Auteur : Laura El Katiri
Organisation affiliée (Policycenter)
Type de publication : Policy Brief
Date de publication : Décembre 2016
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Le paysage énergétique du Maroc a connu une évolution rapide au cours des dernières décennies. La croissance démographique, l’industrialisation et la hausse du niveau de vie, qui se sont accompagnés d’une augmentation des taux d’accès à l’électricité, ainsi que de taux élevés d’exode rural, ont tous contribué à l’expansion des besoins énergétiques du Maroc. Étant voisin d’une Algérie riche en pétrole et en gaz à l’Est, et d’une Europe avide d’énergie au nord de la Méditerranée, le Maroc exportait traditionnellement des produits agricoles mais importait pratiquement toutes ses ressources énergétiques primaires, en l’absence de réserves pétrolières et gazières conséquentes.
Cette manière traditionnelle de s’assurer l’accès à l’énergie à faible coût a appuyé le modèle de développement socioéconomique du Maroc pendant de nombreuses décennies, mais l’évolution de la situation et un certain nombre de faits nouveaux ont incité les décideurs marocains à revoir l’immense rôle que jouent les combustibles fossiles dans le mix énergétique du pays, notamment:
- la hausse du coût du pétrole et des produits pétroliers sur les marchés internationaux au cours des années 2000 et jusqu’au milieu de 2014, lorsque les cours mondiaux du pétrole se sont effondrés;
- le fardeau du budget et des taux de change qui résultent de l’importation de gros volumes de pétrole, en particulier sur les marchés internationaux;
- la baisse parallèle des coûts des technologies des énergies renouvelables, notamment le photovoltaïque solaire, l’énergie solaire concentrée (ESC) et l’énergie éolienne qui sont des ressources abondantes au Maroc.
Le Maroc possède des atouts indéniables, à savoir sa position géographique stratégique au carrefour de l’Europe, de l’Afrique du Nord et de l’Ouest, et du Moyen-Orient, sa stabilité politique et ses relations de longue durée avec l’Europe voisine, outre la taille de son marché national qui est l’un des plus grands marchés d’énergie en Afrique, et l’abondance de ses ressources énergétiques renouvelables, solaires et éoliennes, qui restent encore sous-exploitées.
Aperçu historique du marché énergétique national du Maroc
Cinquième marché énergétique de l’Afrique du Nord, le Maroc a connu une croissance considérable ces dernières années: entre 2002 et 2012, l’approvisionnement total en énergie primaire a augmenté de plus de 50%. Le statut du Maroc en tant que pays faisant partie de la tranche inférieure des pays à revenu intermédiaire reflète son profil énergétique. Avec un taux moyen d’utilisation de l’énergie par habitant (une mesure de l’énergie consommée) d’environ 560 kg d’équivalent pétrole, le Maroc n’est pas un grand consommateur d’énergie, du point de vue statistique. Toutefois, comme pour toutes les autres statistiques, l’interprétation de ces moyennes est une tâche qu’il faut mener avec précaution.
Le Maroc se caractérise par de grandes disparités dans les niveaux de vie et dans les modes d’utilisation de l’énergie entre les centres urbains et le milieu rural, ainsi qu’entre ses nombreuses régions. Les grandes villes comme Casablanca, Marrakech, Rabat et Tanger connaissent une croissance rapide à mesure que les populations rurales migrent vers les zones urbaines, sachant que les pôles industriels situés le long de la côte atlantique et les zones touristiques des deux côtes du Maroc impliquent des besoins énergétiques très différents de ceux du milieu rural.
Le Maroc a également connu une amélioration rapide de l’accès à l’électricité tout au long des années 1990 et 2000, lorsque le gouvernement a systématiquement élargi l’accès à l’électricité dans les zones rurales. Au cours de la période allant de 1996 à 2012, le Maroc a investi plus de 24 milliards de dirhams (2,9 milliards de dollars) dans l’électrification rurale, pour amener l’électricité moderne à un nombre estimé de 12 millions d’habitants dans plus de 39 000 villages, y compris par l’utilisation de sources autonomes d’énergies renouvelables et hybrides. La réussite du programme réside dans le fait que l’accès à l’électricité à travers le Maroc a considérablement augmenté au cours de cette période, passant de 22% en 1996 à environ 98% de la population vers la fin de 2012.
Pour cette raison, les sources d’énergie combustible, à savoir la biomasse traditionnelle, continuent de jouer un rôle dans de nombreuses zones rurales, bien que l’accès à l’électricité de base soit maintenant disponible dans la plupart des contrées les plus reculées. Dans ce contexte, le Programme d’Électrification Rurale Global du Maroc (PERG) est une réussite exemplaire de l’électrification rurale, grâce notamment à l’utilisation des technologies des énergies renouvelables – là où les conditions s’y prêtent – pour alimenter les communautés locales qui se trouvent hors du réseau.
À l’instar de la Tunisie, le Maroc est atypique en Afrique du Nord dans la mesure où il ne dispose que de ressources très limitées de pétrole et de gaz. Étant situé dans le voisinage immédiat d’exportateurs d’énergie de longue date, à savoir l’Algérie, la Libye et l’Égypte, le Maroc dépend pour près de 90% de ses besoins énergétiques intérieurs des importations d’énergie, qui sont toutes des combustibles fossiles, ainsi que de l’électricité en provenance de l’Espagne. Le pétrole et le charbon sont généralement importés du marché international, et leurs prix fluctuent en fonction de l’évolution des cours mondiaux, en particulier pour le pétrole brut et les produits pétroliers. En 2014, le Maroc a importé plus de 11 milliards de dollars de produits énergétiques, ce qui représente environ 10% de son PIB nominal pour cette année-là.
L’adaptation au changement climatique et l’empreinte carbone du Maroc
Le Maroc est vulnérable aux modifications entraînées par le changement climatique qui ont une incidence sur les conditions météorologiques, les précipitations, la désertification, ainsi que sur la pollution de l’air et de l’eau en milieu urbain. Les données de l’AIE suggèrent “une nette progression du climat semi-aride vers le nord”, une tendance qui, selon l’Agence, va se détériorer au Maroc tout au long du XXIe siècle. Les précipitations globales au Maroc se sont réduites de l’ordre de 3 à 30% ces dernières années, ce qui est en phase avec la fréquence accrue des sécheresses qui touchent plus particulièrement le secteur agricole du pays. En outre, les mesures gouvernementales axées sur le climat offrent au Maroc l’opportunité d’obtenir le financement des technologies vertes par le biais de mécanismes tels que les fonds pour le climat.
En 1995, le Maroc a ratifié la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC-1992), et le Protocole de Kyoto en 2002. Il a également accueilli à Marrakech en 2001 la septième session de la Conférence des Parties (COP 7) qui a promulgué le Protocole de Kyoto. Lors des préparatifs de la précédente série des négociations, celle de la COP 21 à Paris en décembre 2015, le Maroc a été le premier pays arabe à avoir soumis ses CPDN (Contributions prévues déterminées au niveau national).
Le rôle joué par le Maroc pour l’accueil de la COP 22 en novembre 2016 à Marrakech constituera sans aucun doute une autre occasion pour renforcer la place qu’occupe le Royaume, en contribuant à des négociations positives et constructives sur le changement climatique, et à la mise en place de politiques vertes et écologiques, sans danger pour le climat, y compris au niveau national. Le mix énergétique du Maroc, à base de combustibles fossiles et allant de pair avec une hausse de la consommation d’énergie et d’électricité, a abouti à une croissance rapide de l’empreinte carbone du pays au cours des dernières années.
Les opportunités énergétiques vertes du Maroc
Le potentiel énergétique renouvelable du Maroc est incontestablement considérable. Le pays dispose d’un potentiel non négligeable pour l’énergie solaire, avec des niveaux d’irradiation qui se situent à environ 2 300kWh/m2/an, en particulier au sud et l’est du pays. D’autre part, la côte atlantique du pays offre des vitesses de vent qui sont supérieures à 6 m/s. Faisant partie de l’Afrique du Nord, le Maroc se positionne stratégiquement aux carrefours des différents marchés régionaux entre l’Europe, l’intersection Maghreb Mashreq, et l’Afrique subsaharienne.
Le réseau électrique du Maroc, comme celui des pays voisins de l’Afrique du Nord tels que l’Algérie et la Tunisie, fonctionne déjà de façon synchrone et conforme aux normes européennes, facilitant ainsi le commerce de l’électricité entre les deux rives de la Méditerranée2. En conséquence, le plan d’investissement du Fonds pour les technologies propres, destiné à l’Afrique du Nord, précise que: «Aucune autre région ne dispose d’une telle combinaison favorable d’avantages physiques et de conditions de marché pour l’énergie solaire concentrée».
En 2014, le Maroc a importé plus de 11 milliards de dollars de produits énergétiques, ce qui représente environ 10% de son PIB nominal pour cette année-là
Les choix du Maroc en matière d’applications des énergies renouvelables sont d’une grande envergure. Le domaine de première priorité de l’élaboration des politiques marocaines est la production à vocation utilitaire, ou de service public. Le Maroc utilise d’ores et déjà les énergies renouvelables et se place actuellement au premier rang régional en termes de capacité installée pour l’électricité non hydroélectrique. À la fin de 2015, le Maroc disposait d’environ 800 MW de capacité de production installée pour l’énergie éolienne et solaire, soit la plus importante au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
Installation à grande échelle
Le Maroc dispose de programmes ambitieux visant à exploiter de manière plus systématique les sources d’énergie renouvelable, dans le cadre des plans Étatiques ayant pour objectif de réduire la dépendance du pays vis-à-vis des combustibles fossiles importés des marchés internationaux. Les plans officiels portent, entre autres, sur l’installation d’une puissance éolienne de 2 GW et d’une capacité de production d’énergie solaire de 2 GW à l’horizon 2020, ce qui portera la part des énergies renouvelables dans la production d’énergie à plus de 40% du mix énergétique global et consolidera la position régionale du Maroc en tant que leader dans le domaine de la production des énergies renouvelables dans la région MENA.
Systèmes en toiture
Un autre domaine du déploiement des énergies renouvelables au Maroc, bien qu’il ne soit pas encore exploré, réside dans l’utilisation du PV solaire sous forme d’installations sur les toits tant pour la production d’électricité que pour le chauffage solaire de l’eau. Les ressources solaires marocaines sont abondantes et adaptées au PV solaire, de même que la technologie pour les installations en toiture est aisément accessible et pourrait ainsi faire réussir les programmes de promotion du solaire en toiture, comme en témoigne l’utilisation en Europe, par exemple.
Ces programmes peuvent être répliqués dans le contexte marocain et utilisés dans les zones aussi bien urbaines que rurales. Des programmes d’aide financière, sous forme de prêts publics et d’assistance technologique aux communautés rurales, pourraient faire en sorte que l’investissement initial soit abordable pour la classe moyenne au Maroc, et rendre ainsi le programme réalisable sur le plan quantitatif.
Aucune autre région ne dispose d’une telle combinaison favorable d’avantages physiques et de conditions de marché pour l’énergie solaire concentrée
Les tarifs de l’électricité en cours au Maroc sont assez élevés par rapport à ceux en usage dans la région MENA, soit des taux de l’ordre de 0,122 USD/kWh, appliqués en 2013 à la consommation intermédiaire, et 0,167 USD/ kWh aux tranches supérieures de la consommation. Ces chiffres sont comparables aux tarifs de l’électricité à moindre coût en Europe. Avec de tels tarifs, les économies que l’on peut réaliser sur les factures d’électricité, grâce à la diminution de la consommation provenant du réseau et à la vente de la production excédentaire au réseau de distribution d’électricité, pourraient constituer une solution de rechange viable à la pratique actuelle, même pour les ménages marocains à faible revenu.
En outre, le taux élevé d’utilisation des installations photovoltaïques en toiture peut contribuer, comme dans le cas de l’Allemagne, à la réalisation des objectifs nationaux, tels que cela s’est articulé autour des CPDN marocaines qui ont été soumises à la CCNUCC en décembre 2015, notamment pour ce qui est de renforcer la capacité de production des énergies renouvelables dans la perspective d’atteindre 50% de la production d’électricité au Royaume à l’horizon 2025.
Les opportunités du système électrique hors réseau
L’énergie solaire et hydroélectrique à petite échelle offre un énorme potentiel au Maroc pour résoudre le problème de l’accès à l’électricité dans les zones reculées non reliées au réseau principal. Depuis les années 1990, le Programme d’Électrification Rurale Global (PERG) a réalisé d’immenses résultats en fournissant l’accès à l’électricité aux communautés rurales privées de la connexion aux réseaux principaux du pays. Les énergies solaires, éoliennes et hydroélectriques apportent de véritables avantages aux communautés rurales, par rapport à la dépendance exclusive vis-à-vis des carburants classiques, car la source d’énergie elle-même est indépendante de l’accès aux routes de transport, et donc de l’aide extérieure.
Les travaux qui accompagnaient des projets similaires en Jordanie ont révélé que de nombreuses communautés rurales se sont réjouies de la mise en place de générateurs photovoltaïques plus propres et nécessitant apparemment peu d’entretien, ce qui a permis d’éviter les coûts d’exploitation liés au carburant diesel. Un avantage supplémentaire des systèmes auto nomes des énergies renouvelables réside dans la possibilité de dispenser une formation en installation et en maintenance aux habitants des communautés locales, les aidant ainsi à acquérir de nouvelles compétences et à assurer l’entretien de leurs équipements. Certes, les diverses énergies renouvelables telles que l’énergie éolienne et solaire ont des limites, et plus précisément leur manque de couverture 24 heures sur 24.
Optimiser les opportunités
Financement. Pour utiliser au mieux ces ressources et saisir l’immense opportunité dont jouit le Royaume en matière d’énergie verte, en particulier dans le domaine de l’énergie solaire concentrée, le Maroc devra faire preuve de davantage d’orientation politique vers ce domaine et œuvrer sans relâche pour tirer parti des options de financement, y compris de sources étrangères. Un des principaux domaines prioritaires consiste à mettre en place des mécanismes de financement suffisants pour le Maroc qui recèle un potentiel immense des énergies renouvelables, en particulier dans le domaine de l’ESC à grande échelle, dans la perspective de réduire ainsi les coûts technologiques à l’échelle mondiale, mais pourvu que le Royaume parvienne à étendre son déploiement de l’ESC d’une manière qui soit à la hauteur de son potentiel.
Le développement des énergies propres au Maroc pourrait aussi tirer parti d’autres possibilités de financement externes. À cet égard, le Mécanisme pour un développement propre (MDP) est une source potentielle de financement, instaurée en vertu de l’article 12 du Protocole de Kyoto pour aider spécifiquement les pays en développement à réduire leurs émissions en tenant compte des objectifs de Kyoto que ces pays déterminent. Le MDP est également la principale source de financement du Fonds d’adaptation (AF) qui relève du Protocole de Kyoto et qui vise à aider les pays particulièrement vulnérables aux effets négatifs du changement climatique.
Renforcement des capacités. Outre les besoins financiers, le Maroc doit faire face à toute une série d’autres défis, tels que le renforcement des capacités institutionnelles. Un facteur clé pour mettre à profit le potentiel écologique du Maroc dans le paysage institutionnel du pays consistera désormais à attribuer des mandats clairs et précis, et à instaurer un mécanisme réceptif de consultation, de gestion et de mise en œuvre d’un cadre législatif propice à la création d’industries innovantes et à la promotion de la R&D.
Dans ce contexte, le secteur privé jouera un rôle essentiel qui s’étend à la fabrication, au financement des projets, à l’installation, à l’exploitation, mais aussi à la recherche technologique. La gestion de cette transition complexe imposera aux nombreuses institutions de collaborer dans la transparence pour veiller à ce que les décisions d’investissement soient crédibles et conformes au principe de la redevabilité quant à la façon dont les fonds publics et les investissements étrangers sont injectés dans de nouveaux projets.
Un avantage supplémentaire des systèmes auto nomes des énergies renouvelables réside dans la possibilité de dispenser une formation en installation et en maintenance aux habitants des communautés locales, les aidant ainsi à acquérir de nouvelles compétences et à assurer l’entretien de leurs équipements
Malgré les difficultés du passé, il demeure que l’énergie éolienne et solaire nord-africaine y compris marocaine dispose d’avantages concurrentiels par rapport à ce qui se fait en Europe. L’OCDE confirme que l’intensité solaire dans la plupart des pays de la région MENA est supérieure à celle de la France.
Pour faciliter les échanges, le Maroc n’a pas seulement besoin d’un financement des investissements propres, mais aussi, et peut-être en premier lieu, d’un accès égal aux marchés européens des services des infrastructures électriques. Cependant, ce n’est pas le cas aujourd’hui, car la poursuite de politiques européennes, telles que l’octroi de subventions à leurs producteurs nationaux des énergies renouvelables, protègent les marchés européens d’une concurrence potentielle en provenance de marchés extérieurs tels que l’Afrique du Nord qui peut offrir des services à moindres coûts.
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