Auteur : Haby Niakaté
Site de publication : Le Monde
Type de publication : Entretien
Date de publication : 1er avril 2018
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Francis Akindès est sociologue, professeur à l’université Alassane Ouattara de Bouaké, en Côte d’Ivoire. Depuis plusieurs années, il étudie les phénomènes de violences chez les jeunes d’Abidjan, la capitale économique. Des adolescents, parfois des enfants de 12 ou 13 ans, extrêmement violents, agissent en bande et ont été surnommés « microbes » par la population. Francis Akindès les écoute et les raconte dans un documentaire, Parole aux enfants dits microbes, sorti fin 2017.
Depuis 2016, les autorités ont lancé plusieurs opérations d’envergure pour lutter contre les « microbes ». Cette option sécuritaire est-elle la bonne ?
Francis Akindès A l’époque où ces opérations ont été décidées, la population était agacée par les agissements de ces jeunes. L’Etat se devait de montrer qu’il protégeait la population. Il a réagi pour garantir la sécurité à court terme. A plus long terme, il faudrait traiter les causes et l’environnement qui produisent ces enfants dits « microbes ».
De quel environnement s’agit-il ?
Ce phénomène a un terreau très précis, dans la commune populaire d’Abobo, au nord d’Abidjan : des niches de pauvreté devant lesquelles la puissance de l’Etat semble s’être arrêtée. C’est même visible au niveau de l’urbanisme : des quartiers avec très peu de voies d’accès, quasiment pas de présence policière, pas d’éclairage la nuit, des écoles démunies. Tout se passe comme si personne ne s’occupait de ces endroits.
Ces enfants ont-ils d’autres points communs ?
De nombreux. Au premier rang de ceux-ci, la fragilité de leur cellule familiale. Ils sont souvent issus de familles polygamiques, monoparentales ou décomposées, de foyers où il y a eu une inversion des rôles, les enfants étant devenus les pourvoyeurs de revenus face à des parents qui soit ne gagnent pas assez pour tous, soit sont absents, malades ou morts.
Ces enfants sont rapidement pris en charge par la rue, où ils vont développer toutes sortes de compétences, dont la violence et le vol, pour gagner de l’argent. Ils ont aussi une haine des autorités et de ceux qui ne leur donnent pas ce à quoi ils estiment avoir droit en tant que citoyens. D’ailleurs, lorsqu’ils volent quelque chose, ils appellent cela un « encaissement »…
Les facteurs que vous décrivez existent dans d’autres pays de la région, sans forcément entraîner le degré de violence de certains gangs à Abidjan…
Sur ce plan, Abidjan se rapproche davantage de grandes villes comme Lagos, Rio de Janeiro, certaines villes sud-africaines ou colombiennes, où l’on rencontre le même type de violences juvéniles. Des villes du Sud, en mondialisation accélérée, où le fossé entre les riches et les pauvres est de plus en plus grand. Des villes où les riches se barricadent de plus en plus quand certains pauvres, parce qu’ils savent qu’il y a quelque chose à prendre dans ces milieux-là, sont davantage tentés par le recours à la violence.
La croissance économique que connaît le pays depuis sept ans s’accompagne donc d’effets pervers ?
Les fruits de la croissance sont répartis de manière horizontale. Les offres dans le secteur du luxe se multiplient, tout comme les voitures clinquantes et les centres commerciaux. Les classes moyenne et supérieure se répartissent cette richesse sans que celle-ci ne ruisselle verticalement, vers les plus pauvres. Un exemple : en 2014, une loi de revalorisation du salaire des employés de maison à 60 000 francs CFA [soit 91 euros] a été retirée en catimini à l’Assemblée nationale face au rejet d’une majorité de députés. Or les jeunes dits « microbes » sont très souvent des enfants de domestiques, de chauffeurs, de chômeurs… Pour beaucoup, cela a été un exemple patent du refus de partager des classes sociales supérieures.
Vous avancez des causes économiques et sociales. Pourtant, beaucoup font un lien avec la décennie de crise politico-militaire (2002-2011). Qu’en pensez-vous ?
C’est une lecture rapide du problème. Nous avons fait des enquêtes sur le terrain, nous avons parlé à nombre de ces enfants. Ceux-ci n’ont pas combattu pendant la crise post-électorale de 2010-2011 et encore moins pendant la décennie qui l’a précédée, beaucoup étaient d’ailleurs trop jeunes. Nous n’avons pas vu d’exemple en tout cas.
Ce que nous avons compris toutefois, c’est que cette période de tensions, en 2010-2011, a créé une sorte d’opportunité pour de nombreux jeunes pickpockets qui étaient déjà dans la rue. Une période de grande peur où ils ont vu les adultes, les parents, perdre leurs moyens, paniquer, fuir. Eux en ont profité pour affiner leurs techniques d’intimidation, d’arrachage de biens et de maîtrise du terrain.
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