Auteur : Christian Deblock
Organisation affiliée : Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation (CEIM)
Type de publication : Note de recherche
Date de publication : 1er décembre 2021
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Introduction
L’African Growth Opportunities Act (AGOA), ou en français, la Loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique, est une loi américaine votée par le Congrès et promulguée en mai 2000 à l’initiative du président Clinton. La loi a été renouvelée par le président Bush en mai 2004, puis par le président Obama en juillet 2015, et ce jusqu’en 2025. L’AGOA accorde des préférences commerciales particulières aux pays d’Afrique subsaharienne éligibles, soit en 2021, 39 pays sur 48. L’AGOA vise, entre autres, à encourager le commerce, l’investissement et la croissance économique, et ce tout en soutenant une approche concertée et intégrée en matière de commerce et de développement complémentaire à la mise en œuvre de réformes politiques, sociales et économiques. Les États-Unis ont toujours considéré l’AGOA depuis son adoption comme la pierre angulaire de leurs relations diplomatiques et commerciales avec l’Afrique subsaharienne. Ils l’ont également envisagé comme la première étape d’un processus devant mener à un partenariat commercial global.
Les relations commerciales entre les États Unis et l’Afrique subsaharienne
Avant l’AGOA, les relations préférentielles entre les États-Unis et l’Afrique subsaharienne étaient régies par le cadre du Système généralisé des préférences (SGP) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Adopté sous la présidence de Bill Clinton, trois facteurs en ont été à l’origine. D’abord, la volonté américaine de changer son approche vis-à-vis de l’Afrique subsaharienne et de contribuer à son redressement économique, nombre de pays étant très endettés, pour ne pas dire étouffés par les dettes. Ensuite, la volonté de renforcer par le commerce les processus de réforme en cours en vue de renforcer les institutions démocratiques et de marché. Et enfin, l’idée d’intégrer plus largement les pays africains dans l’économie mondiale et de contribuer ainsi à l’émergence d’un nouvel ordre économique international.
Les objectifs de l’AGOA étaient alors très ambitieux. Au fil des années, celui-ci a perdu beaucoup de ses ambitions initiales pour devenir un programme préférentiel qui vient s’ajouter au SGP. Plus de 4650 produits étaient à l’époque de sa mise en place couverts par le SGP et pouvaient bénéficier d’une franchise d’entrée aux États-Unis. L’AGOA est venu élargir ce cadre en y ajoutant 1835 produits supplémentaires. Le rapport de 2020 fait état de plus 5000 produits couverts par le SGP et de plus de 1800 produits supplémentaires au titre de l’AGOA.
Les marchandises
Malgré une certaine diversification dans les premières années du programme, le commerce préférentiel reste, tout comme le commerce en général, concentré sur quelques produits, mais aussi sur quelques pays. Ainsi, les produits pétroliers ont représenté les deux tiers des importations préférentielles en provenance de l’Afrique subsaharienne en 2018 et 55 % en 2019. Les produits textiles ont, quant à eux, représenté 10 % des importations en 2018 et 16,7 % en 2019. Les études montrent que ce sont les produits textiles qui ont le plus profité du programme mais aussi que les grandes entreprises accaparent l’essentiel de l’avantage préférentiel au détriment des petits exportateurs et que les principaux gagnants sont les investisseurs asiatiques et les importateurs américains. Ajoutons que les cinq pays exportateurs les plus importants dans le cadre de l’AGOA et du SGP étaient dans l’ordre, en 2020 : l’Afrique du Sud (45,7 %), le Nigéria (12 %), le Kenya (10,5 %), le Lesotho (6,1 %), l’Éthiopie (5,9 %) et Madagascar (4,8 %). Les chiffres peuvent varier évidemment d’une année à l’autre, mais constatons que l’Afrique du Sud concentre à elle seule près de la moitié du commerce préférentiel, et les cinq plus grands exportations, pas moins de 80 % du total.
Les services
Nous avons aussi quelques données sur le commerce des services et les investissements. Il n’est guère possible de distinguer l’Afrique subsaharienne de l’Afrique dans son ensemble. Les exportations de services commerciaux vers l’Afrique ont représenté, en 2019, 1,7 % des exportations totales des États-Unis et 1,5 % de leurs importations. Les exportations de services commerciaux vers l’Afrique du Sud représentaient 17,8 % du total en 2019 et celles vers le Nigéria, 14,4 %. Quant aux importations américaines en provenance de ces deux pays, elles ont représenté, respectivement, 20,9 et 5,0 % du total.
Les investissements
On relèvera à propos des investissements directs, que l’Afrique dans son ensemble et l’Afrique subsaharienne représentaient, en 2020, à peine 0,8 et 0,6 %, respectivement, de tous les investissements américains dans le monde. Pour l’Afrique subsaharienne, ils sont concentrés pour plus de 71 % dans trois pays : l’Afrique du Sud (24,5 %), Maurice (23,6 %) et le Nigéria (19,3 %). Les données relatives à l’emploi dans les filiales à contrôle majoritaire nous indiquent que l’Afrique concentrait, en 2019, à peine 2 % des emplois et l’Afrique subsaharienne 1,4 %. La concentration des emplois est encore plus forte, l’Afrique du Sud concentrant à elle seule 66,7 % des emplois, loin devant le Nigéria (5,3 %).
Prosper Africa
La législation de l’AGOA prévoit la tenue annuelle d’un Forum de coopération économique et commerciale réunissant les deux parties. Y sont conviés non seulement des représentants gouvernementaux et des officiels de haut niveau mais également des représentants des milieux d’affaires et de la société civile. Des stratégies nationales ont également été élaborées dans un certain nombre de pays pour les aider à profiter davantage des préférences commerciales. À l’évidence, cela n’a pas permis de stimuler ni de diversifier les échanges transatlantiques. C’est l’autre partie du problème : à l’apathie américaine vient s’ajouter le fait que l’AGOA a été largement sous-utilisé. C’est avec le double objectif de relancer les échanges et de contrer la Chine, que l’Administration Trump a lancé, en juin 2019, un nouveau programme, Prosper Africa.
Malgré une certaine diversification dans les premières années du programme, le commerce préférentiel reste, tout comme le commerce en général, concentré sur quelques produits, mais aussi sur quelques pays. Ainsi, les produits pétroliers ont représenté les deux tiers des importations préférentielles en provenance de l’Afrique subsaharienne en 2018 et 55 % en 2019
Placé sous l’égide de l’USAID et doté de fonds importants en provenance, ce programme vient renforcer l’AGOA et n’en mobilise pas moins de 17 agences américaines, dont au premier chef le Bureau du Représentant au commerce et les agences financières et commerciales comme l’EXIM et la DFC. Il vient aussi créer une plateforme pour associer l’USAID au secteur privé et promouvoir le commerce et les investissements bilatéraux. Concernant plus spécifiquement les investissements, une des lignes de force de la coopération Chine-Afrique, un programme particulier appelé Africa Trade and Investment (ATI) Program a été créé pour y faire contrepoids et soutenir la mise en place de réseaux régionaux (Trade and Investment Hubs) en collaboration étroite avec le secteur privé. Il s’applique à toute l’Afrique, et ce pour cinq ans. Loin d’abandonner ce programme, le président Biden a annoncé, le 28 juillet 2021, de le poursuivre et d’en élargir le mandat pour lui donner de nouvelles priorités, notamment celles de soutenir la vaccination contre la COVID-19, de faire des États-Unis un partenaire dans les processus d’intégration régionale et de soutenir les initiatives conjointes dans certains secteurs comme l’énergie, la santé et la lutte contre les pandémies, les technologies numériques ou encore la lutte contre les changements climatiques.
L’administration Biden et l’AGOA
Malgré les discours et les initiatives dont nous venons de rendre compte, on ne peut pas dire pour autant que les États-Unis se soient dotés d’une véritable stratégie pour l’Afrique38. Obnubilée par la présence de la Chine (et de la Russie), la politique récente a relevé d’un jeu à somme nulle, sans grande considération pour les pays africains. L’administration Biden a témoigné d’entrée de jeu de sa volonté de rétablir les liens et d’avoir un partenariat plus étroit avec le continent africain39. Son engagement et son soutien à la lutte contre la COVID-19 et autres pandémies de même que les nombreuses rencontres tout au long de l’année 2021 entre les représentants officiels américains et leurs homologues africains sont là pour confirmer le « retour » des États-Unis en Afrique. L’AGOA demeure, malgré les résultats mitigés et les critiques, l’une des pièces centrales de ce dispositif. Mais jusqu’à quand ?
Perspectives
Il ne faut pas se cacher que l’Afrique ne figure pas au plus haut des priorités de la diplomatie américaine. Les critiques nombreuses de l’administration Trump, contre les programmes d’aide au développement jugés aussi inefficaces que propices à la corruption, voire contre certains dirigeants africains n’ont guère aidé non plus. C’est cette relation que l’administration Biden veut relancer et développer sur la base d’un nouveau partenariat qui reste encore à définir. Comme le souligne un rapport récent, la démarche américaine doit prendre de la hauteur et ne pas se laisser enfermer dans une politique d’endiguement des initiatives chinoises.
C’est avec le double objectif de relancer les échanges et de contrer la Chine, que l’Administration Trump a lancé, en juin 2019, un nouveau programme, Prosper Africa
À cet égard, les partenariats préférentiels de l’Union européenne, plus sensibles aux réalités africaines que l’AGOA, présentent de meilleurs résultats. L’administration Biden pourrait marcher dans les pas de l’UE et reprendre le modèle des Accords de partenariat économique (APE) qui combinent libre-échange et coopération. Cela dit, la question de l’AGOA comme facteur de développement reste ouverte. Une étude récente de la Banque mondiale le montre : les programmes préférentiels comme l’AGOA sont loin d’être une panacée.
Ajoutons que le commerce de type AGOA relève d’une approche ricardienne, certes non réciproque, alors que le commerce mondial est de plus en plus lié aux chaînes de valeur et que l’une des priorités des pays d’Afrique est de s’y intégrer. Les États-Unis se sont engagés à soutenir la mise en œuvre de la ZLECAf et à développer des partenariats économiques avec les pays concernés. La ZLECAf vient changer la dynamique de la coopération bilatérale. D’une part, la coopération devrait être définie en fonction des besoins et du développement des capacités et non sur la base de critères de préférence. Et d’autre part, sa mise en place pourrait faciliter la négociation d’accords commerciaux, préférablement régionaux. Deux changements que l’administration Biden paraît voir d’un bon œil.
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