Auteur : Seni Mahamadou Ouedraogo, Djibrihina Ouedraogo
Organisation affiliée : Université Ouaga II
Type de publication : Article
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«Prévenir vaut mieux que guérir». Cette sagesse justifie à bien des égards le dispositif mis en place pour contrer la propagation de la maladie dite du covid-19 à travers le monde. Comme la plupart des pays touchés, les pays africains vivent une situation des plus délicates, marquée par le ralentissement des activités socio-économiques, religieuses, administratives et politiques en raison notamment des mesures de restriction (distanciation sociale, interdiction de rassemblement de plus de cinquante personnes, confinement, couvre-feu, fermeture des édifices religieuses et des établissements d’enseignements, mise en quarantaine des villes touchées…). La fin de ces mesures de restriction, qui autorisera le retour à une vie normale, ne sera possible que si la courbe de propagation de la maladie décroît fortement pour laisser espérer son éradication.
Pour faire face à la maladie, les États ont dû recourir à des régimes d’exception les plus divers devant la nécessité d’agir vite mais bien. C’est ainsi que l’état d’urgence a été déclaré dans la plupart des pays d’Afrique de l’ouest francophone (en Côte d’Ivoire, au Niger, au Sénégal ou encore auTogo) alors qu’au BurkinaFaso a été plutôt déclenché l’état d’alerte sanitaire. Bien que différent, ces régimes d’exception conduisent à un accroissement des prérogatives de l’exécutif pour adopter et imposer des mesures restrictives de libertés individuelles devant permettre l’endiguement de la maladie.
Que l’on soit en régime d’état d’urgence ou en régime d’alerte sanitaire, les plans de riposte mettent parallèlement en évidence les conséquences socio-économiques des mesures de lutte contre le covid-19. Ce faisant, les États sont préoccupés par la prise en charge des besoins sociaux de base et par la nécessité de soutenir les entreprises privées. A ces conséquences socio- économiques se rajoutent les conséquences politiques qui ne sont pas moins de taille. En effet, pour certains États, comme le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire, le covid-19 intervient au moment où se prépare l’échéance politique la plus capitale, à savoir les élections présidentielles, qui sont suivies ou combinés avec les élections législatives.
Dans des régimes politiques, marquées par la figure tutélaire du président de la République, l’élection présidentielle cristallise toutes les attentions. Aussi, jusqu’à ce que survienne le covid-19, l’automne 2020, période initiale des élections, était particulièrement attendue en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso. Quoi de plus normal puisqu’il s’agit du seul moment fort du quinquennat qui permet au peuple de renouveler sa confiance à l’équipage politique sortant sinon de la lui retirer et confier les rênes du pouvoir à une nouvelle équipe dirigeante.
Autrement dit, l’élection est le moment pendant lequel le peuple se pose en véritable souverain. Ainsi que l’écrit J.J. Rousseau au chapitre XV du livre III du Contrat social, «le peuple anglais pense être libre, il se trompe fort; il ne l’est que durant l’élection de membres du Parlement: sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien». Pourtant, les contraintes imposées par l’indispensable lutte contre le coronavirus font planer une menace certaine sur ce moment tant attendu par le peuple en général et la classe politique en particulier.
Pour autant, certains États affectés n’ont pas jugé nécessaire de procéder à un report. En Afrique de l’ouest, c’est le cas de la Guinée-Conakry (referendum et législatives) et du Mali (1er et 2nd tour des élections législatives). Plus emblématique encore, c’est la tenue des élections législatives le 15 avril dernier en Corée du Sud, qui était jusqu’en fin février le deuxième plus important foyer de la pandémie au monde après la Chine.
C’est dire que pour affronter les problèmes politiques, et notamment électoraux, posés par le covid-19, il n’existe pas de solutions clés en mains. La preuve en est qu’au Burkina Faso un cadre de concertation entre acteurs politiques est à pieds d’œuvre pour trouver des solutions consensuelles et adaptées. Dans le même sens, en Côte d’Ivoire le président Ouattara commence à penser sérieusement à l’hypothèse d’un report des élections alors qu’il semblait tenir mordicus au respect des échéances.
Dans cette logique, et sans vouloir chercher à freiner l’élan et le train de la lutte contre le covid- 19, il sied de poser un regard attentionné sur les conséquences que cette situation impromptue pourrait avoir sur l’organisation des élections présidentielles et législatives dans la sous-région et singulièrement en terre d’Eburnie (Côte d’Ivoire) et au pays des hommes intègres (Burkina Faso) . Si les crises politiques de ces dernières décennies dans les États ont souvent trouvé leur épilogue en dehors du droit constitutionnel établi , il semble bien que la crise sanitaire du moment révèle à n’en point douter une limite du droit en vigueur.
Deux séries de questions se trouvent ici posées. D’une part, il faut se demander s’il est encore possible que ces élections se tiennent à bonne date et dans quelles conditions? D’autre part, un report de ces élections est-il juridiquement et politiquement envisageable si les mesures de restrictions entrant dans le cadre de la lutte contre le covid-19 l’imposent? Comment peut-on envisager un report alors même que la Constitution, qui fixe les modalités d’organisation des élections présidentielles, ne prévoit pas d’exception.
L’improbable respect du calendrier électoral
La difficile réalisation des opérations préalables au scrutin
Plusieurs étapes sont préalables et nécessaires à la tenue des élections. Il s’agit notamment de l’enrôlement des électeurs pour l’établissement des listes électorales, de la mise à disposition du matériel de vote (ordinateurs, urnes et bulletins) et de la tenue de la campagne électorale. Chacune de ces opérations est obstruée par les mesures de restrictions adoptées dans le cadre de la lutte contre le covid-19.
L’interdiction de rassemblement de plus de cinquante personnes en un seul et même endroit a conduit le président du Faso, a décidé, dès sa première allocution sur la gestion de la crise liée au covid-19, de suspendre les opérations d’enrôlement qui étaient initialement prévues pour se tenir jusqu’au 31 mai 2020.
Pour les mêmes raisons liées au covid-19, la commission électorale éthiopienne a procédé au report des élections générales qui étaient initialement prévues en août. Elle a notamment justifié sa décision par le fait que les mesures prises par les pouvoirs publics pour contenir la pandémie ont eu un impact négatif sur le calendrier pour mener à bien les activités préélectorales.
En Côte d’Ivoire, le bilan partiel de l’opération d’identification, qui est préalable à l’enrôlement, s’est révélé décevant. Le communiqué du Conseil des ministres tenu le 15 avril 2020 note : « A ce jour, ce sont 130 mille personnes qui ont été identifiées sur un objectif de 6,5 millions de Cartes Nationales 12 d’Identité (CNI) à renouveler à l’horizon d’octobre 2020.
S’il était toutefois possible de continuer l’enrôlement dans cette situation, on peut se demander dans quelles conditions se déroulera la campagne électorale. Celle-ci ne pourra pas se faire en présentielle sauf à remettre en cause la mesure interdisant le rassemblement de plus de cinquante personnes.
En outre, la campagne électorale, ayant un côté ludique, elle s’accommode mal de l’atmosphère crispant engendrée par le covid-19. Les observateurs ont pu faire remarquer qu’au Mali, la campagne pour le second tour des législatives, maintenu vaille que vaille par le président de la République malgré l’expansion du covid-19 , a été moins visible que la campagne du ministère de la Santé en vue de la sensibilisation contre le covid-19. L’exigence de respect des mesures de restriction semble bien incompatible avec la tenue des campagnes électorales.
Les limites tenant aux modalités de vote disponibles
S’il existe plusieurs modalités de vote, c’est uniquement la modalité de vote classique qui est prévue par les États étudiés. En ce sens, l ’article 90 du code électoral pose notamment que l’électeur glisse le bulletin de vote dans l’urne, après avoir effectué son choix dans un isoloir. Il n’est donc pas prévu le vote par correspondance (qui consiste à envoyer son bulletin par courrier postal) ou de vote électronique (qui consiste à faire son choix en ligne). Il est clair que le vote in situ dans un bureau de vote est incompatible avec les mesures de restriction imposées par la lutte contre le covid-19, comme en témoigne la suspension des primaires démocrates aux USA ou encore le report du second tour des élections municipales en France.
Toutefois, il est possible de s’inspirer de l’exemple de la Corée du Sud en organisant un scrutin sous haute surveillance sanitaire. Cette solution à la Coréenne implique d’engager d’importants moyens financiers. Ce qui viendrait rendre encore plus onéreuses des élections qui sont déjà trop chères et pour lesquelles les fonds restent encore à mobiliser. En effet, la Corée du Sud a dû mobiliser des milliers de fonctionnaires et de jeunes en service civique pour désinfecter les 14 mille bureaux de vote et installer des repères au sol pour maintenir la distance d’un (1) mètre entre les électeurs. En outre, la température des électeurs était prise systématiquement et tous devaient se frotter les mains avec du gel hydroalcoolique avant de mettre des gants en plastiques pour voter.
En raison des contraintes posées par le vote sur place, il est possible de recourir au vote par correspondance et au vote électronique. Il faudrait alors, comme la Pologne vient de le faire, réviser le code électoral pour intégrer ces modalités de vote qui seraient inédites. Cette révision du code électoral pour être valide, au regard de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance (CADEG), doit intervenir 6 mois avant les élections et sur approbation de l’ensemble des forces politiques.
A supposer que ces deux modalités de vote permettent de contourner la difficulté, elles ne semblent pas accessibles à l’ensemble des électeurs. Non seulement, la majorité des burkinabè n’a pas accès à internet mais en plus le vote par correspondance pourrait être source de désordre et pourrait compromettre l’efficacité de certaines mesures de restriction. Aussi faut-il souligner que ces modalités de vote posent de sérieuses difficultés quant à la transparence et à la sincérité du dépouillement. Que l’on se souvienne, dans ce sens, du désastre causé par le décompte des voix en Floride en 2000 et qui a laissé des doutes sur l’élection du candidat républicain, Georges Bush, face au candidat démocrate, Al Gore.
Les efforts financiers engagés par l’État
Si la démocratie est parfois présentée comme un luxe, c’est bien en partie à cause du coût financier que requiert la préparation des échéances électorales. Il est bien connu que l’organisation des élections exige d’importantes dépenses. Les élections générales de 2015 au Burkina Faso ont ainsi coûté soixante (60) milliards de Fcfa alors que la CENI a fait remarquer ces derniers mois qu’il fallait plus de cent (100) milliards de Fcfa pour l’organisation des élections présidentielles, législatives à venir.
En effet, la Corée du Sud a dû mobiliser des milliers de fonctionnaires et de jeunes en service civique pour désinfecter les 14 mille bureaux de vote et installer des repères au sol pour maintenir la distance d’un (1) mètre entre les électeurs
Le financement de ces échéances se pose avec une double acuité : l’essentiel du financement doit provenir des partenaires internationaux alors qu’ils utilisent déjà leurs finances pour couvrir les plans de ripostes des différents pays. Les Etats bailleurs eux-mêmes doivent mobiliser leurs ressources pour faire face à leur crise sanitaire. D’autre part, on n’ignore pas que le covid-19 entraine un ralentissement de l’activité économique qui a pour effet la baisse du taux de croissance (En Côte d’Ivoire, la croissance estimée à 7, 2% serait réduite de moitié à 3,6% dans l’hypothèse d’une maîtrise de la pandémie en fin juin ; au Burkina Faso, initialement estimé à 6,3%, le taux de croissance est maintenant réduit à 2 %) alors qu’il n’est pas exclu une récession.
A cet effet, des plans de riposte très couteux contre la maladie ont été mis en place dans les différents pays concernés. Le plan de soutien économique, social et humanitaire s’élève à 1700 milliards de F cfa (soit environ 5% du PIB) en Côte d’Ivoire . Au Burkina Faso, le Gouvernement a prévu un plan de riposte contre la maladie qui s’élève à quelques 178 milliards de Fcfa. Par ailleurs, il a dû engager des mesures d’accompagnement considérables pour amortir les conséquences socio-économiques de la maladie à travers des mesures de soutien aux ménages et aux entreprises.
C’est donc dire que le redoutable pouvoir de régulation budgétaire sera mobilisé en vue de financer les dépenses strictement nécessaires. Or, les priorités actuelles du pays sont bien éloignées des préoccupations électorales. Même si les élections constituent un moment important de la vie constitutionnelle et politique du pays, leur organisation ne peut passer avant le défi sanitaire de l’heure. Comme on le sait, «la santé passe avant tout et pour aller voter il faut d’abord être en bonne santé».
Par ailleurs, si l’organisation des élections est maintenue comme une priorité, il faut aussi faire face aux tensions de trésorerie qui seront plus importantes en raison des mesures de renoncement partielle aux recettes publiques et le report des paiements. Il faudra aller chercher des liquidités chez les prêteurs. Pour cela, il serait quasiment impossible de compter sur les agents économiques nationaux en raison du ralentissement de l’activité économique. Il faudrait donc se tourner vers les marchés financiers s’ils n’ont pas été ébranlés par le covid-19 et probablement vers les partenaires techniques et financiers. Or, l’assistance de ces derniers risque de ne pas être à la hauteur des attentes.
L’assistance incertaine des partenaires financiers
L’organisation des élections est généralement financée, pour une bonne partie, par les partenaires techniques et financiers au développement. Cette assistance financière électorale pourrait ne pas être à la hauteur des attentes. Et, pour cause, nombre de partenaires bilatéraux et multilatéraux au développement ont subi les conséquences socio-économiques résultant des mesures de lutte contre le covid-19.
L’économie des principaux bailleurs se trouvera dans une situation exsangue à la fin de la crise sanitaire. Les chiffres sont de ce point de vue alarmants. Selon les prévisions de la Banque de France, le PIB français devrait se contracter de 6% pour le premier trimestre 2020, ce qui est dû à une baisse de 32% de l’activité économique du pays suite à la première quinzaine de confinement.
Comme la France, la plupart des pays développés, qui constituent nos principaux partenaires au développement, devra faire face à la récession. Le FMI et les experts de l’ONU, commandés à la tâche pour évaluer les conséquences économiques du covid-19, ont estimé que le monde connaîtra une situation de récession plus dramatique que celle résultant de la crise économique de 2008. La récession de l’économie mondiale devrait se situer autour des 3% . Ainsi, pour endiguer les conséquences économiques du covid-19, ces pays ont mis en place d’importants plans de relance des entreprises privées. Par conséquent, il ne faut donc pas s’attendre à ce que l’assistance financière à l’élection soit importante dans l’hypothèse où elle serait effectivement accordée.
S’agissant du soutien des institutions financières internationales comme le FMI et la Banque mondiale, elles se sont engagées à financer une bonne partie des plans nationaux de gestion des conséquences socio-économiques du covid-19. Ainsi, la Banque mondiale prévoit d’apporter jusqu’à 160 milliards de dollars de financement au cours des quinze (15) prochains mois afin d’aider les pays à protéger les populations pauvres et vulnérables, soutenir les entreprises et favoriser le redressement de l’économie .
Dans quelle mesure accepteront-elles alors de financer l’organisation d’élections? Rien n’est vraiment sûr! En tous les cas, dans son dernier rapport semestriel d’Africa’s Pulse, consacré à la conjoncture africaine, les experts de la Banque mondiale recommandent fortement «aux décideurs africains de concentrer leur stratégie sur l’objectif de sauver des vies et de protéger les moyens de subsistance, en s’attachant à renforcer les systèmes de santé…» . Cette recommandation donne un fort indice sur les enjeux qui méritent un regard attentionné de ces institutions financières mondiales.
Les questionnements de la fixation du calendrier électoral
La possibilité juridique
Le droit offre-t-il des possibilités de report des élections ? La question a taraudé et divisé la doctrine constitutionnaliste en France à propos du report du second tour des élections municipales un État de droit, les gouvernants sont tenus d’agir sur la base du droit et conformément au droit. Cette exigence capitale de l’état de droit suppose que le droit puisse règlementer à l’avance chacune des situations juridiques pouvant se produire. Or, précisément, le droit ne peut tout prévoir et des situations exceptionnelles (dites également anormales) peuvent donc se produire.
Dans ce cas, tout change et la règle qui va commander l’action des gouvernants est celle de la nécessité. Ce qu’exprime ces boutades bien connues: «nécessité fait loi» ou «nécessité n’a point de loi». C’est dans un tel état de nécessité que nous plonge le covid-19 quant à la possibilité ou non d’un réaménagement du calendrier électoral. Certaines constitutions ont envisagé l’hypothèse d’un report des élections pour une raison ou une autre.
La situation est toutefois différente selon qu’il s’agit des élections présidentielles ou des élections législatives. En général, la question du report des élections législatives est envisagée contrairement aux élections présidentielles. En Côte d’Ivoire, la dernière révision de la Constitution permet d’assurer la continuité institutionnelle du Parlement en cas d’impossibilité d’organiser les élections parlementaires dans les meilleurs délais 81 alinéa 2 de la Constitution prévoit la possibilité de prorogation du mandat d’une durée qui ne saurait dépasser une année «en cas de force majeure ou de nécessité constatée par l’Assemblée nationale à la majorité absolue des députés».
S’agissant des élections présidentielles, si ses grandes lignes d’organisation sont fixées par la Constitution, celle-ci ne prévoit pas la possibilité d’un report. Par conséquent, un glissement du calendrier des élections serait tout simplement contraire à la Constitution sauf à procéder à une révision de la Constitution comme il est envisagé actuellement en Centrafrique. Dans ce dernier pays où le mandat du président de la République s’achève en mars 2021, un projet de loi récemment transmis au Parlement prévoit une modification des articles 35 et 68 de la Constitution en vue de proroger le mandat du président de la République ainsi que de celui des députés si le processus électoral ne peut être conduit dans les délais.
Au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire, le recours à la révision constitutionnelle serait confronté au délai de la CADEG qui interdit toute révision du code électoral six mois avant les élections. Toutefois, au regard de la jurisprudence constitutionnelle burkinabè, la révision constitutionnelle ne saurait avoir pour seul objet de réaménager les seules élections menacées par le covid-19 . Autrement dit, l’exception de ne pouvoir respecter le calendrier électoral doit avoir une vocation générale.
Or, une telle approche ouvrirait une brèche dont les conséquences pourraient être dévastatrices, à savoir que toute contrainte de temps pourrait être provoquée et mobilisée pour obtenir une prorogation de mandat. Ce qui légitimerait paradoxalement la doctrine du Tazartchè. L’exemple guinéen où les dernières élections législatives ont été maintes fois reportées, en avançant des difficultés tenant à l’établissement du fichier électoral, est là pour rappeler que la menace est réelle!
Étant donné que la voie de la révision constitutionnelle comporte des contraintes et fait planer perpétuellement des risques sur le respect de la durée du mandat, il reste à se demander s’il est possible de recourir à la théorie des circonstances exceptionnelles. En d’autres termes, la théorie des circonstances exceptionnelle, mécanisme de légitimation de l’état de nécessité, peut-elle justifier le report des élections présidentielles ? Dans le cadre de cette théorie qui date de la première guerre mondiale (arrêt Heyries, 22 juin 1918 et arrêt Dames Dol et Laurent, 28 février 1919 du Conseil d’État français, 1917-1918), le Gouvernement n’est plus tenu au respect de la légalité normale. Il est seulement tenu à une légalité d’exception. Autrement dit, sans échapper totalement au droit, certains actes qui auraient été déclarés nuls en période normale, sont admis lorsqu’ils sont adaptés aux circonstances qui les fondent.
En France, la possibilité d’invoquer les circonstances exceptionnelles pour reporter le second tour des élections municipales a fait l’objet d’une approche divergente dans la doctrine. Pour le Pr. Derosier, étant donné que le report relève de la compétence du législateur, les circonstances exceptionnelles ne peuvent être valablement invoquées car celles-ci s’appliquent plutôt à l’activité de l’exécutif et à l’action de l’Administration. Par contre, pour le Pr. Soucramanien et Frederic Potier, la théorie des circonstances exceptionnelles peut bien justifier le report dès lors que la Constitution ne règle pas formellement la question . Ils rappellent à cet égard la décision du Conseil constitutionnel français du 27 juin 1973 autorisant le report du second tour des élections municipales à la Réunion pour des circonstances exceptionnelles résultant d’une alerte cyclonique. Allant dans le même sens, le Pr. Daugeron estime que les élections ne sauraient être prisonnières du droit.
L’histoire constitutionnelle récente de nombreux États africains enseigne que les circonstances exceptionnelles peuvent venir bousculer les prévisions constitutionnelles. Que l’on se remémore, dans ce sens, qu’à la suite de l’insurrection populaire au Burkina Faso, que les institutions de la Transition ont été légitimées par le Conseil constitutionnel alors qu’elles ont été établies en dehors de la légalité constitutionnelle. Certes, la Charte de la Transition a pu servir de fondement constitutionnel mais celle-ci, qui a procédé à une révision temporaire et partielle de la Constitution de la IVe République, ne tenait sa validité pour ne pas dire sa légitimité que des circonstances exceptionnelles du moment.
Sur le plan juridique, l’universalité et l’égalité du vote seront compromises en cas de maintien du calendrier. En effet, l’organisation de la campagne électorale et du vote seront nécessairement impactés
Enfin, si l’on veut rester enfermer dans l’orthodoxie du droit, il est même possible de trouver dans les Constitutions africaines francophones, le fondement du probable report des élections présidentielles. En effet, la Constitution se veut être la gardienne primordiale des libertés et droits fondamentaux. Ce qui explique le fait que, dans la plupart des cas, le titre premier de la Constitution soit consacré aux droits et devoirs fondamentaux. La Constitution burkinabè dispose ainsi en son article 2 que «La protection de la vie, la sûreté et l’intégrité physique sont garanties».
Ce faisant, il semble bien que la protection des individus doit être une préoccupation de la plus haute importance si l’organisation des élections, fussent-elles présidentielles, pourrait la mettre en péril. En tout état de cause, le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire, ne seraient pas les premiers États à reporter leurs élections générales à cause de la maladie de covid-19. Nul n’est besoin de rappeler sur ce point les exemples, précédemment soulignés, de l’Éthiopie, de la France ou encore de la Grande-Bretagne.
Les réserves politiques
La crise sanitaire liée au covid-19 menace à n’en point douter le respect du calendrier électoral et amène les acteurs politiques à revisiter leur stratégie de conquête du pouvoir. Les arguments sont mobilisés par les acteurs pour soutenir un calendrier électoral qui pourrait leur être favorable. Dès lors, les débats vont se recentrer sur l’aménagement d’un calendrier réaliste.
Mais il faut faire observer, à cet égard, que la recherche des solutions pour une gestion des impacts du covid-19 sur le calendrier électoral ne suit pas une trajectoire binaire où l’on voit s’opposer les logiques majorité et opposition : les uns s’accrochant au maintien du calendrier avec l’espoir que l’opposition ne puisse faire campagne, les autres recherchant dans le report du calendrier le temps favorable d’une alternance longtemps espérée. A vrai dire, si la fixation du calendrier électoral pour les présidentielles et législatives est constitutionnelle, le respect du calendrier en circonstances exceptionnelles est une arme électorale redoutable aux mains des gouvernants du moment, comme en témoignent les réformes en cours en Pologne et en Centrafrique.
De toute évidence, on peut se demander s’il est pertinent d’envisager des opérations électorales lorsque l’on sait que le flot des mesures sanitaires et sociales destinées à lutter contre le covid- 19 ne sont pas toujours respectées. Les mesures de quarantaine, de distanciation sociale et de confinement impacteront nécessairement la mobilisation des électeurs.
Les controverses autour du calendrier électoral commandent de corréler les effets sanitaires et sociaux d’une part et juridique d’autre part pour éclairer la décision politique. Sur un plan sanitaire et social, il parait surréaliste d’organiser en pleine excroissance du covid-19 des élections puisque le regroupement des citoyens devient un sérieux facteur d’accélération de la crise sanitaire.
Sur le plan juridique, l’universalité et l’égalité du vote seront compromises en cas de maintien du calendrier. En effet, l’organisation de la campagne électorale et du vote seront nécessairement impactés.
Le recours envisageable à l’accord politique
Dans le contexte actuel de polarisation, le dialogue des acteurs pour parvenir à un compromis satisfaisant sur le calendrier électoral est un excellent moyen de sauvegarde des jeunes démocraties.
Les accords et arrangements politiques ont été suffisamment évoqués par la doctrine publiciste africaine qu’il n’est plus besoin de revenir sur ces avantages et inconvénients, sauf à montrer qu’ils sont devenus un régulateur politique en Afrique. A vrai dire, face aux nombreuses menaces qui pèsent sur les fragiles démocraties et qui font émerger de nouvelles figurent politiques, par le biais des réseaux sociaux, le dialogue des acteurs est une excellente manifestation de la démocratie participative.
La crise sanitaire commande des concertations autour des conditions d’organisation des élections. En Macédoine du Nord par exemple, les formations politiques ont conclu que la situation ne permettait pas d’organiser les élections législatives qui étaient prévues le 12 avril. De même en France, le report du second tour des élections municipales a, semble-t-il, «fait l’objet d’un accord unanime des chefs de partis, des présidents des deux chambres, et surtout, des chefs de groupe parlementaires».
Le Burkina Faso et la Cote d’ivoire ont opté pour le second modèle avec des variances : le Premier ministre coordonne le cadre ivoirien quand au Burkina Faso, ce sont le président du parti majoritaire et le chef de file de l’opposition qui président le cadre concertation sous l’égide du président du Faso. Dans ce sens, le président du Faso a engagé un cycle de discussion, entamé le vendredi 17 avril 2020 sur la lutte contre le coronavirus et son impact sur la vie nationale et les élections.
Le Gouvernement d’union nationale s’il résulte d’un accord des acteurs politiques, est un excellent moyen pour surmonter les difficultés juridiques liés au glissement du calendrier électoral. Il devrait être, pour ce faire, le fruit d’un arrangement politique.
Dans les hypothèses sus évoquées, la caution de la communauté internationale sera nécessaire en ce qui concerne la prorogation du mandat que la reconnaissance du Gouvernement d’union nationale. Les gouvernants ont nécessairement besoin d’une reconnaissance de la communauté internationale, de son soutien financier aux processus électoraux et pour faciliter la coopération internationale de l’État.
Le recours ultime au juge constitutionnel
Le recours à l’office du juge constitutionnel signifierait qu’il y a une question de constitutionnalité qui se pose soit parce que la loi prorogeant le calendrier électoral serait contraire à la Constitution, soit parce que le fonctionnement régulier des institutions est en cause.
S’agissant de l’hypothèse de la loi autorisant un glissement du calendrier électoral, le contrôle de sa conformité à la Constitution ne pourrait intervenir que dans le cas où il existe un nombre de députés habilités à saisir le Conseil constitutionnel. Mais, cette option serait improbable en raison de l’existence d’un consensus national sur le glissement du calendrier. Toutefois, il est possible que le président de la République ou le Gouvernement pour renforcer la légitimité de l’accord politique saisisse le juge constitutionnel. On peut imaginer que compte tenu du consensus politique, le juge constitutionnel accordera le brevet de constitutionnalité.
Le Gouvernement d’union nationale s’il résulte d’un accord des acteurs politiques, est un excellent moyen pour surmonter les difficultés juridiques liés au glissement du calendrier électoral. Il devrait être, pour ce faire, le fruit d’un arrangement politique
Au lieu de se projeter sur le terrain du contentieux, les pouvoirs publics pourraient solliciter une décision du juge constitutionnel sur la possibilité ou non de reporter le calendrier des élections. Il reviendra au juge constitutionnel de trancher en tant qu’il est reconnu par la Constitution comme l’«organe régulateur du fonctionnement des pouvoirs publics» . C’est un important pouvoir dont dispose le juge constitutionnel dans les États africains francophones. Selon un auteur, la fonction de régulateur «consiste pour la Cour constitutionnelle, à intervenir, sur demande, pour…faire échec à une situation de paralysie imminente ou réelle d’une ou de plusieurs institutions de la République».
Conclusion
L’étude des impacts du covid-19 sur les élections permet de mettre en évidence, si besoin en était encore, la difficulté pour le droit de se saisir des situations exceptionnelles. Il existe un droit de l’exception mais celui-ci, malgré des ambitions nobles, ne peut cerner à l’avance les différents cas de figure qui peuvent se présenter. Dès lors, le droit de l’exception se construit davantage dans la réaction, comme en témoigne la création d’un quatrième régime d’exception en France, à savoir celui de l’état d’urgence sanitaire, lequel vient désormais cohabiter avec les régimes de l’état d’urgence, de l’état de siège et des pouvoirs de crise du président de la République . Une chose est sûre : c’est de garder à l’esprit que l’application du droit ne doit pas être déconnectée des réalités et des circonstances.
C’est à cette sagesse qu’invitait déjà le doyen de Gaudusson au moment où la doctrine découvrait les accords politiques de crise dont l’une des particularités était de supplanter la Constitution, pourtant censée être au-dessus de l’édifice normatif conformément aux enseignements de Kelsen: «il reste au droit et aux juristes à reconnaître, plutôt que de se livrer à une course poursuite avec les faits, vouée à l’échec, qu’ils rencontrent des bornes, que tout ne saurait se régler en pure logique du droit et sur son seul terrain, et qu’il est des épisodes, souvent les plus dramatiques, de la vie politique qui leur échappent».
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