Aunel Loumba
Difficile de rester résolument optimiste au regard des enjeux économiques et politiques majeurs auxquels devra faire face le continent africain. L’année 2020 a mis un coup d’arrêt aux perspectives, aux plans et autres projections de ces dernières années. Et pourtant, ces défis sont autant d’opportunités de poser de nouvelles fondations sur lesquelles les pays africains doivent se réinventer.
Éviter la banqueroute et supporter le poids de la dette collectivement
La crise sanitaire provoque déjà la première récession en plus de vingt-cinq ans en Afrique subsaharienne, alors que la dette extérieure totale est estimée à 417 milliards de dollars. Pour l’Afrique subsaharienne, la Banque mondiale prévoit dans son dernier rapport une hausse de son PIB de 2,7% en 2021, après une chute de 3,7% en 2020, si l’assouplissement progressif des restrictions sanitaires se poursuit et, surtout, si la région continue à maitriser la propagation du virus.
Cette reprise sera en revanche plus difficile pour les pays exportateurs de métaux ou de pétrole comme le Nigéria. Selon les projections basées sur l’hypothèse d’une amélioration de la situation pendant une période de deux ans, en 2022, la production économique sera encore inférieure de 8 % au niveau indiqué par les estimations établies avant la pandémie, souligne la Banque mondiale. Par ailleurs, l’initiative de suspension du service de la dette (DSSI) qui comprend 40 pays africains les moins avancés a reporté le remboursement au plus tôt le 30 juin 2021 sans réduire sa valeur nette, cette dernière s’élève à 5,4 milliards de dollars en 2020.
Cette somme ne représente pourtant que moins de la moitié des 13,6 milliards de dollars d’intérêts dus par les États d’Afrique subsaharienne aux créanciers bilatéraux. Alors que les créanciers privés ne font pas partie de ce plan, on estime à 20 milliards de dollars des obligations privées venant des créanciers commerciaux chinois ou des remboursements d’euro-obligations. Pour les pays africains, le défi sera de taille : maintenir les politiques budgétaires et d’endettement adaptées.
Maitriser les variations du prix du pétrole
La chute du prix du pétrole et de nombreuses matières premières ont provoqué des réactions en chaine. La signature d’un accord de réduction de la production entre les pays de l’OPEP+ a permis d’amortir cette chute. Les pays exportateurs de pétrole et ceux tributaires du tourisme sont particulièrement touchés par la suppression des déplacements internationaux et des flux touristiques.
En valeur nominale, les recettes budgétaires chuteront d’environ 70 milliards de dollars par rapport aux projections d’avant la crise datant d’octobre 2019. Dans les pays exportateurs de pétrole, le déficit moyen devrait augmenter de quelque 2,8 points de pourcentage, pour s’établir à 6,2 % du PIB, tandis que dans les pays importateurs de pétrole, il devrait se creuser de 3,3 points de pourcentage, à 8,3 % du PIB.
Réussir la mise en œuvre de la ZLECAF
Les effets économiques de la pandémie sur les économies africaines nous rappellent pourquoi le succès de la ZLECAF, le plus grand marché unique du monde est stratégique pour l’avenir de l’Afrique. Sa mise en application le 1er janvier 2021 accélérera le commerce intra-africain, s’élevant actuellement à 16%, et renforcera la position commerciale du continent sur le marché mondial pour atteindre un volume des échanges interafricains de 60% d’ici 2034. Si et seulement si elle s’accompagne de mesures facilitant les échanges, notamment pour réduire les formalités administratives, simplifier les procédures douanières et favoriser l’intégration des entreprises dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, les revenus atteindraient alors 292 milliards de dollars d’après Afreximbank.
Dans les pays exportateurs de pétrole, le déficit moyen devrait augmenter de quelque 2,8 points de pourcentage, pour s’établir à 6,2 % du PIB, tandis que dans les pays importateurs de pétrole, il devrait se creuser de 3,3 points de pourcentage, à 8,3 % du PIB
En effet, l’impact sur le PIB du développement des échanges commerciaux peut même être majoré d’un tiers si les réformes structurelles sont efficaces. C’est pourquoi les pays en développement, et ceux dont l’économie repose par exemple sur l’agriculture comme au Ghana, peuvent aussi tirer des avantages considérables de l’intégration commerciale s’ils mettent en œuvre des réformes structurelles appropriées.
Tirer son épingle du jeu lors du sommet UE et UA
Il devait se tenir les 28 et 29 octobre 2020, mais la pandémie en a décidé autrement. Le sommet devrait se tenir en présentiel en 2021. Les négociations sur la stratégie Afrique-UE ont lieu à un moment où l’UA, dont le president Félix Tshisekedi sera à la tête en 2021, prend des mesures concernant plusieurs initiatives importantes pour renforcer l’interdépendance des pays du continent et sortir de la dépendance extérieure. Le lancement de la ZLECAF, le renforcement de l’initiative « Faire taire les armes », et les réformes de la gouvernance de l’UA notamment, concourent à faire des communautés économiques régionales, les premiers intervenants dans la gestion des crises locales.
Seule une stratégie intercontinentale plus globale intégrant l’UA, les communautés économiques régionales, et les États membres permettra de redéfinir le partenariat Afrique-UE, vers plus d’égalité.
Assainir la vie politique
Quatorze élections présidentielles ou législatives sont prévues pour 2021. Les élections de 2021 continueront, sans doute, de montrer le manque de renouvellement des dirigeants politiques. Le continent le plus jeune reste dirigé par les mêmes hommes politiques d’avant. Et même lorsque l’espoir de changement apparait, l’exercice du pouvoir semble être régi par des mécaniques de violence difficilement déboulonnables.
Seule une stratégie intercontinentale plus globale intégrant l’UA, les communautés économiques régionales, et les États membres permettra de redéfinir le partenariat Afrique-UE, vers plus d’égalité
Preuve en est la nomination pleine d’espoir du Premier Ministre éthiopien Abiy Ahmed, lauréat du prix Nobel, aujourd’hui engagé dans plusieurs actions militaires dans les régions du Tigré, de l’Oromiya et dans l’État du Benishangul Gumuz, réveillant ainsi un conflit régional impliquant l’Érythrée. La résolution des conflits persistants reste une priorité absolue pour la sécurité sur le continent en 2021, que ce soit dans la zone sahélienne, en Centrafrique, ou encore en République Démocratique du Congo.
Renouer des liens avec les États-Unis
Joe Biden, président américain qui prendra ses fonctions en janvier 2021, bénéficie à l’avance de l’expertise des diplomates Nicolas Burns et Susan Rice, l’ancien chef des affaires africaines sous Bill Clinton, et semble vouloir renouer avec l’Afrique. Il pourra compter sur un réseau diplomatique d’environ 50 ambassades et sur une présence militaire avec environ 7 000 soldats déployés sur 34 sites.
Preuve en est la nomination pleine d’espoir du Premier Ministre éthiopien Abiy Ahmed, lauréat du prix Nobel, aujourd’hui engagé dans plusieurs actions militaires dans les régions du Tigré, de l’Oromiya et dans l’État du Benishangul Gumuz, réveillant ainsi un conflit régional impliquant l’Érythrée
Son plan Biden-Harris pour l’Afrique comprend déjà quelques lignes fortes : le soutien à l’Union africaine en permettant un système de gouvernance efficace et inclusif ; la convocation d’un sommet des chefs d’États africains ; l’annulation des interdictions et restrictions de voyage qui affectent les citoyens de nombreux pays, y compris les citoyens nigérians, soudanais et somaliens ; le soutien à l’extension de la loi sur la croissance et les opportunités en Afrique (AGOA) au-delà de 2025. Les tensions commerciales avec la Chine devraient se réduire sous l’administration Biden, ce qui pourrait être bénéfique pour les marchés africains.
Les chantiers sont nombreux pour cette nouvelle année, mais la pandémie pourrait permettre de redistribuer les cartes des relations internationales. Les grandes puissances ont été frappées par la propagation du virus alors que les instances panafricaines, et c’est assez exceptionnel pour le souligner, ont été proactives et solidaires face à l’ampleur du désastre annoncé. Des solutions locales et régionales sont de plus en plus recherchées, rendant les négociations avec les pays hors du continent moins déséquilibrées. L’année 2021 pourrait donc être le début d’une nouvelle ère pour le continent, mais les enseignements tirés de 2020 nous rappellent que rien n’est jamais inscrit dans le marbre.
Crédit photo : Afrique.le360
Aunel Loumba est consultant chez 35°Nord, une agence de conseil spécialisée sur l’Afrique.