Évolution des mécanismes d’accompagnement à l’entreprenariat féminin « Il y a eu beaucoup de mécanismes depuis les indépendances. Le Parti socialiste a, dans sa politique d’accompagnement de développement de la femme sénégalaise, mis en place ce qu’on appelait les groupes des groupements féminins et qui existent jusqu’à présent d’ailleurs. C’était une manière d’impliquer plus les femmes dans la vie économique de tous les jours, en mettant en place tout un bras financier pour les accompagner dans tout ce qui est activités génératrices de revenus. Lorsque nous sommes arrivés au libéralisme avec maître Abdoulaye Wade, nous avons vu d’autres mécanismes prendre forme. D’autres mécanismes avec tout le système de microfinance qui, on peut dire, est le lit naturel de la femme entrepreneur, de la femme d’affaires. Ensuite, de plus en plus maintenant, vous voyez dans beaucoup de domaines des femmes qui créent carrément leur entreprise, dirigent, créent des emplois et de la richesse. Néanmoins, je mettrais un bémol par rapport à tout cela. Si aujourd’hui, et ce ne sont pas mes chiffres mais ceux de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie, on dit que nous sommes dans une économie constituée d’un peu plus de 98 % de petites et moyennes entreprises et un peu plus de 80 % de ces entreprises concernent le secteur informel et dans ce secteur informel, il y a 70 % des avoirs qui appartiennent aux femmes, cela montre l’importance et l’implication des femmes dans la création de richesse et dans notre économie, qui est une économie informelle. Maintenant, l’autre pendant, c’est de dire que dans la création, en termes d’entreprises formelles, 38 % seulement concernent les femmes. Nous sommes dans une économie constitué d’un peu plus de 98 % de petites et moyennes entreprises et un peu plus de 80 % de ces entreprises concernent le secteur informel et dans ce secteur informel, il y a 70 % des avoirs qui appartiennent aux femmes, cela montre l’importance et l’implication des femmes dans la création de richesse et dans notre économie Il y a quand même un aspect qui est intéressant à voir là-dedans. On voit qu’elles sont de plus en plus instruites. Aujourd’hui, vous allez trouver des femmes qui, au sortir des universités, créent leur entreprise ou, après avoir fait leur humanité à occuper de hautes responsabilités, vont maintenant vers la création d’entreprises ou d’autres qui, après une vie active en tant qu’employée, créent aussi leur entreprise. J’aime à dire en tant que présidente de l’Union des femmes chefs d’entreprise, ce serait bien qu’on essaie de voir à travers les différents programmes mis en place par l’État, combien d’entreprises dirigées par des femmes ont été créées, dans quels secteurs elles l’ont été et combien d’emplois elles ont créés. C’est quand même une chose que nous demandons depuis ces dernières années parce que énormément d’argent est injecté pour accompagner les femmes à la création d’activités génératrices de revenus. Mais à ce jour, on ne voit pas les résultats escomptés par rapport à ces politiques mises en place. » Femmes et agriculture : entre la problématique du foncier et l’accès limité à l’information « Si je prends la plus grande masse de femmes qui créent des entreprises, surtout dans l’agriculture, ce sont de petites unités. En général, c’est de l’agriculture familiale où dans cette agriculture familiale vous allez voir que la femme a 0,5 hectares. Mais, on se rend compte que c’est cette agriculture que font ces femmes qui, en fait, nourrit nos États. Donc, ce serait intéressant de nous arrêter pour se demander pourquoi ces femmes n’ont pas quitté l’agriculture vivrière pour aller vers une agriculture de rente qui ferait d’elles de réelles entreprises agricoles. Et pour cela, c’est tout un accompagnement. Le premier accompagnement, c’est l’accès au foncier, l’accès à la terre. Jusqu’à présent, culturellement, on se rend compte que dans beaucoup d’autres contrées, la terre n’appartient pas à la femme. Elle n’appartient pas à la femme pas parce que il n’y a pas droits, l’accès aux ressources pour les femmes fait partie des droits humains. Donc, en tant que femmes, elles devraient pouvoir accéder à toutes les ressources qui sont disponibles là où elle est, même parfois même au-delà. Mais il se trouve que culturellement, il y a dans certaines sociétés, on va vous dire que la femme n’hérite pas la terre, la terre appartient au mari, au fils, au frère ou au père. Cela va jusqu’au point où même lorsqu’on distribue la terre, en général, les femmes sont absentes des conseils des collectivités locales pour pouvoir accéder à ces terres. Et de plus en plus d’ailleurs, nous demandons aux femmes d’écrire à ces collectivités pour demander à posséder des terres. Mais puisqu’elles ne sont pas dans les instances de décision, la terre qu’on leur attribue en général est très éloignée, très peu cultivable, où l’accès à l’eau est parfois très difficile. En termes de ressource, l’autre aspect extrêmement important, c’est l’accès à l’information économique dans quelque secteur qu’on puisse être. Si on n’a pas accès à la bonne information économique et à l’information économique tout court, cela est un frein dans le développement de notre activité L’autre aspect de cet accès à la terre, c’est que nous n’avons pas encore une politique foncière qui fait que lorsqu’on a une terre, on peut l’amener auprès d’une banque et qu’elle serve de garantie. Donc, c’est aussi un handicap pour cette gente féminine. Il y a d’autres contraintes qui commencent à être levées, comme des assurances agricoles qui font qu’en période de spéculation, quand il y a une pandémie ou quand il y a les criquets pèlerins, il y a un certain remboursement de l’investissement, etc. Mais ce sont des procédures ou outils dont les femmes ne s’approprient pas. Parce que parfois, elles ne le savent pas, parce que parfois, elles n’ont pas accès à l’information. En termes de ressource, l’autre aspect extrêmement important, c’est l’accès à l’information économique dans quelque secteur qu’on puisse être. Si on n’a pas accès à la bonne information économique et à l’information économique tout court, cela est un frein dans le développement de notre activité. Ce sont des informations qui sont des outils de prise de décision dont les femmes ont besoin, mais elles en ont besoin dans les langues qu’elles parlent. Cela aussi devient un autre frein. » Privilégier la création de richesse sur le long terme « Nos États sont très innovants lorsqu’ils vont chercher du financement, par exemple pour l’environnement. Alors, il faudrait que nos États pensent aussi à des financements innovants pour les femmes et pour les jeunes. Beaucoup de choses sont faites, mais à mon sens, ce n’est pas encore pris par le bon bout. Et ce que je déplore personnellement, c’est que beaucoup de nos femmes sont financées sans qu’elles n’aient demandé un financement. Par exemple, si je prends l’épisode d’un directeur du Fonds de la promotion de l’entreprenariat féminin, qui distribuait à travers nos départements un milliard par ci, 600 millions par là pour les femmes, à ce jour, je ne vois pas quels résultats sont sortis de ces financements. C’est vrai, on peut faire ce qu’on appelle de l’activité génératrice de revenus, mais encore une fois, il faudrait qu’on ne fasse pas l’amalgame entre l’activité génératrice de revenus et l’entreprenariat féminin Quand on donne 600 millions pour tout un département composé de milliers de femmes, elles vont se retrouver chacune avec parfois une somme de 100.000 francs à 250.000 francs. Que peut-on créer avec ? C’est vrai, on peut faire ce qu’on appelle de l’activité génératrice de revenus, mais encore une fois, il faudrait qu’on ne fasse pas l’amalgame entre l’activité génératrice de revenus et l’entreprenariat féminin. L’activité génératrice de revenus, pour moi, c’est de la lutte contre la pauvreté. Et lorsqu’on parle d’économie, pour moi, il s’agit de créer de la richesse. Donc, même cette terminologie, parce que les mots ont leur sens, impacte réellement sur les politiques qui sont mises en place. Lorsqu’on donne à une femme 100.000 francs pour qu’elle lutte contre sa pauvreté, oui elle va lutter au quotidien à créer quelque chose pour manger à midi pour les enfants, c’est pour l’immédiat. Mais maintenant, mettons en place des financements conséquents pour permettre à une femme, lorsqu’elle a une idée de projet qui est porteuse, innovante, qui est rentable, qu’elle puisse émerger, créer des emplois décents et créer de la richesse sur le long terme et c’est ce qui va impacter dans nos économies et dans le produit intérieur brut. » La politisation des financements dédiés aux femmes « Cette politisation a toujours existé et d’ailleurs, je le dis très souvent à la gente féminine, on ne peut pas reprocher à un candidat à l’élection d’utiliser ce corpus électoral que sont les femmes. Maintenant, je dis très souvent à mes sœurs ; lorsque l’État dit : « nous avons regroupé les groupements féminins et nous allons financer », c’est à nous, en tant qu’individu, de pouvoir nous dire qu’est-ce que je vais créer avec ce qui m’a été donné afin que demain, je ne sois plus dans le lot de celles qui sont encore demandeurs d’aide. Et cela, ce n’est plus une question d’accès aux ressources, cela devient une attitude personnelle, un état d’esprit. Ce que je demande très souvent pour accompagner un financement, ce sont les services non financiers. Dans ces services non financiers, au-delà des outils de gestion et de comptabilité, il faut apprendre aux femmes à savoir ce qu’est une entreprise, à créer son leadership personnel, à connaître son moi et à savoir comment bien faire son tracé de vie. Cette politisation a toujours existé et d’ailleurs, je le dis très souvent à la gente féminine, on ne peut pas reprocher à un candidat à l’élection d’utiliser ce corpus électoral que sont les femmes. Maintenant, je dis très souvent à mes sœurs ; lorsque l’État dit : « nous avons regroupé les groupements féminins et nous allons financer », c’est à nous, en tant qu’individu, de pouvoir nous dire qu’est-ce que je vais créer avec ce qui m’a été donné afin que demain, je ne sois plus dans le lot de celles qui sont encore demandeurs d’aide C’est ce qui va permettre justement, lorsqu’un gouvernant arrive avec un financement, que ce financement puisse être utilisé à bon escient. Quand on vous donne cent mille francs, vous arrivez à la maison, la première des choses à faire c’est acheter du poulet et le faire cuire pour le monsieur , parce que demain, il faudrait bien qu’il vous donne la permission pour que vous puissiez sortir etc. On ne pourra jamais contrer cette politisation, c’est à nous maintenant, les femmes et aux réseaux de femmes, aux groupements de femmes de pouvoir se dire comment nous allons utiliser ce système pour justement que cela crée de la richesse, que cela crée une dynamique de nivellement par le haut. Parce qu’aujourd’hui, c’est ce qui nous manque. » La paupérisation accentuée à travers les mécanismes de microfinance « Vous allez trouver de plus en plus aujourd’hui dans le secteur dit structuré, beaucoup de femmes entrepreneurs. Mais est ce que nous avons la capacité d’être une microentreprise, de passer à une petite entreprise et de devenir une capitaine d’industrie? Ce sont ces étapes qu’on ne nous a pas appris à faire et c’est ce qui nous manque en termes d’entreprenariat féminin. L’autre aspect qu’il ne faudrait pas oublier, en termes de ressources financières, il faudrait aussi que lorsqu’une femme a un projet de milliards, qu’on finance ce projet de milliards. Qu’on ne se dise pas : « c’est une femme pourquoi elle a besoin d’un milliard pour son projet? ». Aujourd’hui, vous allez dans une structure de microcrédit, une femme dépose un projet de 15 millions, elle ne sera jamais financée à 15 millions. On lui donnera 5 millions en lui disant commencez par cela. Mais le projet, il est étudié, puis mesuré pour 15 millions, lorsque vous lui donnez 5 millions, vous ne pouvez pas demander une atteinte des objectifs définis dans ce projet. C’est ce qui est à l’origine des détournement d’objectif par rapport au financement qui est acquis. L’autre aspect sur lequel vraiment il faudrait qu’on s’attarde et qu’on réfléchisse, c’est qu’aussi il y a une multitude d’institutions de microcrédit qui font qu’aujourd’hui, les femmes se paupérisent à cause de ce système. Parce que vous venez emprunter, chez Pamécas, il faut que vous remboursiez mais votre activité n’est pas forcément rentable. Pour que vous puissiez rembourser, vous allez emprunter chez quelqu’un d’autre. Donc vous êtes dans un cercle vicieux qui va in fine nous amener à devenir plus pauvre que vous ne l’étiez au départ. Je pense que lors du dernier conseil ministériel du président de la République sur le loyer du crédit, il avait beaucoup insisté sur cela. Parce que moi, je me demande comment font les femmes lorsqu’elles prennent un crédit et paient un loyer de crédit qui tourne entre 18 et 27 %. Comment elles arrivent à être rentables? Honnêtement, je ne sais pas, quand ma banque me demande 12 % je rechigne, alors entre 18 et 27 %, je ne sais pas comment elles font. Qu’on ne s’étonne pas, justement, que cette paupérisation soit accentuée. Les femmes ont l’impression qu’elles sont dans les activités, mais en fait cela n’avance pas beaucoup. Il y a beaucoup plus de paraître qu’autre chose. »
Nicole Gakou est ingénieure en systèmes d’information, formée à Sup info Paris. Elle a également suivi une formation en audit, qualité et gestion au Centre africain d’études supérieures en gestion et fait partie de la première promotion des femmes manager de l’École nationale d’administration de Paris.
Nicole Gakou est aussi chef d’entreprise, elle co-dirige la Société africaine de travaux et la structure de Conseil Bs consulting. Elle est à la tête d’une maison d’éditions de jeunesse, les Éditions Kalaama. Elle est aussi consultante internationale.
Elle est la présidente de l’Union des femmes chefs d’entreprise du Sénégal (UFCE) depuis 2007.
L’Union des femmes chefs d’entreprise du Sénégal est une organisation professionnelle qui regroupe des femmes chefs d’entreprise de droit sénégalais évoluant dans tous les secteurs d’activités. Aujourd’hui, 46% de ces femmes sont dans la transformation agro-alimentaire (agriculture, élevage et pisciculture), 36% dans les services, et moins de 1% travaillent dans les laboratoires de l’industrie cosmétique.
Organisation à but non lucratif, non gouvernementale, apolitique et non religieuse, ses objectifs visent à :
- promouvoir le développement de l’entreprenariat féminin,
- développer un leadership féminin afin de faire émerger un patronat féminin fort,
- initier et à conduire toutes actions d’expansion des entreprises des membres,
- amener les femmes entrepreneurs ou celles souhaitant le devenir, tant en milieu rural qu’urbain, à créer, gérer et développer des entreprises selon les normes standard internationales dans les créneaux porteurs de l’économie.