Auteur: Kéba Mbaye
Type de publication: Ouvrage
Date de publication: 1992
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L’histoire des droits de l’homme se confond avec l’histoire de l’homme. Elle reflète ses différentes étapes telles qu’elles ont été marquées par l’évolution de la pensée en général et par les péripéties du praxis qui les accompagne. Les mêmes pensées religieuses, philosophiques et politiques qui sous-tendent, analysent ou expliquent la trame de tel mode de vie en société fondent aussi les droits de l’homme. Ces droits s’articulent autour des idées qui les ont forgés et véhiculés, en tant que concepts, et des instruments qui les ont exprimés et rendus efficients.
Promotion et protection des droits de l’homme en Afrique par un système universel
Avant d’étudier le système proprement africain de promotion et de protection des droits de l’homme en Afrique, il faut rappeler que la protection internationale des droits de l’homme en Afrique est également assurée dans certains cas grâce à un système non africain.
Ce système est soit universel, soit régional. Comme l’écrivait déjà Karel Vasak en 1975, «nous sommes aujourd’hui en présence d’un véritable ’’clavier des droits de l’homme”». Ce clavier résonne quelle que soit la partie du monde concernée. Pour Karel Vasak, il «s’est révélé à nous pour la première fois à l’occasion de ce que l’on a appelé “l’affaire grecque”. Toutes ou presque toutes les institutions internationales ont été alors saisies de ces violations des droits de l’homme commises en Grèce à la suite du coup d’État des colonels en 1967, ces institutions devenant ainsi semblables à des touches d’un clavier d’urgence très nouveau».
Le système universel de promotion et de protection des droits de l’homme est celui instauré par l’Organisation des Nations Unies et ses différents démembrements. Dans le domaine de la promotion et de la protection des droits de l’homme, l’Organisation des Nations Unies a accompli une œuvre gigantesque. Nous allons rapidement passer en revue quelques-uns des nombreux moyens qui ont été établis dans le cadre de l’Organisation et dont l’action contribue à assurer la promotion et la protection des droits de l’homme en Afrique, en examinant d’une part les instruments et d’autre part les organes.
Il est bien sûr hors de question d’analyser tous les instruments relatifs aux droits de l’homme et qui, parce qu’universels, concernent aussi l’Afrique. Il s’agit seulement de passer en revue ceux d’entre eux qui ont été plus généralement ratifiés par les pays africains ou qui ont, d’une façon générale ou par rapport au continent, une importance particulière. Il faut en outre qu’il s’agisse d’instruments comportant un système de promotion et de protection des droits de l’homme. Notre ambition n’est pas non plus de procéder à une analyse complète de ces instruments mais plutôt de les mentionner avec, à l’appui, un commentaire destiné à insister sur leurs caractéristiques essentielles et singulièrement sur ceux de ces caractères qui, à un titre déterminé, intéressent l’Afrique d’une façon particulière.
Certains de ces instruments ont un caractère général. D’autres sont plutôt spécifiques. Un troisième groupe est constitué par ceux de ces instruments qui ont pour but la protection d’une catégorie déterminée de personnes. Ce sont les trois groupes ainsi caractérisés que nous allons passer en revue.
Les caractéristiques de la charte de Banjul : Elle est entrée en vigueur conformément à son article 63, trois mois après sa ratification par le majorité absolue des membres de l’OUA. Le nombre nécessaire a été obtenu moins de sept ans après son adoption. Aujourd’hui quarante-trois États en sont parties.
La Charte de Banjul doit beaucoup à ses devancières. Elle s’est fortement inspirée de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, de la convention américaine relative aux droits de l’homme du 22 novembre 1969 et de la convention européenne des droits de l’homme du 4 novembre 1950. Elle a aussi emprunté un certain nombre de règles et de techniques aux instruments universels relatifs aux droits de l’homme, notamment aux pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme de 1966 et à la résolution 1503 du Conseil économique et social de l’ONU. Cependant elle a conservé une grande spécificité.
Il s’agit ici de faire apparaître, en les résumant, les particularités de la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. Elles sont relatives à la référence faite aux valeurs africaines de civilisation, aux répercussions dans la rédaction de la Charte de la conception africaine du droit, à la place faite aux devoirs de l’homme par les rédacteurs de la Charte, à la reconnaissance de certains des « nouveaux droits » de l’homme et à l’absence de Cour africaine des droits de l’homme et des peuples.
Les valeurs africaines de civilisation : Dans le préambule de la Charte il est indiqué : «Tenant compte des vertus de leurs traditions historiques et des valeurs de civilisation africaine qui doivent inspirer et caractériser leurs réflexions communes sur la conception des droits de l’homme et des peuples.»
Cette disposition entame l’universalité des droits de l’homme. Mais peut-il en être autrement? Il est certain, et nous l’avons déjà dit, que depuis le Magna Carta toutes les déclarations qui ont été proclamées reflètent la philosophie des régions et des populations qui les ont sécrétées. Cependant, il faut noter que la Charte, comme le disait le Président Senghor, n’a pas voulu être une déclaration et un système de protection des «droits de l’homme africain». Ses rédacteurs ont entendu, tout en s’imprégnant des idées directrices de la Déclaration universelle et des autres déclarations, faire une œuvre adaptée aux besoins de l’homme africain.
Par ailleurs ils n’ont pas considéré que toutes les traditions étaient bonnes à garder. Conscients que les valeurs africaines de civilisation n’ont pas toutes la même respectabilité, ils ont bien spécifié que certaines valeurs, bien que traditionnelles, ne constituent pas des principes à respecter parce qu’elles ne correspondent pas aux besoins de la communauté africaine actuelle. C’est dans ce sens qu’il faut interpréter le paragraphe 7 de l’article 29 de la Charte qui exige que l’individu veille, «dans ses relations avec la société, à la préservation et au renforcement des valeurs culturelles africaines positives» (c’est nous qui soulignons).
Elles sont relatives à la référence faite aux valeurs africaines de civilisation, aux répercussions dans la rédaction de la Charte de la conception africaine du droit, à la place faite aux devoirs de l’homme par les rédacteurs de la Charte, à la reconnaissance de certains des «nouveaux droits» de l’homme et à l’absence de Cour africaine des droits de l’homme et des peuples
Il y a une conception africaine spécifique du droit et plus particulièrement du droit des droits de l’homme. En Afrique, le droit n’est pas conçu comme une sorte d’épée mise entre les mains de l’individu pour lui permettre de se défendre contre le groupe. Il est plutôt considéré comme un ensemble de règles protectrices de la communauté dont l’individu fait partie.
Cette conception africaine du droit et des droits de l’homme ne doit pas être interprétée comme anéantissant les droits de l’individu. Tout au contraire, dans la société traditionnelle africaine, si le sujet privilégié de droit est la communauté, l’individu garde sa liberté et les spécificités de ses droits. C’est par une sorte de renonciation non définitive et sur laquelle il peut à tout moment revenir qu’il s’efface devant la communauté de laquelle il attend en retour la satisfaction de ses besoins fondamentaux.
Cette double caractéristique est reflétée par la Charte qui prévoit les droits des individus aussi bien que les droits des peuples en liant les uns aux autres et en tirant leur origine commune de la dignité humaine. L’idée est exprimée dans un paragraphe du préambule dans lequel les États africains reconnaissent «que, d’une part, les droits fondamentaux de l’être humain sont fondés sur les attributs de la personne humaine, ce qui justifie leur protection internationale, et que, d’autre part, la réalité et le respect des droits du peuple doivent nécessairement garantir les droits de l’homme».
Il apparaît à la lumière de cette disposition que l’OUA. admet que les États ont une obligation «erga omnes» vis-à-vis de la communauté internationale en matière de droits de l’homme.
La Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ne se contente pas d’énoncer les droits reconnus par les États parties. Elle énonce aussi les devoirs des individus : devoirs vis-à-vis des autres individus, de la nation à laquelle on appartient et de la communauté internationale. Certains ont critiqué cette conception. En fait, c’est peut-être parce qu’ils ne conçoivent pas qu’en Afrique l’idée de droit ne va jamais sans l’idée de devoir. Il s’agit en réalité des deux faces d’une même chose. Fort justement il est déclaré dans le préambule de la Charte que «la jouissance des droits et libertés implique l’accomplissement des devoirs de chacun».
Cette déclaration concerne les individus, mais aussi les pouvoirs publics sur qui repose en grande partie l’obligation de respecter et de faire respecter les droits de l’homme. Il convient à ce propos de noter que les articles 17, paragraphes 3 et 18, paragraphes 1, 2 et 3, de même que les articles 25 et 26, spécifient outre le devoir général de l’État de respecter les droits de l’homme, des devoirs particuliers. Il faut bien se rendre compte qu’un droit n’est réel que parce qu’il est le devoir d’un autre: personne physique ou morale.
On se souvient que la «Loi de Lagos» plaidait pour une Cour africaine des droits de l’homme à l’image de la Cour européenne, mais que cette disposition, de même que toutes celles relatives à la mise sur pied d’un système de protection des droits de l’homme, ont été relégués à l’arrière-plan des préoccupations des gouvernements africains. Au moment de la conférence de Banjul sur la Charte africaine, l’idée d’une Cour des droits de l’homme fut reprise. L’objet de ce tribunal devait être non pas uniquement de connaître de toute violation des droits de l’homme dont les États parties se seraient rendu coupables, mais aussi de «juger les crimes contre l’humanité et d’assurer la protection des droits de l’homme».
La façon étrange de formuler la compétence du tribunal et les explications fournies à l’époque par l’auteur de la proposition montraient que ce qui était visé, c’était avant tout l’apartheid. La proposition a été longuement discutée et finalement rejetée. Ce rejet était certes conjoncturel : les États africains n’étaient pas prêts à accepter la création d’une Cour internationale qui aurait à connaître de leurs actes dans la mesure où ils étaient jugés attentatoires aux droits de l’homme. Mais le refus de créer une Cour des droits de l’homme a aussi une explication philosophique.
En Afrique on hésite à s’adresser aux tribunaux pour obtenir une décision judiciaire coercitive. C’est au cours des palabres que l’on recherche et trouve les solutions aux conflits qui opposent les individus ou les familles. La justice africaine traditionnelle est essentiellement conciliatoire. La décision à intervenir est généralement un consensus. Cette philosophie du droit apparaît dans tous les traités initiés par l’OUA. et bien sûr se reflète dans la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. En cas de non-respect des obligations souscrites par les parties, la procédure qui s’offre est essentiellement basée sur la conciliation.
La Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ne se contente pas d’énoncer les droits reconnus par les États parties. Elle énonce aussi les devoirs des individus: devoirs vis-à-vis des autres individus, de la nation à laquelle on appartient et de la communauté internationale
Conformément à l’article 52 de la Charte, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples saisie d’une communication relative au non-respect d’une ou de plusieurs dispositions de la Charte doit essayer «par tous les moyens appropriés de parvenir à une solution amiable». Bien sûr cette solution doit être fondée sur le respect des droits de l’homme et des peuples. Mais il reste que la recherche d’une conciliation est préférée à une solution judiciaire qui fait obligatoirement un vainqueur et un vaincu alors que la conciliation a l’avantage de laisser à chaque partie le sentiment de n’avoir rien perdu.
Ces considérations sur la conception africaine du droit n’empêchent pas de considérer que la nouvelle évolution des idées en Afrique en faveur de la démocratie et des droits de l’homme postule pour la reconsidération de la proposition tendant à créer une cour africaine des droits de l’homme et des peuples.
Devoirs particuliers des États en relation avec les droits des peuples
Dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, l’affirmation de l’existence et l’énumération des droits se terminent par deux obligations mises à la charge des États. Il s’agit d’obligations que les États doivent remplir au bénéfice des peuples pour que ceux-ci puissent pleinement jouir des droits qui leur sont reconnus: obligation d’information, obligation de bonne justice.
Devoir des États de faire connaître et comprendre les droits de l’homme et des peuples
La première obligation consiste en ce que les États doivent promouvoir et assurer l’enseignement et l’éducation, de même que la diffusion des informations concernant les droits de l’homme et des peuples, afin que ces droits soient strictement respectés par le truchement de l’action de leurs titulaires. Ces États doivent aussi prendre des mesures en vue de veiller à ce que les individus comprennent bien la teneur de leurs droits, mais aussi le contenu des obligations qui pèsent sur eux.
Devoir des États de garantir l’indépendance de la justice
La deuxième obligation mise à la charge des États est que tout État doit garantir l’indépendance des tribunaux et permettre l’institution d’organismes nationaux appropriés, chargés de la promotion et de la protection des droits de l’homme, tels que ces droits sont garantis par la Charte. En somme il s’agit pour l’État d’entreprendre ou d’encourager les organisations non gouvernementales ou publiques qui contribuent par leur action au respect des droits de l’homme, mais surtout de créer des institutions judiciaires nationales exerçant leurs fonctions en toute liberté et en toute indépendance.
La Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ne se contente pas d’énumérer des droits. Elle prescrit également des devoirs.
On a parfois reproché à la Charte d’avoir proclamé des devoirs dans un texte qui est en principe destiné à reconnaître et à protéger des droits, risquant ainsi de porter tort à ces droits. Mais on oublie que cette pratique n’est pas nouvelle. Beaucoup d’instruments internationaux et de textes législatifs du droit interne consacrent la même pratique.
Ce n’est pas un mal. Tout au contraire. D’ailleurs en énonçant dès son préambule l’attachement des pays africains aux valeurs de civilisation africaine, la Charte ne pouvait s’abstenir de coller à la conception africaine du droit et des droits de l’homme. A ce sujet les termes utilisés dans ledit préambule sont significatifs. Les pays africains membres de l’OUA ont entendu tenir compte des «vertus de civilisation africaine qui doivent inspirer et caractériser leurs réflexions sur la conception des droits de l’homme et des peuples». Allant plus loin, l’article 17, paragraphe 3, de la Charte précise que: «la promotion et la protection de la morale et des valeurs traditionnelles reconnues par la communauté constituent un devoir de l’État dans le cadre de la sauvegarde des droits de l’homme.»
Cette prise de position ne pouvait pas manquer d’avoir pour conséquence l’introduction dans la Charte des principes et règles qui fondent la conception africaine du droit et des droits de l’homme, et notamment l’importance de la morale dans les rapports individuels et intergroupes, le rôle prééminent de la famille dans la vie sociale, la prépondérance de la communauté comme sujet de droit, le caractère secondaire de la solution contentieuse des conflits par rapport à la conciliation et bien sûr le fait que les devoirs sont considérés comme inséparables des droits. A cet égard, il apparaît que «droits et devoirs s’équilibrent et s’intègrent harmonieusement tant en ce qui concerne l’individu que dans les rapports de ce dernier avec la communauté nationale et l’État».
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