Pathé Dieye
Les premiers cas déclarés en Chine en début décembre 2019, le Covid-19 est officiellement considéré comme une pandémie par l’Organisation mondiale de la Santé depuis le 11 mars 2020. Cette nouvelle maladie qui n’épargne pas les plus grands pays du monde, soulève beaucoup d’inquiétudes mais aussi des interrogations.
Le monde et l’Afrique elle-même se demandaient pourquoi le continent réputé être le point de départ d’épidémies de toutes sortes était épargné. On n’a pas tardé à voir la presse et les autorités sanitaires des pays africains, à leur tour, se mettre à l’exercice et présenter les bilans des victimes de cette maladie qui grimpent au jour le jour. A la date du 7 mai, l’Afrique compte 51.884 cas confirmés dont 2010 décès.
De part et d’autre du continent, des mesures draconiennes pour faire face à ce fléau se multiplient, allant de l’instauration des couvre-feux, du confinement de villes entières à la déclaration de l’état d’urgence.
Le 12 mars dernier, le think tank citoyen WATHI a publié son Mataki ; c’est-à-dire ses mesures et recommandations pour améliorer le fonctionnement des systèmes de santé en Afrique de l’Ouest. Parallèlement, du mois de janvier au mois de mars, WATHI a mené le débat sur l’amélioration de l’accès à l’énergie et à l’électricité dans la région.
Un regard croisé sur nos systèmes de santé et les difficultés d’accès à l’électricité à des coûts supportables par les populations, en cette période de pandémie du Covid-19 m’a poussé à confirmer que cette crise, qui n’est pas que sanitaire, nous met face à l’évidence de nos vraies priorités. Nos véritables urgences.
Parmi les recommandations de WATHI dans son Mataki sur les systèmes de santé, il y a le recours aux nouvelles technologies notamment l’usage des plateformes numériques comme les réseaux sociaux, le téléphone, les applications pour disséminer les bonnes pratiques afin de prévenir certaines maladies. C’est une recommandation souple dans le sens où elle pourrait être facile à appliquer par les décideurs politiques et serait accessible aux populations.
Pour faire face à cette pandémie, il faut prendre en compte la faiblesse de nos systèmes de santé. Il est évident que nos États doivent miser sur des stratégies de prévention afin de casser la chaîne de propagation du virus.
Toutefois, mon élan de positivité a pris un coup dès que je me suis rendu compte que 645 millions de personnes vivent dans l’obscurité en Afrique notamment parce que les prix de l’électricité sont très chers.
Un regard croisé sur nos systèmes de santé et les difficultés d’accès à l’électricité à des coûts supportables par les populations, en cette période de pandémie du Covid-19 m’a poussé à confirmer que cette crise, qui n’est pas que sanitaire, nous met face à l’évidence de nos vraies priorités. Nos véritables urgences
Dans une région où 437 millions d’habitants vivent avec moins de 1,90 dollar par jour, où alimenter un réfrigérateur pendant un an coûte 10% du PIB par habitant par an, l’électricité est clairement un luxe inaccessible pour une grande partie de la population d’Afrique subsaharienne. A l’ère du XXIe siècle où l’électricité a presque valeur d’oxygène, au sens propre comme au figuré pour emprunter les termes de Roch Nepo permettre à nos systèmes de santé de répondre aux urgences du tout numérique demeure une équation alambiquée.
A titre d’exemple, pour lutter contre la propagation du virus, un numéro vert a été mis à la disposition des populations, mais le réseau est souvent saturé dans certaines zones reculées et d’autres régions du pays sont exclues, car les populations n’ont pas d’électricité pour charger une batterie de portable. Elles sont aussi exclues de la sensibilisation, car les canaux utilisés sont la télévision, la radio et les réseaux sociaux principalement.
Au-delà d’être une tragédie, le Covid-19, cette armée invisible qui a mis à genoux des systèmes de santé plus performants que ceux de beaucoup de pays africains, nous met face aux résultats du manque d’anticipation sur les politiques publiques, l’absence du sens des priorités dans les investissements et le déni des besoins les plus urgents pour les populations.
Relever les défis sanitaires exige des préalables sur le plan énergétique
Selon la Banque mondiale, 80 % des décès maternels dans le monde se produisent en Afrique subsaharienne, et une femme sur 190 risquait en 2017 de mourir de complications liées à la grossesse ou à l’accouchement. Selon le rapport de la Commission économique pour l’Afrique des Nations Unies publié en 2019, l’Afrique de l’Ouest a le taux le plus élevé de mortalité infantile, estimé à 91 cas de décès pour 1000 naissances vivantes. En cause, des structures sanitaires difficilement accessibles et mal/peu équipés pour une prise en charge efficace.
En outre, le manque d’électricité affecte la prise en charge médicale car les coûts financiers engloutis par les groupes électrogènes et leur alimentation en pétrole empêchent les hôpitaux d’investir dans l’augmentation de leurs capacités d’accueil, le recrutement de personnels suffisants et la modernisation du plateau technique. Lorsqu’un groupe électrogène coûte un million de FCFA et qu’un hôpital a besoin d’environ 400 litres de carburant par mois, on devine aisément le coût financier qui aurait pu servir à améliorer la qualité de services.
Au-delà d’être une tragédie, le Covid-19, cette armée invisible qui a mis à genoux des systèmes de santé plus performants que ceux de beaucoup de pays africains, nous met face aux résultats du manque d’anticipation sur les politiques publiques, l’absence du sens des priorités dans les investissements et le déni des besoins les plus urgents pour les populations
Le coronavirus n’a pas fini d’occuper à la fois les titres à la une et les faits divers de notre actualité. Ceci ne devrait pas nous faire oublier le fait que des Africains meurent chaque année de maladies moins populaires, parfois même, moins graves que ce Covid-19, simplement parce qu’ils n’ont pas accès aux soins de santé.
Aujourd’hui, la crise sanitaire nous permet d’amplifier la gravité de la situation, mais sans elle, on voit objectivement que l’Afrique doit prendre le temps de l’urgence et se hâter à moderniser son système de santé, car la population augmente et le monde évolue avec de nouvelles maladies auxquelles il faudra faire face avec une riposte à la hauteur.
Vouloir moderniser sans électricité, c’est comme vouloir nager sans se mouiller. On ne parviendra pas non plus à atteindre nos cibles dans les sensibilisations si certaines parties de la région continuent d’être frappées par 260 heures de délestages soit l’équivalent de 10 jours de coupures par mois. D’autres n’ont tout simplement pas les moyens de supporter les coûts ou encore n’y ont pas accès.
La prévention peut commencer par le choix des sources d’énergie
En vérité, générer de l’énergie en respectant l’environnement fait partie aussi de la protection de la santé des populations. Inutile de rappeler que les populations de la région sont exposées à plusieurs maladies causées par la pollution et autres méfaits des changements climatiques.
Les énergies à base de combustibles fossiles comme le charbon, le pétrole et le gaz sont responsables d’une quantité importante d’émissions de gaz à effet de serre et ils peuvent polluer l’air et la nappe phréatique favorisant ainsi les maladies respiratoires et pulmonaires surtout chez les enfants. Il y a des types d’énergie moins polluants pour fournir de l’électricité et protéger les individus.
Dans ce sillage, ce serait plus cohérent pour nos États de se tourner davantage vers les énergies renouvelables et leur accorder plus de place dans nos mix énergétiques. Avec une population qui est appelée à doubler d’ici 2050, l’Afrique aurait besoin, chaque année, d’augmenter sa capacité de production en électricité de 7 gigawatts (GW) afin de répondre à ses besoins.
Toutefois, nos pays peuvent aller vers des solutions moins promues et dont l’efficacité et l’accessibilité ont été prouvées. On peut prendre l’exemple de la Côte d’Ivoire qui produit de l’électricité avec les résidus de palmiers et de cacao. Ceci a permis de mettre en place une centrale de biomasse couvrant les besoins en électricités de 1,7 million de personnes.
Générer de l’énergie en respectant l’environnement fait partie aussi de la protection de la santé des populations
Avec l’urbanisation croissante de nos villes, on note une multiplication rapide des citadins contribuant au bourgeonnement des villes populaires densément habitées, ce qui fait que la production totale de déchets de l’Afrique subsaharienne devrait tripler d’ici 2050 et atteindre 516 mégatonnes, une approche assez rentable serait de nous tourner vers l’exploitation des déchets que nous avons du mal à collecter pour faire de l’énergie. En 2012, seulement 44 % des déchets générés étaient en moyenne collectés dans les pays de la région.
Les déchets non collectés sont souvent dans des décharges sauvages et leur incinération contribue à une pollution qui est à la source de maladies pulmonaires. Ces décharges favorisent par ailleurs des nids de reproduction pour des moustiques dangereux à l’origine de maladies telles que la dengue, la fièvre jaune, le virus zika ou encore le virus chikungunya. La bonne exploitation de ces déchets permettrait non seulement de régler le problème de la collecte mais aussi de pallier le déficit énergétique tout en respectant l’environnement.
Les solutions en énergies durables sont plus viables en contexte de crise car les hôpitaux accueillent de nombreux cas en urgence et fonctionnent 24h/24. Nous devrions miser sur ces modèles même après la crise du Covid-19 et continuer à utiliser le dispositif de sensibilisation mis en place pour prévenir les autres maladies et le démocratiser pour qu’il soit accessible aux personnes dans les zones défavorisées.
En définitive, les crises ne sont pas que tragiques. Elles invitent à réinterroger et, si nécessaire, à redéfinir les paradigmes et modes de fonctionnement de nos sociétés, de nos modèles de croissance. Enfin, pour aller plus loin dans l’innovation et l’exploration de formules énergétiques adaptées à notre région, il faut que la recherche, comme levier de développement, retrouve ses lettres de noblesse.
Source photo : Pulse
Pathé DIEYE est chargé de recherche assistant au West Africa Think Tank (WATHI) et poursuit son Master 2 en Science politique, relations internationales et géostratégie. Il est blogueur et travaille actuellement sur la prospective des conflits.
2 Commentaires. En écrire un nouveau
Le covid 19 n est pas seulement un mal. C est aussi un bien car il a mis en évidence les injustices, les mensonges, les non dits etc. Mais le point noir c est la mort des milliers de personnes. C est trop triste.
Vérité vrai rie à ajouter. Bravo