La présence de la question des droits des femmes dans les médias « Nous ne parlons pas assez des droits des femmes dans les médias. A mon avis, ces sujets sont traités à l’occasion d’évènements comme la Journée internationale des droits des femmes (le 8 mars), durant les séjours d’activisme, ou lorsqu’une organisation de lutte pour les droits des femmes organise une activité. Il devrait y avoir plus d’articles sur différents profils de femmes, car nous voyons de plus en plus des femmes exceller dans l’exercice de leur travail. Les médias devraient s’intéresser aux vraies problématiques dont les femmes sont victimes. Par exemple, le Code de la Famille est beaucoup plus avantageux du côté des hommes que des femmes. Au Sénégal, la recherche de paternité est interdite par la loi : une femme ou un enfant ne peuvent pas rechercher le père. Il y a un problème du pouvoir de paternité. Il y a des femmes qui souhaitaient voyager avec leurs enfants, mais nécessitent une autorisation du père pour sortir du pays. Ces sujets ont des répercussions sur la société, car les femmes représentent la moitié de la population. Du moment qu’une partie de la société n’est pas à l’aise, l’autre va pouvoir le ressentir.
Les médias devraient s’intéresser aux vraies problématiques dont les femmes sont victimes
Nous avons obligé un corps, à travers les médias, à suivre la mouvance de l’opinion publique. Amener les médias à mieux informer sur les problématiques de genre « Les médias jouent le rôle du quatrième pouvoir, c’est-à-dire qu’ils ont un rôle capital dans la lutte d’égalité, mais aussi dans la recherche et l’information sur la place de la femme. L’un des rôles fondamentaux des médias, à mon avis, est l’information. La place de la femme a évolué dans la société : on parle de plus en plus d’émancipation, d’épanouissement, de femmes actives dans le milieu professionnel. Malheureusement, certaines femmes ne sont pas représentées par les médias. Les femmes qui osent porter le combat, à chaque fois qu’elles interviennent, certains médias ne s’intéressent qu’à leur apparence physique. Bien sûr, une maison de presse est une entreprise, donc il y a cette nécessité de vendre et de rechercher le plus d’audience possible. C’est peut-être la raison pour laquelle certains médias négligent ces sujets. Je pense aussi que les journalistes ont besoin de formation et de renforcement de capacité sur les sujets sensibles au genre. Les médias pourraient se rapprocher des organisations portées sur les questions de genre et de la place de la femme. Beaucoup de structures se sont rendu compte de la nécessité de former les journalistes. Beaucoup de femmes travaillent dans les rubriques culture, people. Il faudrait plus de journalistes femmes qui se tournent vers d’autres problématiques, et notamment les sujets liés aux droits des femmes. L’absence de femmes dans les organes de décision des médias Si le directeur de rédaction est un homme, ces sujets-là ne lui parlent pas forcément, donc les femmes seront dans l’obligation de suivre l’orientation qu’il choisit. Il y a des femmes qui, tant bien que mal, tentent de maintenir ce sujet-là dans le débat public. Jaly Badiane, Fatou Warkha Samb, Maimouna Astou Yade, Amy Sakho sont des femmes engagées dans cette lutte et imposent ce débat. Les réseaux sociaux, également, sont un espace utile pour évoquer ces problématiques.
Je pense aussi que les journalistes ont besoin de formation et de renforcement de capacité sur les sujets sensibles au genre. Les médias pourraient se rapprocher des organisations portées sur les questions de genre et de la place de la femme
Malheureusement, les sujets qui concernent les femmes ne sont traités que quand il y a un scandale et sont souvent logés dans la rubrique faits divers. Cette rubrique n’étant pas très valorisée dans la société, cela contribue à minimiser les faits par la presse. La réticence des femmes à s’exprimer dans les médias Je pense qu’il y a plusieurs raisons pour expliquer la réticence des femmes à s’exprimer. Premièrement, sur les plateaux où les femmes sont invitées, il y a une mauvaise répartition du temps de parole. On ne laisse pas les femmes aller jusqu’au bout de leurs réflexions. Il s’agirait, à mon avis, d’un réel manque de considération, d’un manque professionnalisme de la part des journalistes et chroniqueurs. Au lieu d’être écoutées, il semble parfois que les femmes sont invitées pour qu’on puisse les dénigrer. Bien entendu, cela décourage certaines femmes à se rendre dans un lieu où leur message ne sera pas accueilli. Également, les femmes sont parfois informées tardivement de leur invitation. Sachant toute la charge sociale et les tâches dont la femme est responsable, elles ont parfois du mal à répondre aux invitations de la presse. Enfin, les femmes qui vont s’exprimer dans les médias sont exposées, et se trouvent dans une position d’insécurité. Souvent, certaines personnes vont manipuler l’argument religieux pour aliéner la femme avec l’opinion publique et la société. Elles sont alors victimes de persécutions, d’agressions, de violences verbales, psychologiques et physiques. Jaly Biadane, par exemple, est régulièrement persécutée alors que nous sommes dans un pays démocratique où la sécurité fait partie des droits fondamentaux !
Au lieu d’être écoutées, il semble parfois que les femmes sont invitées pour qu’on puisse les dénigrer. Bien entendu, cela décourage certaines femmes à se rendre dans un lieu où leur message ne sera pas accueilli
C’est pour cette raison que les femmes préfèrent maintenant créer leurs propres canaux de communication pour transmettre des messages. L’utilisation des réseaux sociaux pour sensibiliser sur les droits des femmes « Les réseaux sociaux jouent un rôle extraordinaire dans la lutte pour les droits des femmes et occupent une grande place. Les réseaux sociaux ont beaucoup participé à la libération de la parole des femmes mais aussi à la diversification de l’action des femmes. Il existe plusieurs types de contenus, que ce soient des photos, des vidéos, des directs, etc. Les activistes et féministes sont pour la plupart outillées à créer rapidement des contenus pour faciliter leurs communications. Mais force est de constater qu’autant les réseaux sociaux sont un milieu favorable pour la recherche d’égalité, autant ils sont un milieu dangereux pour les femmes. Dans ces réseaux sociaux, nous avons vu des femmes menacées de viol et de mort lorsqu’elles dénoncent un cas de viol ou de féminicide, ou même lorsqu’elles revendiquent simplement leurs droits. Malgré l’existence d’un organe de régulation de la cyber-criminalité, les femmes activistes sont en insécurité et doivent être prises en charge par cette autorité. Les femmes qui luttent pour leurs droits sont membres d’une société qui bénéficie de leur activisme. Il est obligatoire que ces femmes restent visibles tout en étant en sécurité car elles arrivent à maintenir le débat, à engager l’opinion publique. La culture urbaine : un moyen de plaidoyer En regardant l’historique et l’essence du mouvement hip-hop, nous voyons qu’il s’agit de l’un des meilleurs canaux de communication. La mouvance hip-hop facilite et participe à l’acceptation de la lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes. La culture urbaine est surtout utilisée par la jeunesse. Dans notre association, nous essayons de rendre accessibles certaines informations qui ne l’étaient pas. Par exemple, nous avons sorti un single qui sensibilise sur la loi portant sur la criminalisation du viol et de la pédophilie.
Les femmes qui luttent pour leurs droits sont membres d’une société qui bénéficie de leur activisme
L’association s’est rendue compte que la population sénégalaise pense que les textes de lois ne peuvent être compris, exploités, uniquement par les personnes qui travaillent dans ce domaine-là. Les informations liées aux textes de loi, qui appartiennent aux tribunaux et au monde juridique doivent être accessibles au sein de la société. La culture du hip-hop et la culture urbaine jouent un rôle prédéterminant dans cette optique. Recommandations Je dirais aux médias de ne pas accepter de suivre la mouvance de l’opinion publique. Les médias ne devraient pas s’intéresser aux questions de viol et de féminicides seulement lorsque tout le monde en parle. Les médias doivent se situer en avant-garde, en tant que quatrième pouvoir. Les médias doivent également se rappeler qu’ils ont une responsabilité sociale dans l’accompagnement des luttes. Nous savons qu’il y a des manquements au niveau de la formation et de l’information. Parfois, lorsque nous entendons des hommes parler, nous avons l’impression qu’ils ne comprennent pas les luttes. Je suggère aux médias de se rapprocher des organisations de femmes pour se former sur ces questions.
Féministe et activiste, plus connue sous le nom de Wasso, Ndéye Fatou est formatrice en activisme artistique et Présidente de l’Association Genji Hip Hop qui regroupe des femmes artistes – activistes qui évoluent dans le Hip Hop et les cultures urbaines.
Elle est diplômée en littérature française et culture de l’Université cheikh Anta Diop de Dakar.