Auteur : Henri-Louis Vedie
Policy Center for the New South (PCNS) est un Think tank marocain dont la mission est de contribuer à l’amélioration des politiques publiques, aussi bien économiques que sociales et internationales, qui concernent le Maroc et l’Afrique, parties intégrantes du Sud global.
Date de publication : 29 Mars 2022
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Site de l’organisation : Policy Center for the New South
L’invasion de l’Ukraine par la Russie occupe l’actualité depuis plusieurs semaines . Si le nombre de morts et de blessés sur le terrain ne cessent d’augmenter, un risque se pose : celui de l’approvisionnement du blé au niveau mondial. En effet, l’invasion par la Russie, de l’Ukraine, grenier à blé de la mer Noire, impacte lourdement le marché mondial de cette denrée. WATHI a choisi ce rapport car il analyse les conséquences de cette guerre pour l’Afrique, continent où le pain est un aliment de base. Le rapport apporte une analyse des pays les plus dépendants du blé russe et ukrainien en montrant l’importance de la dépendance africaine, avec 16 pays regroupant 40% de la population du continent, qui en dépendent à hauteur de 56% et plus. A ces 16 pays, il faut ajouter les pays qui ont une dépendance inférieure à 56% notamment le Nigeria qui a su diversifier ses approvisionnements.
Cette crise met en évidence la nécessité de toujours diversifier ses approvisionnements et de conserver, si possible, une souveraineté nationale dans des domaines aussi sensibles que l’alimentaire. Ainsi donc, il est nécessaire de :
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Données générales du marché mondial de la production de blé
Le classement de 2017-2021 met en évidence le leadership de la production mondiale de la Chine, de l’UE et, à un degré moindre, de l’Inde, avec des productions annuelles allant de 107 à 134 millions de tonnes. Il montre, également, la contribution importante des États-Unis, du Canada, de l’Australie, de l’Ukraine, du Pakistan, mais aussi de l’Argentine, compte tenu de sa population sensiblement égale à celle de l’Ukraine.
La prise en compte de la démographie de ces douze États permet de distinguer les pays en capacité exportatrice de blé de ceux qui ne le sont pas. Au nombre de 7, ce sont par ordre d’importance : l’Union européenne, la Russie, les États-Unis, le Canada, l’Australie, l’Ukraine et l’Argentine.
Le tableau sur les principaux exportateurs de blé en 2020 confirme les conclusions précédentes, à savoir un marché de l’exportation de blé à huit acteurs dominants. Trois d’entre eux, la Russie, les États-Unis et le Canada dépassent les 26 millions de tonnes, atteignant les 37,3 millions pour la Russie. Suivent la France et l’Ukraine, avec respectivement 19,8 et 18,1 millions de tonnes, puis l’Australie, l’Argentine, au-dessus de 10 millions de tonnes, et l’Allemagne avec 9,3 millions de tonnes.
Le marché du blé est soumis à l’offre et à la demande. Quand l’offre se trouve virtuellement amputée de 30%, la demande ne diminuant pas, la hausse répond donc à une logique de marché
Sur les 157,3 millions de tonnes de blé exportés en 2020, 23,7% sont russes, 11,5% sont ukrainiens, 19% proviennent de l’UE. La Russie et l’Ukraine représentent donc 35% des exportations mondiales de blé. Enfin, l’UE à deux (France et Allemagne) représente 12,5 % de ces importations.
Ces différentes données montrent le rôle clé de la Russie et de l’Ukraine sur le marché mondial du blé, étant respectivement au premier et cinquième rangs mondiaux de ces exportations. Face à la crise, l’UE est une alternative plus crédible que l’américano/ canadienne ou encore l’argentino/australienne, compte tenu de sa proximité avec les pays concernés directement par les conséquences de l’invasion russe de l’Ukraine.
Les pays les plus dépendants du blé Russie et ukrainien en 2021
Vingt-six pays, tous continents confondus, dépendent à plus de 55% de la Russie et de l’Ukraine pour leur approvisionnement en blé.
L’analyse globale de ce tableau distingue trois groupes de pays :
- ceux où la dépendance totale est comprise entre 90% et 100%, soit 9 pays : Érythrée, Kazakhstan, Mongolie, Azerbaïdjan, Géorgie, Somalie, Seychelles, Biélorussie et Kirghizistan ;
- ceux où la dépendance totale est comprise entre 75% et 85%, soit 7 pays :Turquie, RD Congo, Finlande, Égypte, Liban, Madagascar et Bénin ;
- ceux où la dépendance est comprise entre 56% et 65%, soit dix pays : Albanie, Congo,Tanzanie, Libye, Pakistan, Liberia, Rwanda, Namibie, Sénégal et Mauritanie.
L’Érythrée, de 3,6 millions d’habitants, est le seul pays africain dépendant à 100% dans ses importations du blé russe et ukrainien, avec une contribution russe de 60% et ukrainienne de 40%.
Viennent, ensuite, deux pays dépendant à 90 % du blé russe et ukrainien. Ces deux pays, la Somalie et les Seychelles, respectivement de 16,8 millions et de 0,5 million d’habitants, ont en commun d’être majoritairement dépendants du blé ukrainien.
Ces différentes données montrent le rôle clé de la Russie et de l’Ukraine sur le marché mondial du blé, étant respectivement au premier et cinquième rangs mondiaux de ces exportations. Face à la crise, l’UE est une alternative plus crédible que l’américano/ canadienne ou encore l’argentino/australienne, compte tenu de sa proximité avec les pays concernés directement par les conséquences de l’invasion russe de l’Ukraine
Cinq autres pays africains ont une dépendance comprise entre 70 et 85 %.
Au total, ce sont 16 pays africains regroupant 374 millions d’habitants, soit près de 40% de la population africaine, qui dépendent donc à 56% et plus du blé russe et ukrainien. C’est d’autant plus considérable que d’autres pays africains, dont la dépendance du blé russe et ukrainien est inférieure à 50% ne sont pas pris en compte par cette approche. C’est le cas de l’Algérie, du Maroc et du Nigeria. Trois pays qui, concernant leurs importations de blé, sont respectivement au deuxième, troisième et quatrième rangs africains. Ce qui nous conduit à préciser maintenant la dépendance aux importations de blé, quel que soit le pays fournisseur.
L’Algérie est le second importateur africain de blé, derrière l’Égypte, avec des exportations estimées sur la campagne 2021/2022 à 7,7 M, qui s’ajoutent aux 3,6 Mt produites sur le sol algérien. Le Maroc, troisième importateur de blé du continent, produit du blé en quantité variable selon les conditions climatiques. Ainsi, en 2021, de bonnes conditions climatiques ont permis de réduire les importations de blé de 0,7 Mt, passant sous la barre des 5 Mt, estimées à 4,5 Mt.
Le Nigeria, pays le plus peuplé du continent, voit ses importations de blé augmenter régulièrement depuis deux ans, dépassant désormais les 5 Mt, avec des estimations de 5,5 Mt pour la campagne 2020/2021.
Le Nigeria, pays le plus peuplé du continent, voit ses importations de blé augmenter régulièrement depuis deux ans, dépassant désormais les 5 Mt, avec des estimations de 5,5 Mt pour la campagne 2020/2021. Comme pour le Maroc, la diversité des fournisseurs doit être soulignée : sur les 5,5 Mt importées,1 Mt viendront de l’UE, 0,8Mt de la Russie, 0,7Mt du Canada et seulement 0,6Mt des États-Unis.
L’absence de diversification des approvisionnements en blé, se limitant à la Russie et à l’Ukraine, montre ses limites. A l’inverse, la diversification d’approvisionnement, dont ont fait preuve l’Algérie, le Maroc et le Nigeria est à souligner. Mais, globalement, c’est près de 700 millions de personnes qui vont être directement impactées pour leur consommation de blé par leur dépendance du blé russe et /ou ukrainien.
Conclusion générale
La guerre en Ukraine impacte durement le marché mondial du blé de par l’importance des exportations provenant de la Russie et de l’Ukraine, environ 30% des exportations mondiales.
Parmi les pays africains dépendant du blé russe et ukrainien, ceux qui risquent d’en connaitre rapidement les conséquences pour leur approvisionnement sont l’Egypte, la RD Congo et la Tanzanie, les plus peuplés. Mais, globalement, c’est l’ensemble des pays subsahariens qui inquiètent grand nombre d’experts, compte tenu de stocks bas, avant la crise.
Entre avril 2021 et fin mars, le cours du blé tendre est passé de 230 euros à un niveau record de 376 euros mais cette envolée des cours du blé commence dès août 2021 donc la crise ukrainienne n’est pas à l’origine de cette flambée des cours mais l’a amplifiée.
Le marché du blé est soumis à l’offre et à la demande. Quand l’offre se trouve virtuellement amputée de 30%, la demande ne diminuant pas, la hausse répond donc à une logique de marché. Pour compenser la diminution de l’offre russe et ukrainienne, il faut de meilleures récoltes et/ou augmenter l’offre européenne, canadienne et américaine.
Côté demande, on assiste à deux mouvements contradictoires : celui d’une augmentation, consécutive à la paupérisation des pays émergents impactés par la crise, entraînant une consommation accrue de pain. Mais, aussi, celui d’un prix limite au- dessus duquel ces pays émergents ne peuvent plus acheter.
Source photo : policycenter.ma