La place des femmes dans la société sénégalaise « La femme occupe une place très importante dans la société sénégalaise et nous ne pouvons pas évoquer la place de la femme sénégalaise sans évoquer l’histoire. Historiquement, il n’y avait pas de grandes décisions prises ou de grands événements organisés sans que l’on consulte les femmes. Nous avons connu des femmes très engagées occupant des places importantes dans la vie publique. Toutefois, avec l’avènement de la colonisation, la place de la femme a été plus ou moins perdue dans nos sociétés traditionnelles. L’engagement des femmes a été nécessaire pour la prise en compte de leurs préoccupations au sein de la société sénégalaise. À titre personnel, si j’ai pu aller à l’école, faire des études universitaires, occuper un poste à responsabilité, c’est grâce au combat des femmes qui ont lutté pour nos droits. Ces femmes ont porté le combat sur plusieurs volets, comme l’éducation, la santé, l’accès des femmes aux ressources, la justice, etc. Toutefois, malgré les acquis obtenus, la place de la femme est encore vulnérable dans la société et elle est loin des centres de décision. » La présence de la question des droits des femmes dans le débat public « La question des droits des femmes dans l’espace public n’est pas prise en compte comme il se doit. Cependant, de plus en plus, nous entendons des voix s’élever sur toutes les questions qui concernent les femmes : le fait d’en parler sur l’espace public est déjà une avancée parce qu’il y a certaines questions très sensibles au Sénégal. De plus en plus, il y a des organisations de femmes et des activistes qui s’engagent, pour traiter de ces questions qui assaillent les femmes. Et de l’autre côté, ce sont ces événements ou incidents tragiques concernant les femmes qui impulsent le dialogue sur les droits des femmes.
Toutefois, malgré les acquis obtenus, la place de la femme est encore vulnérable dans la société et elle est loin des centres de décision
Une analyse quantitative et qualitative est nécessaire pour interroger ce que nous voyons sur les contenus médiatiques pour illustrer la faiblesse de la prise en compte de la question des droits des femmes dans l’espace public. Les situations qui émeuvent le public, notamment des viols ou des cas de femmes battues existent mais ne sont pas nécessairement relayées. Des incidents peuvent être publiés à la Une du journal mais sont souvent relégués dans la rubrique des faits divers, ce qui prouve que cette question n’est pas vraiment prise en compte comme elle le devrait sur le terrain. » Le rôle des médias dans la perception de la place des femmes « Les médias occupent une place très importante, ils peuvent construire ou détruire des sociétés. La raison pour laquelle nous appelons les médias le quatrième pouvoir est qu’ils ont bien une influence importante. Les médias devraient consacrer plus de contenus positifs liés à la promotion des femmes, à travers des dossiers, reportages, séries, téléfilms, etc. Il faut promouvoir une dynamique de communication positive. Les femmes évoluant dans le milieu des médias devraient travailler à transmettre une perception positive de la femme. Parfois, lorsqu’on parle des questions qui concernent les femmes, nous invitons des hommes et non des femmes. Cela est dû au fait que certaines femmes refusent d’aller débattre sur les plateaux télévisés. Pourtant, si nous refusons de parler de nos questions nous-mêmes, d’autres personnes vont le faire à notre place d’une manière moins satisfaisante.
Une analyse quantitative et qualitative est nécessaire pour interroger ce que nous voyons sur les contenus médiatiques pour illustrer la faiblesse de la prise en compte de la question des droits des femmes dans l’espace public
Les médias devraient arrêter de réduire l’image de la femme à un objet, ou de n’inviter que des femmes dessinées d’une certaine manière, ou des femmes à la peau claire. En tant que femmes, nous devons agir pour faire évoluer cette perception et je pense que la solution serait de travailler avec les directeurs des médias et les journalistes pour valoriser l’image de la femme dans les médias. La plupart des émissions qui concernent les femmes portent sur comment s’occuper de son mari, comment faire la cuisine, comment vivre avec une co-épouse dans la maison, etc. Il y a d’autres thématiques beaucoup plus importantes qu’il faut favoriser. Au Sénégal et dans d’autres pays, nous voyons rarement une femme être valorisée dans les contenus audiovisuels. » Aller vers des contenus innovants pour donner une autre image de la femme « L’évolution des contenus des médias passe nécessairement par la production et la diffusion de contenus innovants. Ce sont les femmes qui doivent aller vers les médias avec un discours de rupture, qui repositionne la femme dans l’espace public de manière plus positive. Des initiatives comme la création de réseaux de journalistes sur les questions de genre représentent de bonnes initiatives pour changer l’image de la femme. Il faudrait aussi former les journalistes et les directeurs de rédaction. Les patrons de presse doivent donc être associés à la lutte pour la revalorisation de l’image de la femme dans les médias. » Mettre à contribution les réseaux sociaux pour mieux sensibiliser « Les réseaux sociaux sont de puissants moyens de transmission d’informations: de nos jours, les médias sociaux sont devenus une partie de l’espace public. Les femmes doivent donc occuper cet espace public et produire du contenu en faveur du changement. Par extension, les réseaux sociaux doivent être utilisés dans la logique d’un puissant relai d’influence. Nous devons utiliser les réseaux sociaux pour influencer ce qui se passe dans la sphère publique non-virtuelle.
Les patrons de presse doivent donc être associés à la lutte pour la revalorisation de l’image de la femme dans les médias
Il y a des exemples de groupes de femmes qui ont mené des mobilisations sur les réseaux sociaux. Ces différents groupes de femmes peuvent porter certains combats ou plaidoyers ensembles car ils sont de plus en plus nombreux. Les organisations de ce type peuvent faire évoluer le traitement de l’information, mais également l’avancement des droits des femmes et des filles en général. Récemment, le débat de l’avortement médicalisé a été pris d’assault par les réseaux sociaux : beaucoup de messages, de tweets, de contenus Facebook ont été partagés. C’est une manière d’ouvrir le débat et de s’entretenir sur la question puisque chacun est libre de donner son opinion. » Recommandations « Le plus grand défi chez les femmes serait de s’imposer dans l’espace public et dans les débats. Les personnes qui occupent l’espace public exposent leurs opinions sur les femmes, parfois de manière dégradante. Par exemple, la place que les hommes de religion occupent au Sénégal et dans la vie publique est importante. Les femmes devraient pouvoir débattre des sujets qui concernent la religion également. La première recommandation que je donnerais aux femmes, à commencer par moi-même, c’est vraiment d’occuper l’espace public et d’oser les médias. Je pense que la formation également est importante. Très souvent, nous n’osons pas aller dans ces débats parce que nous pensons ne pas maitriser les informations. De même, se former au media-training, c’est-à-dire l’usage d’une communication adaptée aux médias, est primordial.
La première recommandation que je donnerais aux femmes, à commencer par moi-même, c’est vraiment d’occuper l’espace public et d’oser les médias
Toutes ces raisons font que les femmes n’osent pas toujours affronter les médias pour donner leur opinion. De plus, au Sénégal, il y a un risque d’être ostracisé lorsqu’une personne présente un avis différent. La peur explique donc le peu de présence de femmes dans les médias. »
Cécile Diatta Senghor a été formée à l’Université Gaston Berger de Saint, dont elle fait partie de la troisième promotion, mais aussi à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar.
Elle a d’abord travaillé dans le secteur de l’éducation et de la formation pour ensuite embrasser une carrière à l’internationale, au sein de l’Opération des Nations Unies pour le maintien de la paix en Côte d’Ivoire pendant 8 ans, respectivement, en tant que conseillère électorale, chargée de l’information publique et du plaidoyer et chargée du suivi des médias.
Après cette expérience, elle revient au Sénégal pour travailler avec l’ONG Femmes Africa Solidarité en tant que chargée des médias, avant de rejoindre le Centre d’étude et de coopération internationale comme spécialiste en droits des femmes et plaidoyer pour le projet Voix et Leadership des femmes au Sénégal.