Auteur : Duhamel Bernard
Publié par : Encyclopédie de l’énergie
Type de publication: Article
Date de publication: 6 mars 2017
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Parmi les grands enjeux de l’approvisionnement du monde en énergie au cours des prochaines décennies, l’électrification des 1,6 milliards de ruraux qui n’ont accès ni à l’électricité ni à aucune forme moderne d’énergie pour la cuisson de leurs aliments n’est pas le moindre. Comment leur permettre de bénéficier des avantages que procurent les nombreux usages de l’électricité, de l’éclairage à la motorisation fixe en passant par la réfrigération et les moyens modernes de communication? Les réponses dépendent de l’évolution des techniques disponibles mais aussi des politiques d’électrification rurale comportant des choix entre approvisionnement centralisé et décentralisé, modalités tarifaires ou formes de subvention.
Le contexte de l’Afrique Sub-Saharienne (ASS)
Saisir la problématique de l’électrification rurale en Afrique Sub-Saharienne (ASS) suppose que l’on en comprenne le contexte dans sa triple dimension.
La démographie
En 2015 la population totale Africaine est estimée à 1,2 milliard de personnes, dont près de 1 milliard sont en ASS : 395 millions en Afrique de l’Est, 350 millions en Afrique de l’Ouest, 143 millions en Afrique Centrale et 61 millions en Afrique Australe. Dans 50 ans (2065) la population totale africaine aura plus que doublé, passant à 3 milliards d’habitants. Elle pourrait passer à 4 milliards d’habitants en 2100. Cet accroissement sera en grande partie le fait de l’ASS où la population restera pour longtemps la plus jeune du monde avec un taux de fécondité moyen (en 2015) de 5,3 enfants par femme en Afrique de l’Ouest, 5,2 en Afrique Centrale et 4,5 en Afrique de l’Est.
L’accès à l’électricité
La plupart des secteurs de l’électricité des pays d’ASS sont dans une phase de transition au sens d’une mise en œuvre de réformes réglementaires dont le principal objectif est de collecter des financements et d’ouvrir le secteur à de nouveaux opérateurs. Mais l’électrification rurale (ER) et l’accès ont rarement été considérés comme des préoccupations essentielles dans ces réformes, l’adduction d’eau et les transports ayant été privilégiés par rapport à l’accès à l’électricité qui ne figurait même pas dans les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD). Le modèle des restructurations s’est inspiré de pays où le taux d’accès à l’électricité est égal à, ou proche de, 100%: (i) le gouvernement devait faire en sorte que l’électricité soit fournie à un tarif uniforme ; (ii) le financement de l’électrification rurale ne pouvait dépendre que de l’aide extérieure et non de financements provenant de l’État ou de la Compagnie d’électricité.
Ce qui caractérise l’Afrique Sub-Saharienne, et en fait une exception par rapport aux pays en développement d’Asie ou d’Amérique latine qui ont achevé leur taux d’électrification urbaine (> 95%), c’est un faible taux d’accès initial, la plupart des pays ayant un taux d’électrification urbaine < 50%. Un système généralisé d’opérateur unique pour achever leur électrification par généralisation de l’accès à l’électricité dans les campagnes n’est donc pas nécessairement le modèle à suivre.
Le continent africain est le moins électrifié au monde. Sur les 1,3 milliard de personnes n’ayant pas actuellement accès à l’électricité, 600 millions se trouvent en Afrique. Les inégalités régionales y sont grandes, révélant une véritable fracture entre l’Afrique du Nord et l’Afrique du Sud d’un côté et l’Afrique subsaharienne de l’autre. D’après l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) la population africaine sans accès à l’électricité en millions et en % se répartit ainsi.
Actuellement ce sont 14% de la population rurale de l’ASS qui a accès à l’électricité contre 64% de la population urbaine et péri-urbaine. Dans plus d’une vingtaine de pays de l’ASS, l’électrification rurale concerne moins de 5% de la population totale. Cette situation s’explique en partie par: (i) le manque d’infrastructures matérielles, en production et distribution de l’électricité, qui s’explique par les lenteurs, à l’échelle du continent, du processus d’électrification compte tenu du volume d’investissements nécessaires, soit environ 50 milliards de dollars par an; (ii) une carence institutionnelle répandue qui traduit par des schémas directeurs et des plans d’action trop souvent insuffisant pour stimuler une offre dynamique; et (iii) le faible revenu des ménages ruraux, à l’origine de la faiblesse endémique de la demande, ce qui contraint toute politique d’électrification rurale de désormais s’intégrer dans une stratégie de réduction de la pauvreté: l’accès à l’électricité est considéré comme un objectif socioéconomique essentiel.
Surtout l’incapacité des compagnies nationales d’électricité à absorber de nouveaux clients ruraux sans aggraver leur propre situation financière limite la mise en œuvre des volontés politiques et l’opérationnalisation des financements en faveur de l’électrification rurale.
Un système généralisé d’opérateur unique pour achever leur électrification par généralisation de l’accès à l’électricité dans les campagnes n’est donc pas nécessairement le modèle à suivre
La technologie
La dispersion de la demande caractérise l’accès à l’électricité dans le monde rural. Face à cette situation le raccordement au réseau implique des coûts élevés, prohibitifs dans de nombreux cas. Le peu d’électrification rurale actuelle fait largement appel à des groupes électrogènes dont la source d’énergie, coûteuse, est le diésel. Notons cependant que des initiatives à base de turbines diésel isolées sont considérées comme socialement réussies: au Mali, les «plates-formes multifonctionnelles» alimentées au gazole; en Guinée, de petits systèmes thermiques ruraux appartenant au secteur privé et gérés par lui.
Mis à part la biomasse, inégalement répartie et peu propice à la production d’électricité, et la micro hydraulique, pas toujours présente et souvent saisonnière, la ressource énergétique économiquement disponible à faible coût semble donc faire défaut à l’Afrique rurale. Sauf si l’on considère l’arrivée d’ une nouvelle ère énergétique, celle du solaire, dont il est acquis que les grands bénéficiaires seront les pays émergents sous la condition qu’ils puissent conjuguer un fort ensoleillement, une croissance soutenue de la demande d’électricité, actuellement de 2,7 %/ an en ASS, et un cadre réglementaire sécurisé pour les investisseurs.
Ces conditions peuvent être remplies en Afrique dont une tâche prioritaire devrait être d’embrayer sur la révolution solaire en cours, portée par : a/ la baisse des prix des cellules photovoltaïques dont le coût devrait encore baisser de 60% dans les dix prochaines années; b/ l’allongement de leur durée de vie et la plus grande fiabilité de leurs matériaux. Toutes ces innovations sont actuellement portées par la Chine électrifiée à 100% grâce au solaire domestique hors réseau.
Les institutions de l’ER, entre centralisation et décentralisation
«Décentralisée» ou «centralisée», l’électrification rurale peut être réalisée soit par des initiatives privées, soit au moyen de partenariats public-privé (PPP), soit grâce au financement par le secteur public.
Des initiatives à base de turbines diésel isolées sont considérées comme socialement réussies: au Mali, les «plates-formes multifonctionnelles» alimentées au gazole
Les politiques de « décentralisation » ont débouché sur la création d’Agences d’Électrification Rurale (AER) appuyées par la création de Fonds d’Électrification Rurale (FER) chargés de collecter et de répartir les financements. Des AER – FER sont attendus : a/ la mobilisation des investisseurs privés (prêts des banques commerciales) ; b/ une plus grande efficacité des investissements se traduisant par plus de raccordements annuels en moyenne ou basse tension; c/ le lancement de projets nouveaux de développement.
Schématiquement : «Les dispositions institutionnelles de l’électrification rurale présentent des points communs dans la plupart des pays d’ASS:
- le Ministère de l’énergie est responsable de la régulation et de la planification du secteur, de l’attribution des autorisations, des licences et des concessions, etc. et a en son sein, un département de l’énergie qui s’occupe de la politique et de la planification sectorielles;
- il existe un conseil national de régulation de l’électricité qui s’occupe de la régulation, des normes et des tarifs;
- une Agence d’Électrification Rurale (AER) est principalement chargée de la promotion et du soutien technique aux intéressés et de la promotion des programmes et des projets ;
- un Fonds d‘Électrification Rurale (FER) est responsable de la collecte des fonds, nationaux et étrangers, et de la redistribution des aides financières ainsi que des subventions publiques.
La définition d’une politique d’ER propre à un pays considéré devrait donc s’appuyer sur l’élaboration d’un Schéma Directeur (identification de l’état des lieux, choix technologiques, objectifs de marché etc.) puis d’un Plan d’Action (pilotage des moyens par rapport aux objectifs, liste des tâches, optimisation des moyens humains et financiers), lesquels déclinent en principe une « Stratégie de développement du secteur de l’énergie».
«La planification nationale de l’électrification rurale est en général considérée comme une étape importante de la réalisation des programmes d’ER. Elle est le reflet d’une approche descendante, sensiblement différente de ce qui avait été réalisé dans les pays industrialisés pour aboutir à l’accès universel, car les approches étaient alors ascendantes, sans planification nationale ou même régionale».
En fait, il existe une variété d’approches différentes de la planification de l’électrification rurale en ASS. Mais: «Dans tous les pays, l’origine des financements joue un grand rôle dans la définition des priorités régionales, organisationnelles et même techniques, figurant dans le plan». Et il semble difficile de compter uniquement sur les efforts de petites sociétés privées.
«Dans certains pays, les AER et FER sont responsables de tous les types de projets d’ER: extensions du réseau dans les campagnes et projet d’ER hors réseau. Dans d’autres pays, les AER et FER ne sont responsables que des projets d’électrification hors réseau, projets de réseaux isolés et systèmes isolés d’énergie renouvelable, comme les installations solaires PV. Les projets d’extension du réseau, concernant les réseaux nationaux ou régionaux, restent le monopole de la compagnie d’électricité nationale ou régionale». En réalité, on constate que: «l’approche centralisée l’emporte clairement en ce qui concerne la réalisation des raccordements, dans la mesure où la compagnie d’électricité qui s’en occupe est raisonnablement efficace».
Par contre, appliqué à la réalisation de projets hors du réseau principal, ce qui est le cas de l’Éthiopie, du Mali ou du Mozambique, le schéma décentralisé (AER et FER) se justifie. Il complète l’approche centralisée utilisée pour les projets d’extension du réseau, et permet d’atténuer les tensions régionales, en promouvant plus d’équité entre les régions dans l’accès à l’électricité.
Place des ENR: l’exemple du Bas Congo où l’énergie solaire change la vie des villages
Les panneaux solaires changent la vie de nombreux villages du Bas-Congo: moulins et cuisinières électriques, téléviseurs, ventilateurs y fonctionnent aujourd’hui. Au grand bonheur des agriculteurs qui n’hésitent pas à investir leurs économies dans cette énergie non polluante.
Bâti en pleine savane de la province du Bas-Congo (sud-ouest de Kinshasa), dans le district de la Lukaya à 305 km de Matadi, Nselo attire la curiosité des visiteurs. Depuis quelques mois, cette bourgade de plus de 18 000 habitants a, en effet, fait un bond en avant spectaculaire. Un peu comme par miracle, les lampes-tempête et bougies qui éclairaient jusque-là les maisons cèdent progressivement la place à l’énergie solaire. L’arrivée de cette nouvelle technologie s’accompagne d’autres petits changements. Çà et là, des cases en chaume sont remplacées par des maisons en briques cuites ou en terre, couvertes de tôles. Samuel Lutumba, un des hommes célèbres du village, en est tout fier. «J’ai commencé par remplacer la toiture en paille de ma maison pour éviter tout incendie», raconte-t-il.
C’est en août 2009 que les panneaux solaires ont fait leur apparition dans cette contrée. Les villages, ici très éloignés des centres urbains, n’attendent pas recevoir de sitôt, l’électricité produite à Inga, le grand barrage du pays implanté dans cette province. Les paysans de la région qui vivent essentiellement de l’agriculture, n’hésitent par conséquent pas à dépenser leurs petites économies pour bénéficier des bienfaits de cette technologie que leur vend le Centre de recherches technologique et environnementale (CRTE). «J’ai acheté cash tout le matériel nécessaire à 1 200$», témoigne Lutumba.
Les panneaux solaires changent la vie de nombreux villages du Bas-Congo: moulins et cuisinières électriques, téléviseurs, ventilateurs y fonctionnent aujourd’hui
Paysans solidaires: les kits qui leur sont vendus sont de deux types. Le premier, d’une puissance de 80 W, qui coûte 1 500$, possède une autonomie de 8 heures par jour et permet de faire fonctionner une radio, une télé ou encore un ventilateur et cinq points lumineux. Le second kit de 60 W avec le même dispositif, coûte 1 200$. «Nous pouvons aussi fournir des kits complets pour alimenter une maison à plusieurs pièces», explique Shabani Record, le responsable du CRTE. Les quelques paysans nantis ont été les premiers à être servis. Pour les foyers démunis, les gens se cotisent à plusieurs. Comme ces trois voisins d’une même rangée de maisons à Nselo. «Chacun a donné 400$. Au bout de trois mois nous avons reçu le kit complet et nos maisons sont éclairées par un même panneau solaire», se réjouit l’un d’eux, Maurice Kindudi.
Les coûts de l’Électrification Rurale
Face aux difficultés d’extension du réseau électrique traditionnel, le développement de moyens de production décentralisés off-grid ou organisés autour d’un mini grid local présente donc une alternative intéressante. D’où la volonté de réduire les coûts de l’ER en fonction d’une double finalité qui doit se conjuguer: a/ réduire les coûts d’investissement nécessaires pour donner accès à l’électricité à une population rurale déterminée; b/ réduire sur le long terme les coûts d’achat de l’électricité par les consommateurs ruraux. Pour cela les investissements sont essentiellement subventionnés, et dans la plupart des cas est appliqué un système de tarification qui ne permet cependant pas de couvrir les coûts des projets décentralisés.
En se fondant sur des travaux réalisés par la Banque mondiale et par l’Africa Infrastructure Country Diagnosis (AICD), l’étude largement citée plus haut concluait : «Il est difficile d’évaluer clairement les coûts d’électrification par client dans les documents des projets financés par des aides, parce que ces coûts sont souvent masqués par la complexité des projets et l’importance des coûts de développement des capacités et des institutions… Le coût de l’investissement par client raccordé (investissements immatériels en études de faisabilité des projets et investissements en construction) semble être plus élevé dans les pays qui utilisent des approches décentralisées de l’électrification rurale que dans les pays qui utilisent des approches centralisées…».
Face aux difficultés d’extension du réseau électrique traditionnel, le développement de moyens de production décentralisés off-grid ou organisés autour d’un mini grid local présente donc une alternative intéressante
Mais l’approche décentralisée semble inévitable, même si on a pu lui reprocher des coûts «institutionnels» élevés (création d’AER et de FER, avec formation adéquate du personnel). Elle justifie le concept de «pré-électrification» qui, dans les conditions sociologiques actuelles de l’ASS, est une ouverture décisive sur la modernité, sur le développement, et doit permettre de freiner l’exode rural. Même si, de ce fait: «le ratio entre les investissements immatériels et les investissements matériels peut être particulièrement élevé», les initiatives induites sont créatrices d’emploi.
Le fait est que, pour chaque nouveau projet, l’on constate que : «chaque donateur a tendance à créer son propre système de gestion et de financement de l’ER, ce qui entraîne la multiplication du nombre d’organismes coûteux et des confusions au niveau opérationnel». La tendance est regrettable. Elle est propre à un système de coopération qui s’est généralisé en ASS. En conclusion, comme le souligne le document cité : «les gouvernements devraient, dans la mesure du possible, faire appel à la coopération Sud-Sud, en tirant parti des réussites de certains pays, comme le Mali et la Guinée, et de leurs priorités dans le domaine de l’ER».
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