Auteur: Kéba Mbaye
Type de publication: Ouvrage
Date de publication: 1992
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La Commission est essentiellement créée pour, d’une part promouvoir les droits de l’homme et des peuples en Afrique et, d’autre part, assurer leur protection. Elle partage ses compétences en matière de protection avec la Conférence des chefs d’État et de gouvernement qui agit comme un organe de contrôle de la Commission. La Commission a deux autres compétences: interpréter la Charte et exécuter les tâches que la conférence des chefs d’État et de gouvernement pouvait lui confier.
Il semble que les auteurs de la Charte aient entendu consacrer la mission de promotion comme un élément essentiel des compétences de la Commission. Cette promotion peut s’articuler autour de trois catégories de fonctions: fonctions d’étude et d’information, fonctions quasi législatives, fonctions de coopération.
La Commission doit être un centre de documentation en matière de droits de l’homme en Afrique. Il lui appartient en conséquence de rassembler, de classer et de conserver toutes les informations relatives aux droits de l’homme en Afrique. Elle tient ces informations à la disposition des usagers: professeurs, chercheurs, étudiants, praticiens du droit qui seraient intéressés par le problème des droits de l’homme. Elle doit aussi diffuser, le plus largement possible, par des moyens à déterminer, des informations relatives aux droits de l’homme en Afrique soit de façon systématique, soit pour compléter ou corriger des informations déjà existantes.
La Commission est chargée de procéder à des études et d’effectuer des recherches par elle-même, ou par l’intermédiaire de personnes compétentes sur des problèmes africains et dans le domaine des droits de l’homme et des peuples. Elle doit organiser des conférences sur les droits de l’homme ou participer à l’organisation de telles conférences, séminaires et colloques permettant de mieux appréhender et faire connaître l’état des droits de l’homme et des peuples en Afrique.
Elle est également habilitée à encourager les organismes qui s’occupent des droits de l’homme et des peuples. A cet effet, elle pourrait, avec la bonne volonté et l’aide du Secrétariat général de l’OUA, faire des suggestions tendant à organiser des concours, créer des prix, décerner des distinctions au profit des droits de l’homme.
Enfin, la Commission pourra donner des avis ou faire des recommandations aux gouvernements dans le but de mieux assurer la promotion des droits de l’homme et des peuples en Afrique. Ainsi chaque gouvernement pourra lui demander un avis consultatif. De son côté la Commission pourra spontanément ou sur demande des États faire des recommandations. Bien que la Charte ne le dise pas, je crois que l’OUA, en tant que telle, pourrait, elle aussi, demander un avis à la Commission, sur un sujet relatif aux droits de l’homme et des peuples en Afrique.
La Commission a prévu de s’atteler aux tâches suivantes dans le cadre du programme d’action qu’elle a élaboré:
- Constitution d’une bibliothèque africaine et d’un centre de documentation concernant les Droits de l’Homme;
- Multiplication et Diffusion de la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples intégrant le Règlement intérieur;
- Publication d’une Revue africaine des Droits de l’Homme et des Peuples;
- Émissions périodiques radiodiffusées et télévisées sur les Droits de l’Homme en Afrique;
- Intégration de l’enseignement des Droits de l’Homme dans les programmes de l’enseignement secondaire;
- Création d’une journée des Droits de l’Homme;
- Participation aux manifestations du bicentenaire de la Déclaration des Droits de l’Homme du Citoyen de 1789;
- Institution d’un prix et d’un concours sur»les Droits de l’Homme;
- Recommandation tendant à la création de comités nationaux des Droits de l’Homme;
- Recommandation tendant à la création d’instituts des droits de l’Homme;
- Colloques ou séminaires sur l’Apartheid notamment.
L’article 45 de la Charte, en son paragraphe 2, prévoit que la Commission est chargée «d’assurer la protection des droits de l’homme et des peuples dans les conditions fixées par la présente Charte».
Elle doit aussi diffuser, le plus largement possible, par des moyens à déterminer, des informations relatives aux droits de l’homme en Afrique soit de façon systématique, soit pour compléter ou corriger des informations déjà existantes
Ces conditions, nous les analyserons en étudiant la procédure suivie devant la Commission. Pour l’instant, contentons-nous d’indiquer les deux catégories d’actions à l’occasion desquelles la Commission est appelé à exercer ses fonctions de protection, après avoir donné quelques précisions sur les différentes sortes de compétences. La Commission peut connaître de toute violation des dispositions de la Charte. Les termes employés par l’article 47 sont très généraux.
Peuvent aussi être portés devant la Commission des manquements à d’autres dispositions de cette même Charte qui ne reconnaissent ni ne garantissent des droits dans la mesure où elles y concourent. Cette solution est appliquée par la Commission européenne. A mon avis, il faut admettre que la violation de principes communément admis dans le domaine des droits de l’homme devrait aussi pouvoir servir de base à une action devant la Commission dans la mesure où ces principes peuvent se rattacher à des dispositions précises de la Charte. Les articles 60 et 61 énoncent les principes applicables par la Commission. La violation incriminée doit-elle avoir été commise sur le territoire d’un des États parties pour que la Commission soit compétente?
Il n’existe pas dans la Charte l’équivalent de l’article V de la Convention européenne des droits de l’homme et selon lequel les États garantissent les droits reconnus aux personnes «relevant de leur juridiction». Mais, puisqu’il n’y a aucune limitation quant à l’obligation des États parties à la Charte de protéger les droits qu’ils reconnaissent, il faut en déduire que la Commission est compétente, même quand la violation imputable à un État partie a lieu vis-à-vis d’une «personne protégée», en dehors du territoire national des États parties.
Les violations dont la Commission peut connaître doivent avoir été commises par un État partie. C’est dire que celles imputables à d’autres personnes physiques ou morales (les individus notamment) ne sont pas de la compétence de la Commission. Il s’en suit que les faits relatifs à l’apartheid ne peuvent pas être dénoncés à la Commission puisqu’ils sont imputables à l’Afrique du Sud qui n’est pas partie à la convention.
Les actes commis avant l’installation de la Commission sont-ils susceptibles d’être appréhendés par celle-ci dans le cadre de sa mission de protection ? Cette question a une grande importance théorique et pratique. La Charte n’en parle pas ; le Règlement non plus n’en dit pas un mot. Nous pensons qu’il faut y répondre en se référant aux principes généraux du droit. Si en vertu du droit international les violations de droits de l’homme dont il s’agit constituent des crimes imprescriptibles, il ne faut pas hésiter à accepter que les faits qui les constituent puissent être portés devant la Commission qui aura compétence pour s’en saisir.
Mais en dehors de tels cas, la Commission ne peut connaître à l’égard d’un État que de faits constitutifs de violations de droit de l’homme et intervenus depuis que l’État en cause est devenu partie à la Charte. Cette solution s’impose par le fait que la Charte ne parle que des violations perpétrées par un État partie. Cela dit, il ne semble pas que l’on puisse invoquer l’écoulement d’un temps prétendument trop long pour se soustraire à une responsabilité découlant de la violation des dispositions de la Charte. Il faut toutefois se rappeler que selon l’action 56, paragraphe 6, les communications doivent «être introduites dans un délai raisonnable courant depuis l’épuisement des recours internes ou depuis la date tenue par la Commission comme faisant commencer à courir le délai de sa propre saisine».
Dans la Charte, au chapitre relatif à « a procédure de la Commission», il est prévu deux sections: d’une part les «communications émanant des États», d’autre part les «autres communications». Nous avons déjà parlé des communications émanant des États. Les «autres communications» nécessitent quelques explications. On peut en effet légitimement se demander de quelles autres communications il peut s’agir: le législateur semble avoir reculé devant la difficulté de les spécifier.
En utilisant la formule «autres communications», les auteurs de la Charte se sont sûrement rappelés les étapes par lesquelles la Commission des droits de l’homme est passée avant de se voir reconnaître le droit d’examiner des communications individuelles relatant des violations des droits de l’homme. Ils se sont souvenus de ses hésitations et finalement de ses hardiesses quant à l’examen de ces innombrables communications, qui lui parviennent chaque année par le canal de la Division des Droits de l’Homme.
Mais, puisqu’il n ’y a aucune limitation quant à l’obligation des États parties à la Charte de protéger les droits qu’ils reconnaissent, il faut en déduire que la Commission est compétente, même quand la violation imputable à un État partie a lieu vis-à-vis d’une «personne protégée», en dehors du territoire national des États parties
Nous verrons que les dispositions relatives à la procédure suivie devant la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples empruntent un certain nombre de règles à la résolution 1503 et à celles qui la complètent, mais elles vont bien plus loin. Il faut en conséquence considérer qu’en traitant des «autres communications», le législateur africain a entendu ouvrir la voie à des recours individuels devant la Commission.
Cette interprétation est renforcée non seulement par les termes généraux de l’article 55 de la Charte, mais aussi parce que l’auteur de la communication peut se protéger en demandant à garder l’anonymat, ce qui n’est concevable que dans le cas d’une personne physique. Une telle interprétation a été endossée par la Commission dans son Règlement. Il suffit pour s’en convaincre de se reporter aux articles 101 et suivants du Règlement où l’on indique notamment (art. 103-1. a) que la Commission peut demander à l’auteur de la communication «de préciser en particulier ses nom, âge et profession…».
L’article 14, paragraphe 1 b, du Règlement, est encore plus précis. Il tranche nettement la question puisqu’il précise que des communications peuvent être soumises à la Commission par un individu ou une organisation alléguant, preuve à l’appui, une situation de violations graves ou massives des droits de l’homme et des peuples. Le même article 114, en son paragraphe 2, va encore plus loin puisqu’il admet que «la Commission peut accepter de telles communications de tout individu ou organisation où qu’ils se trouvent». 11 n’est même pas nécessaire que l’auteur de la communication soit la victime elle-même. Il faut et il suffit que cette dernière soit dans l’incapacité de soumettre une communication ou de l’autoriser.
Mais, puisqu’il n’y a aucune limitation quant à l’obligation des États parties à la Charte de protéger les droits qu’ils reconnaissent, il faut en déduire que la Commission est compétente, même quand la violation imputable à un État partie a lieu vis-à-vis d’une «personne protégée», en dehors du territoire national des États parties. Cette interprétation que la Commission a donnée des articles 55 et suivants de la Charte est conforme à leur esprit. On doit s’en féliciter. La pratique de la Commission confirme par ailleurs cette heureuse interprétation.
La Commission a deux autres compétences. Ces compétences sont prévues par la Charte en son article 45. Il s’agit de l’interprétation de la Charte et de l’exécution de toutes autres tâches qui lui seraient éventuellement confiées par la Conférence des chefs d ’État et de gouvernement. Il est curieux que le Règlement de la Commission se soit abstenu de dire un mot de ces deux compétences de la Commission, alors que la Charte les vise expressément. Ce n’est pas là la seule critique que l’on puisse adresser au Règlement. Heureusement que la Commission peut suspendre ou modifier certaines dispositions du Règlement. Cette faculté le mettra à l’abri des difficultés qui ne manqueront pas de surgir à l’occasion de l’application dudit Règlement.
Cela dit, il faut louer la Commission d’avoir élaboré et adopté son Règlement dans un laps de temps aussi bref: trois mois. Elle aura plusieurs occasions assurément de le perfectionner grâce à l’expérience qu’elle va acquérir au fil des ans. Elle a d’ailleurs entrepris de réviser son Règlement sous peu de temps.
La sauvegarde de certains droits pose des problèmes particuliers sur lesquels la Commission des droits de l’homme et des peuples aura à se prononcer. En effet, la mission confiée par la Charte à la Commission des droits de l’homme et des peuples peut, pour être effective, s’agissant du respect de certains droits, présenter à l’exercice bien des difficultés. Ces droits sont les droits économiques, sociaux et culturels, les droits des peuples et les droits dits de la troisième génération. Il faut rappeler que la mission de la Commission tient essentiellement d’une part à la promotion et, d’autre part, à la protection des droits de l’homme.
La promotion des droits ne pose à notre avis aucun problème particulier. En effet la Commission peut l’assurer valablement par les différentes voies prévues à l’article 45 de la Charte. Qu’il s’agisse des droits économiques, sociaux et culturels, des droits des peuples ou des droits de la troisième génération, il sera toujours possible à la Commission de rassembler de la documentation, de faire des études et des recherches, d’organiser des séminaires, des colloques, des conférences, de diffuser des informations, d’encourager les organismes nationaux et locaux s’occupant des droits de l’homme, de donner des avis ou de faire des recommandations, de formuler et d’élaborer des principes et des règles permettant de résoudre les problèmes qui se posent aux gouvernements en matière de droits de l’homme, de coopérer avec les autres institutions s’occupant des droits de l’homme et d’assurer d’une façon générale toutes autres fonctions se rattachant à la promotion des droits de l’homme.
S’agissant par contre de la protection des droits dont il s’agit (droits économiques, sociaux et culturels, droits des peuples, droits de la troisième génération), il apparaît à l’évidence que des difficultés pourraient surgir devant la Commission. Il faut en effet rappeler que la Charte ne fait aucune différence entre les droits qu’elle déclare. Quelle que soit la nature de ces droits, les dispositions relatives à leur protection prévoient la possibilité pour un État ou pour un individu, d’en demander la sauvegarde en cas de violation.
La sauvegarde de certains droits pose des problèmes particuliers sur lesquels la Commission des droits de l’homme et des peuples aura à se prononcer
La Charte a aménagé deux sortes de voies de recours au profit de l’État qui se plaint d’une violation de ses dispositions. Selon la première voie de recours, la saisine de la Commission peut intervenir à la suite de l’échec des négociations bilatérales par lesquelles un État a signalé à un autre État une violation des dispositions de la Charte qu’il lui impute. Dans ce cas, le droit de soumettre la question à la Commission appartient aux deux États. La notification est adressée alors à la Commission par l’intermédiaire de son président et, en même temps, à l’autre État intéressé et au Secrétaire général de l’OUA.
Selon la seconde voie de recours, l’État qui prétend avoir de bonnes raisons de croire qu’un autre État, comme lui partie à la Charte, a violé les dispositions de celle-ci, peut saisir directement la Commission par une communication adressée à son président, à l’État intéressé et au Secrétaire général de l’OUA. Ces communications sont enregistrées au siège de la Commission dans un registre spécial permanent qui leur est réservé.
L’article 92.2 du Règlement précise les renseignements que doivent contenir les communications de cette nature: mesures prises pour essayer de régler la question conformément à l’article 47 de la Charte, y compris le texte de la communication initiale et de toute explication écrite ultérieure des États parties intéressés qui concerne la question, mesures prises pour épuiser les recours internes, toute autre procédure d’enquête internationale ou de règlement international auxquels les États parties intéressés ont recours.
Quelle que soit la voie (indirecte ou directe) par laquelle la Commission a été saisie, celle-ci ne peut connaître de l’affaire que si la communication remplit certaines conditions de recevabilité. En premier lieu, la communication doit émaner d’un État partie à la Charte et doit être imputable à un État, lui aussi partie à la Charte. En second lieu, elle doit concerner la violation d’une disposition de la Charte. Enfin, elle doit respecter la règle de l’épuisement des recours internes. Cette règle est prévue par l’article 50 de la Charte. Il appartient à la Commission d’en contrôler l’application de la règle et de s’assurer que ces recours, s’ils existent, ont bien été épuisés, à moins qu’il ne soit manifeste que l’État «fautif» utilise la règle à des fins dilatoires. C’est le cas lorsque lesdits recours se prolongent «d’une façon anormale» comme le précise l’article 50 de la Charte.
La Commission, une fois saisie, procède à l’instruction de l’affaire. Elle peut demander aux États parties de lui fournir toutes les informations susceptibles de l’éclairer et relatives à ladite affaire. Au cours de l’instruction, les États parties intéressés peuvent se faire représenter et présenter des observations écrites. La Commission peut aussi, par des moyens appropriés compatibles avec la Charte et avec le droit international, recueillir des informations d’autres sources si elle l’estime nécessaire. Pendant la période d’instruction, la Commission doit essayer, par tous les moyens, de parvenir à une solution amiable du litige. Toutefois, cette solution doit être fondée sur le respect des droits de l’homme. Par exemple, la Commission pourrait ainsi rejeter toute entente entre les États qui ne serait pas compatible avec les dispositions de la Charte, qui aurait notamment pour résultat de consacrer une violation des droits de l’homme.
Aucun délai n’est imparti à la Commission pour la production de son rapport. Mais celui-ci doit intervenir dans un «délai raisonnable», à partir de la notification par laquelle la Commission a été saisie. Dans son Règlement (art. 100) la Commission s’est donnée un délai qui ne peut excéder douze mois à partir de la notification. Ce même Règlement prévoit que le rapport est communiqué aux États parties intéressés. Mais ceux-ci ne peuvent pas assister aux délibérations de la Commission.
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