plus large encore puisqu’à titre de moyens auxiliaires de détermination des règles de droit, est pris en compte tout le droit international pertinent».
Tout ceci dans le but de donner une meilleure protection des droits humains. Et tenant compte des Conventions de Genève de 1949 et de leurs Protocoles additionnels dans l’examen des questions du DIH dans le cadre de sa première communication interétatique Communication 227/99, République Démocratique du Congo c. Burundi, Rwanda, Ouganda la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a ainsi considéré en vertu des articles 605 et 616 précités, ces instruments du DIH comme «principes généraux du droit reconnus par les États africains».
Si l’article 60 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples est plus explicite sur les règles de droit dont s’inspire la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, une disposition de cette nature est, en revanche, introuvable en ce qui concerne la Cour africaine créée pour compléter et renforcer la mission de la Commission
Dans le même sens, le CAEDBE, composante du système africain de protection des droits de l’homme, dans sa mission d’«interpréter les dispositions de la [Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant] à la demande des États parties […]», se verra directement confronté au DIH par l’interprétation précisément de l’article 22 précité.
Si l’article 60 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples est plus explicite sur les règles de droit dont s’inspire la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, une disposition de cette nature est, en revanche, introuvable en ce qui concerne la Cour africaine créée pour compléter et renforcer la mission de la Commission.
Les compétences de la Cour africaine sont en effet régies par les articles 3 et 4 du Protocole portant création d’une Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples. Relativement au droit que la Cour applique, la lecture combinée de ces deux dispositions enseigne qu’en matière contentieuse et consultative, la Cour applique la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, le Protocole à la Charte africaine portant sa création et tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme.
En claire, la compétence de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples n’est pas limitée aux seuls instruments régionaux des droits de l’homme intervenus dans le cadre de l’Union africaine ou de son prédécesseur, l’OUA. Cette compétence s’étend à tous autres instruments relatifs aux droits humains qui s’avèrent pertinents. A ce titre, pour déterminer si les questions relatives au droit international humanitaire pourraient faire partie des compétences de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, il faut préalablement dire si le droit international humanitaire peut être considéré comme un instrument des droits de l’homme.
L’exercice n’est en effet pas fameux tant il est généralement considéré que les droits de l’homme sont «des prérogatives, gouvernées par des règles, que la personne (physique ou morale) détient en propre dans ses relations avec les particuliers et le Pouvoir». Sous cette lecture, il devient difficile de considérer le droit international humanitaire comme un instrument des droits de l’homme et partant, étendre la compétence de la Cour africaine à l’application ou à l’interprétation des règles y relatives. Dans la pratique de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, deux cas permettent de comprendre l’interprétation que celle-ci fait de «tout instrument pertinent relatif aux droits de l’homme».
D’une part, par la demande d’avis consultatif N°001/2015 introduite par la Coalition pour la Cour pénale et autres, il était notamment demandé à la Cour de dire qu’elle est l’obligation prépondérante entre l’obligation découlant du Statut de Rome en matière de coopération avec la CPI et celle dérivant des résolutions de l’Union africaine qui prescrivent à ses États de ne pas coopérer avec la CPI.
La matière des droits de l’homme, comme toute autre matière régie par le droit international, est donc susceptible de soulever des questions touchant au droit des traités en général et à la hiérarchie des normes internationales en particulier
Sa réponse est restée ambiguë. Elle ne permet pas de dire quels sont les critères pour qu’un instrument juridique donné soit considéré comme relevant des droits de l’homme. En effet, la Cour n’a pas abordé le fond de la question qui lui était soumise. Elle a préféré adopter une attitude formaliste en considérant que la demande d’avis consultatif ne remplit pas les conditions énoncées à l’article 68(2) du Règlement intérieur de la Cour.
De l’avis de la Cour, les auteurs de la demande « n’ont pas précisé les dispositions de la Charte ou de tout autre instrument relatif aux droits de l’homme à propos desquels l’avis est demandé » et les « questions soulevées par les auteurs de la demande sont plutôt de l’ordre du droit international public général et ne touchent pas aux questions des droits de l’homme ». La Cour a précisé ensuite que «les points soulevés concernent la hiérarchie des normes en droit international public».
La Cour n’est pas allée jusqu’au bout de son raisonnement en disant clairement quels sont les éléments qui permettaient d’affirmer que les questions qui lui étaient posées relèvent du droit international public que des droits de l’homme. Pourtant, les auteurs ont indiqué s’appuyer en particulier sur les articles 1, 4, 5, 12, 13 et 86 du Statut de Rome portant création de la Cour pénale internationale et ont également précisé les circonstances à l’origine de leur demande. La question se posait donc de savoir si le statut de Rome peut être ou non considéré comme un «instrument relatif aux droits de l’homme» aux termes de l’article 4 du Protocole et la Cour aurait dû dès lors y répondre clairement.
Le Juge Fatsah Ouguergouz qui s’est départi de l’opinion majoritaire regrette que la Cour n’ait pu élaborer son affirmation selon laquelle les questions soulevées dans la demande d’avis consultatif relèvent du droit international public général et non des droits de l’homme et qu’elles concernent la hiérarchie des normes en droit international public. Pour le Juge Fatsah Ouguergouz, le fait que les questions soulevées touchent au droit international public général et à la hiérarchie des normes en droit international public en particulier, ne signifie pas nécessairement que ces questions soient étrangères aux droits de l’homme. Il considère par ailleurs que «la protection des droits de l’homme que la Cour est chargée d’assurer sur la base du Protocole, est prévue par le droit international et est par définition irriguée par ce droit.
De manière générale, toute la question des droits de l’homme est de plus en plus appréhendée par le droit international que ce soit au niveau des sujets, des sources, de la responsabilité internationale ou du règlement pacifique des différends. La matière des droits de l’homme, comme toute autre matière régie par le droit international, est donc susceptible de soulever des questions touchant au droit des traités en général et à la hiérarchie des normes internationales en particulier». La Cour a donc raté l’opportunité de donner une interprétation de ce que le Protocole qualifie de «tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme».
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