Auteur : Hugo Zusslin
Organisation affiliée : Campus France
Type de publication : Notes
Date de publication : novembre 2020
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Avec un taux moyen de scolarisation dans l’enseignement supérieur inférieur à 10%, les pays d’Afrique subsaharienne font face à d’importantes difficultés pour former leur jeunesse. Les explications sont multiples : croissance démographique importante et forte proportion de jeunes au sein de la population, sous-finance – ment et saturation des établissements ou encore crises économiques et politiques. De même, l’émergence d’une classe moyenne dans certains pays d’Afrique – bien qu’hétérogène en fonction des pays – accroît encore la demande d’enseigne – ment supérieur. Même si les taux d’inscription à l’université progressent, l’accès à l’enseignement supérieur reste le privilège d’une minorité.
Cela explique que les étudiants des pays subsahariens sont les plus mobiles au monde : 4,5% d’entre eux faisaient leurs études à l’étranger en 2017, contre 2,4% en moyenne au niveau mondial. Or la crise sanitaire actuelle génère des incertitudes concernant l’avenir des échanges ; l’enseignement à distance pourrait s’imposer là où la mobilité est devenue compliquée si ce n’est impossible. Il pourrait également limiter la saturation des établissements en Afrique subsaharienne. Si les initiatives dans ce domaine se multiplient, elles ne touchent encore qu’un très petit nombre de personnes à l’échelle du continent. Les raisons qui freinent son développement sont multiples et les constats diffèrent en fonction des pays.
Apparition et déploiement de l’enseignement à distance en Afrique subsaharienne
Les universités ouvertes africaines
Au début des années 1970, se met en place en Europe un nouveau modèle d’enseignement supérieur, celui des universités ouvertes ou open universities. Ces universités sont originellement destinées à la formation continue, qui s’appuie sur les technologies de l’information et de la communication pour diffuser des contenus pédagogiques (radio, télévision puis internet).
Ce modèle de formation à distance a pour caractéristiques de permettre l’accès aux études à distance et sans condition spécifique d’admission. Fortes de leur expérience d’institutions d’enseignement par correspondance, les universités ouvertes sont pionnières dans le développement de l’enseignement à distance comme nous le connaissons aujourd’hui. Elles se sont engagées dans le tournant numérique en proposant des cours en ligne dès le début des années 2000.
Le modèle des open universities s’est progressivement exporté hors d’Europe pour répondre à la forte croissance des inscriptions dans l’enseignement supérieur qui a lieu à partir du milieu des années 1990. Imaginées dès les années 1970, ces nouvelles universités partagent avec les universités ouvertes occidentales leurs principales caractéristiques : un grand nombre d’étudiants nécessitant une gestion efficace et rationalisée, une volonté d’ouvrir l’éducation à tous associée à la perspective d’une montée en compétences des travailleurs.
L’Université d’Afrique du Sud (UNISA), est aujourd’hui le principal fournisseur d’enseignement à distance en Afrique et regroupe un tiers des étudiants sud-africains inscrits dans l’enseignement supérieur. C’est aussi la plus grande université du continent avec 400 000 étudiants. L’Université nationale ouverte du Nigeria (NOUN) est la plus grande université du pays avec 245 000 étudiants et 77 centres d’études en 2017. NOUN dispose du premier Open Educational Resources Repository5 d’Afrique de l’Ouest. En janvier 2018, près de 15 000 étudiants ont été diplômés. Il existe également de nombreuses universités à distance privées comme l’University of Africa (2 000 étudiants de Zambie, Zimbabwe, Afrique du Sud et Ouganda), l’Unicaf University (Zambie, Malawi et Zimbabwe) ou la Virtual University of Uganda.
L’intégration de contenus numériques dans les universités africaines
Le paysage de l’enseignement à distance est complété à partir des années 2010 par la multiplication de MOOCs proposés à la fois en alternative aux universités ouvertes et aux services numériques des établissements d’enseignement supérieur, mais aussi souvent en coopération avec ceux-ci. Autrement dit, si les universités ouvertes sont pionnières de l’enseignement digital, elles coexistent désormais avec les autres établissements qui proposent de plus en plus de contenus sur internet : Wits Plus de l’Université de Witwatersrand (Afrique du Sud), le Distance Learning Centre d’Ahmadu Bello University (Nigeria) ou encore la Digital School of Virtual and Open Learning de l’Université Kenyatta (Kenya).
Des initiatives, visant à coordonner les ressources pédagogiques en ligne de plusieurs établissements voire pays, se sont également mises en place. Une des premières remonte à 1997 avec la création de l’African Virtual University (AVU) financée par la Banque mondiale et impliquant 18 gouvernements africains. Située à Nairobi, l’UVA a formé plus de 64 000 étudiants depuis sa création grâce à son réseau de 53 établissements dans 27 pays anglophones, francophones et lusophones. Elle participe à la construction de consortiums d’établissements africains et à la création de projets d’enseignement à distance internationaux. Elle aide également la mise en place de centres d’apprentissage dans les établissements partenaires et forme le personnel aux méthodes d’enseignement à distance. L’AVU va rejoindre la Pan African University, une école doctorale financée par l’Union africaine. Rebaptisée Africa Virtual and E-University, l’institution proposera des contenus en libre accès dans tous les pays africains, en français et en anglais.
D’autres initiatives visant à coordonner l’ensei – gnement à distance des établissements privés et publics existent comme l’Université virtuelle de Côte d’Ivoire ou l’Université virtuelle du Sénégal (20 000 étudiants en 2017-2018) par exemple. Simultanément, des entreprises entrent sur le marché de l’enseignement à distance africain. Kepler au Rwanda offre des diplômes en ligne en partenariat avec l’établissement étatsunien Southern New Hampshire University. GetSmarter propose des certificats en ligne en collaboration avec des universités reconnues mondialement, comme Harvard. D’après le cabinet de conseil Ambient Insight, le marché de l’enseignement à distance en Afrique a doublé entre 2011 et 2016. Un autre cabinet, IMARC, estime pour sa part que le secteur a connu une augmentation moyenne de 15% par an entre 2010 et 2017, atteignant une valeur de 690 millions de USD en 2017. Il s’attend à ce que ce marché dépasse 1,5 milliard de USD d’ici 2030. L’enseignement à distance est donc déjà une réalité sur le continent et dispose d’un fort potentiel de développement. Mais de nombreux défis sont encore à relever pour permettre ce développement.
Les défis de l’enseignement à distance en Afrique
Les pays avec de faibles revenus se tournent vers l’enseignement à distance pour tenter de toucher un maximum d’étudiants tout en minimisant les coûts. Contrairement à la construction d’établissements en dur, l’enseignement digital semble moins cher et plus rapide à mettre en place. Il rencontre toutefois d’autres obstacles.
D’après le cabinet de conseil Ambient Insight, le marché de l’enseignement à distance en Afrique a doublé entre 2011 et 2016. Un autre cabinet, IMARC, estime pour sa part que le secteur a connu une augmentation moyenne de 15% par an entre 2010 et 2017, atteignant une valeur de 690 millions de USD en 2017. Il s’attend à ce que ce marché dépasse 1,5 milliard de USD d’ici 2030
L’étude eLearning Survey de septembre 2019 a enquêté sur les conditions de l’enseignement à distance en Afrique en interrogeant 900 experts africains de l’enseignement et des nouvelles technologies.
Ce ne sont pas nécessairement les financements qui manquent pour la mise en place des cours à distance en Afrique (seulement 6%). La première cause est technique (37%) suivi par le coût des études à distance (16%), qui comprend celui de la connexion. Les répondants relèvent aussi le manque de volonté politique des gouvernants ainsi que le manque de connaissances numériques.
Les contraintes technologiques
Dans beaucoup de régions, la participation à un enseignement en ligne est soumise aux contraintes technologiques (couverture internet, électrification). En 2017, une personne sur quatre en moyenne utilisait internet en Afrique subsaharienne. De fortes disparités existent entre les pays puisque si en janvier 2020, 62% des Sud-Africains ou 42% des Nigérians se connectaient, ils étaient seulement 12% au Niger et 14% à Madagascar, au Tchad ou en République centrafricaine.
Ces chiffres pointent également des difficultés d’accès à l’état du réseau, à la qualité de la connexion, aux coupures de courant et d’internet ou encore au coût des abonnements. En effet, si de rares grandes villes d’Afrique subsaharienne sont équipées de la fibre, la connexion reste globalement peu fiable, de qualité médiocre et très chère sur le continent : seulement 4 personnes sur 1 000 disposeraient d’un abonnement internet fixe (ADSL ou fibre).
Au contraire, le taux d’utilisation des téléphones portables est de 82%. Une majorité des urbains ont des téléphones mobiles et accèdent ainsi à internet ; les personnes vivant en zones rurales les utilisent uniquement dans le cadre d’établissements publics comme les écoles ou les universités, lesquelles sont connectées grâce à des terminaux satellites souvent alimentés par des panneaux solaires.
Dans beaucoup de régions, la participation à un enseignement en ligne est soumise aux contraintes technologiques (couverture internet, électrification). En 2017, une personne sur quatre en moyenne utilisait internet en Afrique subsaharienne. De fortes disparités existent entre les pays puisque si en janvier 2020, 62% des Sud-Africains ou 42% des Nigérians se connectaient, ils étaient seulement 12% au Niger et 14% à Madagascar, au Tchad ou en République centrafricaine
L’importance du numérique pour l’accès à l’enseignement est soulignée dans l’eLearning survey : 95% des experts interrogés estiment que les technologies numériques sont cruciales pour permettre l’accès à l’enseignement dans les zones rurales. Outre ce problème de couverture du réseau, il apparaît que seul un très petit nombre d’étudiants subsahariens ont accès à un ordinateur et savent s’en servir ; au contraire, la connaissance des réseaux sociaux par les jeunes Subsahariens est soulignée. Un enseignement à distance sur le continent doit donc s’adapter à ces pratiques et passer par un apprentissage sur mobile. Le développement d’applications le permet d’un point de vue technique, mais cela suppose cependant une reconfiguration des contenus pédagogiques à mettre en place.
La motivation des étudiants
Outre l’obstacle de l’accès aux technologies et à internet, la question de la motivation des étudiants à adopter l’enseignement à distance se pose. Le taux d’abandon est généralement assez élevé dans les formations à distance. Un modèle d’enseignement offrant en plus des programmes en ligne, des tutorats, un accompagnement personnalisé, un accès à des bibliothèques et à des campus connectés, pourrait être à même de remédier à cet écueil.
L’uniformisation des contenus
La domination des fournisseurs d’enseignement à distance originaires des pays du Nord contribue à l’homogénéisation intellectuelle et linguistique, d’où l’importance de travailler en partenariat avec des universités locales afin de développer des contenus adaptés aux contextes de ces pays. L’enquête eLearning Survey a d’ailleurs clairement montré l’importance de produire ce type de contenus et de les rendre accessibles dans les langues vernaculaires (85% des répondants). C’est par exemple ce que fait le FUN MOOC quand il administre la plateforme de l’Université virtuelle de Côte d’Ivoire sans influer sur la ligne éditoriale. Le développement des campus connectés internationaux repose également sur la mise en place de partenariats avec les universités locales.
Les inégalités d’accès à l’enseignement à distance
L’accès des populations les plus démunies à l’enseignement supérieur pose également question. Une étude de la Banque mondiale montre que les personnes qui suivent les cours à distance sont originaires des classes sociales les plus favorisées et l’analyse des caractéristiques sociales des utilisateurs de MOOCs montrent même que la majorité des utilisateurs aurait entre 25 et 55 ans et serait déjà diplômée. Une politique de bourses à destination des utilisateurs de MOOCs peut faire évoluer cette situation.
Conclusion
L’enseignement à distance représente un immense potentiel pour les systèmes d’enseignement supérieur des pays d’Afrique subsaharienne, qui sont, dans leur ensemble, saturés. Si les États subsahariens et les organisations régionales n’ont pas attendu les coopérations internationales pour lancer des projets de formations à distance, ce type d’enseignement ne touche cependant qu’un très petit nombre de personnes et de nombreux défis sont encore à relever, notamment sur le plan des contraintes techniques et des compétences informatiques des professeurs et des apprenants29. Ces contraintes ont des implications sur le développement de l’enseignement à distance. Il convient de proposer un enseignement adapté aux téléphones mobiles, avec des contenus économes en données et éviter certains types de ressources comme les cours en visioconférence et les vidéos en direct. Il est également possible de proposer des solutions pour récupérer les ressources pédagogiques autrement (disponibles dans des tiers lieux connectés par exemple) et de prendre en compte le coût élevé des données en proposant des bourses pour payer un abonnement internet et/ou du matériel par exemple.
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