Auteur : Peter Fabricus
Organisation Affiliée : Institut d’Etudes de Sécurité (ISS)
Type de Publication : Article
Date de Publication : mai 2022
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Le Congrès américain est en passe d’examiner un projet de loi qui obligerait Washington à punir les gouvernements africains qui apportent leur soutien à des activités russes « malveillantes » sur le continent.
La loi relative à la lutte contre les activités russes malveillantes en Afrique a été adoptée par la Chambre des représentants le 27 avril par une écrasante majorité bipartisane de 419 voix contre 9 ; il est dorénavant certain qu’elle sera adoptée par le Sénat et bientôt en application. Une fois entrée en vigueur, cette loi exigera du Secrétaire d’État américain « d’élaborer et de soumettre au Congrès une stratégie et un plan de mise en œuvre décrivant les efforts entrepris par les États-Unis pour lutter contre l’influence et les activités malveillantes de la Fédération de Russie et de ses supplétifs en Afrique ».
Ce projet de loi définit les activités malveillantes au sens large comme étant celles qui « mettent à mal les objectifs et les intérêts des États-Unis ». Le Secrétaire d’État devra surveiller les actions du gouvernement russe et de ses « supplétifs », notamment les sociétés militaires privées — Wagner étant clairement dans le collimateur — et les oligarques.
Le gouvernement devrait contrer efficacement ces activités, notamment par le biais des programmes américains d’aide extérieure. Il devrait « demander des comptes à la Fédération de Russie et aux gouvernements africains, ainsi qu’à leurs représentants, qui sont complices de ces influences et activités malveillantes ».
Le projet de loi a été présenté au Congrès le 31 mars et constitue clairement une réponse à l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février dernier. Plusieurs autres lois punitives contre la Russie – dont une exhortant l’administration américaine à rassembler des preuves de crimes de guerre commis par la Russie en Ukraine – ont été présentées à peu près au même moment.
Les États-Unis diront que le projet de loi vise l’Afrique parce que c’est là que la Russie est la plus active
Le démocrate new-yorkais Gregory Meeks, président de la Commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants, a déclaré que ce projet de loi était conçu de façon à contrecarrer les efforts du président russe Vladimir Poutine visant à « piller, manipuler et exploiter les ressources dans certaines parties de l’Afrique dans le but d’échapper aux sanctions et de mettre à mal les intérêts des États-Unis », et à financer sa guerre en Ukraine.
Certains gouvernements africains soupçonnent qu’il ne s’agit pas uniquement de protéger les « États fragiles d’Afrique », comme le dit M. Meeks, mais qu’autre chose se joue. « Pourquoi cibler l’Afrique ? » a demandé un haut responsable d’un gouvernement africain. « Ils sont manifestement mécontents de la façon dont tant de pays africains ont voté à l’Assemblée générale et de leur position relativement non alignée. »
Il est vrai que, par rapport à d’autres régions, un plus grand nombre d’États africains n’ont pas soutenu la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies (ONU) du 3 mars, qui condamne « l’agression » de la Russie contre l’Ukraine. Vingt-sept gouvernements africains se sont prononcés en faveur de la résolution. Un seul (l’Érythrée) a voté contre, tandis que 17 se sont abstenus et que les autres étaient absents.
Le projet de loi couvre-t-il tous les investissements russes ou seulement ceux qui servent les ambitions de Poutine ?
Ce que les auteurs semblent avoir à l’esprit, ce sont par exemple les prétendus efforts de supplétifs présumés du gouvernement russe pour corrompre des candidats lors des dernières élections à Madagascar, ainsi que les activités en Afrique de l’Association pour la recherche libre et la coopération internationale (AFRIC). Cette organisation russe d’observation des élections, qui affiche ostensiblement son indépendance, semble en fait être dirigée par Evgueni Prigojine, connu pour être un des lieutenants de Poutine et qui serait aux manettes de la société Wagner.
Les agences de renseignement occidentales, entre autres, pensent qu’à travers Wagner et l’AFRIC c’est le gouvernement de Poutine qui agit par procuration, et que leur mission est de contrecarrer les activités occidentales, notamment en Afrique. Ces agences affirment que la fonction réelle de l’AFRIC est de contrer la surveillance des élections par les observateurs occidentaux et locaux, donnant ainsi du crédit à des organisations comme l’Union nationale africaine-Front patriotique (ZANU-PF) du Zimbabwe. L’AFRIC a effectivement émis un jugement positif sur les dernières élections au Zimbabwe.
Certains gouvernements africains soupçonnent qu’il ne s’agit pas uniquement de protéger les « États fragiles d’Afrique », comme le dit M. Meeks, mais qu’autre chose se joue. « Pourquoi cibler l’Afrique ? » a demandé un haut responsable d’un gouvernement africain. « Ils sont manifestement mécontents de la façon dont tant de pays africains ont voté à l’Assemblée générale et de leur position relativement non alignée. »
Mais qu’en est-il de l’intention du projet de loi de contrecarrer les efforts de la Russie pour « investir, s’engager ou contrôler de quelque autre manière des secteurs stratégiques en Afrique, tels que l’exploitation minière et d’autres formes d’extraction et d’exploitation des ressources naturelles, les bases militaires et autres accords de coopération en matière de sécurité, et les technologies de l’information et des communications » ? Cela signifie-t-il que tout pays africain dans lequel une entreprise russe investit tombera sous le coup de cette législation ? Ou la loi ne s’appliquera-t-elle qu’aux investissements qui favorisent les ambitions supposément néfastes de Poutine ?
L’invasion de l’Ukraine par la Russie semble avoir déclenché une nouvelle psychose de guerre froide
Deux cas d’étude potentiellement controversés en Afrique du Sud viennent à l’esprit. Le premier est la lucrative mine United Manganese of Kalahari en Afrique du Sud, détenue par Viktor Vekselberg, l’oligarque partenaire de Poutine, mais dont 22 % appartiennent à la société du Congrès national africain (ANC) au pouvoir, la Chancellor House.
Cet investissement douteux permet probablement à l’ANC, à court d’argent, de rester à flot financièrement. Et l’on suppose que c’est la véritable raison de la position controversée de « non-alignement » du gouvernement sur la guerre en Ukraine.
Un autre cas serait la coentreprise entre African Rainbow Minerals – détenue par le beau-frère du président sud-africain Cyril Ramaphosa, Patrice Motsepe – et la société russe Norilsk Nickel dans la mine de nickel potentiellement lucrative de Nkomati.
On ne sait pas encore de quel œil les États-Unis verront ces investissements. Toutefois, ce qui se dessine, ce n’est pas tant une image des États-Unis ciblant l’Afrique parce qu’elle a voté dans le mauvais sens à l’ONU. Il semble plutôt que l’invasion de l’Ukraine par la Russie ait déclenché une nouvelle psychose de guerre froide – et que toutes les autres considérations seront désormais subordonnées aux impératifs de ce conflit.
Michael McCaul, républicain expérimenté au sein de la Commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants, qui est l’un des co-auteurs du projet de loi, l’a laissé entendre le 4 mai. Il a déclaré lors d’une réunion de la Commission au Congrès qui examinait plusieurs projets de loi anti-Russie : « Nous devons obliger chaque État à choisir entre faire des affaires avec le monde libre ou avec un criminel de guerre. »
Le danger pour l’Afrique, alors tout comme aujourd’hui, est de se retrouver prise entre deux feux.
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