Auteur: Jean-Pierre Cabestan
Revue: Herodote
Type de Publication: Article
Date de publication: 2013
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Les relations Chine-Afrique ont connu un développement prodigieux au cours des dix dernières années. Certes, la Chine n’est pas une nouvelle venue sur le «continent noir» [Shinn et Eisenman, 2012]. Mais l’ampleur et la nature des rapports sino-africains ont diamétralement changé depuis la fin des années 1990. Cette expansion et cette métamorphose ont été avant tout favorisées par la mise en place à Pékin d’une nouvelle politique africaine destinée à servir à la fois ses propres besoins économiques croissants et sa montée en puissance sur la scène mondiale.
On connaît la suite: le commerce a explosé; les projets d’infrastructures chinois se sont multipliés; l’assistance de la République populaire au développement des pays africains a atteint un niveau sans précédent, talonnant l’aide plus traditionnelle apportée par l’Occident et le Japon. Cet essor des échanges et des projets de coopération a directement resserré les liens diplomatiques, voire stratégiques entre Pékin et la plupart des capitales africaines.
Pour Pékin, de par le nombre élevé d’États (cinquante-quatre depuis l’indépendance du Sud-Soudan en 2011) que compte le «continent noir», ce dernier constitue un appui appréciable et en général aisé à mobiliser dans les arènes internationales, en particulier à l’ONU. C’est pourquoi l’éviction de Taïwan d’Afrique a longtemps été un objectif prioritaire de la diplomatie chinoise.
Si la rivalité avec le régime de Taipei a perdu de son acuité du fait de l’affaiblissement de sa présence en Afrique à partir des années 2000, puis de la trêve diplomatique verbale conclue avec le gouvernement de Ma Ying-jeou en 2008, ce combat ne prendra fin que lorsque les derniers États qui reconnaissent la République de Chine, le nom officiel de Taïwan, auront capitulé (Burkina Faso, Gambie, São Tome et Principe, Swaziland).
Pour le reste, la politique africaine de la Chine a connu une profonde évolution. Ses principaux objectifs actuels ont progressivement pris forme à partir du milieu des années 1990. Ils sont tout d’abord économiques: l’accès aux matières premières et produits agricoles dont son économie a de plus en plus besoin, à travers l’acquisition d’entreprises d’extraction ou de concessions d’exploitation, notamment de forêts ou de terres; le rééquilibrage de ces importations par la vente d’une quantité croissante de produits manufacturés ou de consommation courante bon marché.
Il s’agit aussi de tirer parti des besoins criants de l’Afrique en infrastructures (routes, chemins de fer, barrages, installations portuaires, etc.) pour renforcer et internationaliser les firmes chinoises actives dans ces secteurs ainsi que les domaines qui en découlent (industrie automobile), et partant y accroître l’influence diplomatique de la République populaire. Et répondant également à l’appel à «sortir du pays» (zouchuqu) lancé par l’ancien président Hu Jintao en 2005, de nombreux entrepreneurs et commerçants privés chinois ont pris le chemin de l’Afrique, à la fois relâchant quelque peu la pression sur le marché de l’emploi intérieur et stimulant les échanges économiques et humains sino-africains.
Il est clair que, parmi les pays africains, la Chine privilégie ceux qui, de par leur puissance régionale ou du fait de leurs richesses en ressources naturelles, peuvent le plus contribuer à la montée de l’influence chinoise sur le «continent noir»; dans le premier groupe, il faut citer tout d’abord l’Afrique du Sud, membre des BRICS depuis 2011, mais aussi le Nigeria, l’Égypte et l’Éthiopie; dans le second, le Soudan (et désormais le Sud-Soudan), l’Angola, l’Algérie, la République démocratique du Congo (RDC) et le Niger.
Longtemps ignoré ou passé sous silence, un troisième type d’objectif, plus stratégique, s’est peu à peu imposé à la Chine ces dernières années: la sécurité de ses intérêts et ressortissants en Afrique, et partant du continent. L’essor sans précédent des implantations d’entreprises et des projets de coopération chinois, la présence croissante d’une main-d’œuvre puis d’une nouvelle diaspora en prove- nance de la République populaire sur le continent (entre 2 millions et 5 millions aujourd’hui) ont multiplié les incidents (assassinats, prises d’otages, tensions avec la population locale), faisant prendre conscience à Pékin du besoin de renforcer la protection consulaire de ses sociétés et de ses citoyens.
L’évacuation réussie de plus de 35 000 Chinois de Libye en 2011 a accéléré cette prise de conscience. La participation de la Chine depuis la fin 2008 à la lutte contre la piraterie en mer au large du golfe d’Aden ou, sous l’égide de l’ONU, à diverses opérations de maintien de la paix sur le continent africain (RDC, Côte d’Ivoire, Soudan, Liberia, Sahara occidental et bientôt Mali) illustre cette montée des préoccupations sécuritaires de la République populaire.
Enfin, conséquence des objectifs précédents, la Chine s’efforce plus activement de neutraliser ou de désamorcer les critiques et les tensions que sa nouvelle présence en Afrique a pu faire apparaître, non seulement en mobilisant des moyens diplomatiques et financiers autrement plus importants qu’autrefois et en y associant une capacité de communication et des éléments de «puissance douce» (soft power) que nous avons brièvement évoqués.
Il est clair que, parmi les pays africains, la Chine privilégie ceux qui, de par leur puissance régionale ou du fait de leurs richesses en ressources naturelles, peuvent le plus contribuer à la montée de l’influence chinoise sur le «continent noir»; dans le premier groupe, il faut citer tout d’abord l’Afrique du Sud, membre des BRICS depuis 2011, mais aussi le Nigeria, l’Égypte et l’Éthiopie; dans le second, le Soudan (et désormais le Sud-Soudan), l’Angola, l’Algérie, la République démocratique du Congo (RDC) et le Niger
La présence chinoise en Afrique est d’abord économique et avant tout commerciale. En effet, les échanges bilatéraux entre la République populaire et les pays africains ont explosé, passant de 12 milliards à 200 milliards de dollars américains entre 2000 et 2012, élevant le pays au deuxième rang des partenaires commerciaux de l’Afrique (Afrique du Nord comprise) derrière l’Union européenne (439 milliards), mais devant les États-Unis depuis 2009. En 2008, ce pays était encore le premier fournisseur de l’Afrique (118 milliards) devant la Chine (56 milliards), mais en 2011 les exportations chinoises atteignaient 73 milliards tandis que ses importations s’élevaient à 93 milliards, soit un total d’échanges de 166 milliards de dollars, contre 115 milliards pour les États-Unis .
Officiellement encore déficitaire (20 milliards en 2011), le commerce Chine-Afrique n’inclut pas Hong Kong d’où de nombreux produits sont réexportés (268 milliards de dollars d’importations en provenance du continent en 2011, troisième place après l’UE et les États-Unis). On peut donc penser que ces échanges sont globalement plus équilibrés que ne le disent les statistiques chinoises, et que les achats africains de produits chinois ont dépassé les 100 milliards de dollars en 2012.
Évidemment, le commerce est plus déficitaire pour la Chine avec les pays qui lui vendent des matières premières ou des ressources naturelles, comme l’Afrique du Sud, l’Angola, le Congo, la RDC, la Libye, le Soudan et la Zambie. Mais certains exportateurs de produits énergétiques, comme l’Algérie, en raison de leurs importants besoins intérieurs, ou le Nigeria, du fait aussi de la faiblesse des ventes de pétrole à la République populaire, connaissent un déficit avec la Chine.
Les importations chinoises restent dominées par les ressources naturelles (80 % en 2010 comme en 2000), moins par les produits pétroliers (65 % contre 75 %) et plus par les minerais (15 % contre 5 %). L’agroalimentaire a aussi baissé (5 % contre 10%) tandis que les achats de produits manufacturés de base n’ont connu qu’une hausse relativement modeste (15 % contre 5 %).
Contrairement à une idée persistante, la structure des exportations chinoises n’est plus dominée par les biens de consommations ceux-ci ne représentent que 20% des ventes mais par les biens d’équipements (36%) et les biens intermédiaires (35 %), liés aux importants besoins en infrastructures du continent.
Les ID chinois en Afrique sont longtemps restés relativement modestes et n’ont commencé à augmenter qu’à la fin des années 2000: 5,8 milliards en 2008, puis 2,1 milliards en 2010 et 3,2 milliards en 2011, d’après le ministère chinois du Commerce. Ainsi, le stock des investissements chinois sur ce continent est passé de 0,5 milliard de dollars en 2003 (1,5% du total des ID chinois à l’étranger) à 16,2 milliards en 2011 (3,8%).
Il est vrai que d’autres sources contestent ces données: ainsi la Heritage Foundation évaluait en janvier 2013 le stock d’investissements chinois en Afrique subsaharienne à 97,8 milliards de dollars, contre 58,2 milliards au Moyen-Orient et en Afrique du Nord; mais ce chiffre inclut l’ensemble des projets d’investissements chinois, par définition étalés sur de nombreuses années et encore loin d’être tous réalisés: il indique donc une tendance plutôt que le stock réel d’ID chinois en Afrique.
Du fait de la diminution des terres cultivables en Chine, Pékin cherche à développer ses industries agroalimentaires en Afrique, continent qui inclut 31 % des terres arables non cultivées de la planète. Les opérateurs chinois sont à la fois des entreprises d’État nationales ou provinciales et des entrepreneurs privés.
Ces opérateurs sont principalement engagés dans la production de céréales, de cultures industrielles (huile de palme) et dans l’élevage. Un nombre croissant d’entre eux alimente aussi en légumes, volailles et porcs les nouvelles communautés chinoises qui s’implantent un peu partout en Afrique.
Quid de l’aide chinoise à l’Afrique? Tout d’abord, pendant longtemps, la République populaire refusait de parler d’«aide», elle préférait les termes «coopérations gagnant-gagnant» ou «assistance mutuelle» entre pays du Sud. Ce n’est que dans son Livre blanc sur l’aide au développement publié en avril 2011 que le gouvernement chinois adopta cette notion.
Ce document inclut dans l’assistance officielle chinoise au développement les dons (parfois en nature comme les écoles ou les hôpitaux), les prêts sans intérêt, les prêts concessionnels (qui incluent une part de don d’au moins 25 %), les dépenses de formation et d’assistance technique, ainsi que les annulations de dettes.
Enfin, cette explosion des relations économiques et commerciales s’est accompagnée d’un développement sans précédent des relations humaines entre la Chine et l’Afrique. La forme principale de cet essor est l’immigration d’un nombre difficile à déterminer de Chinois vers ce continent depuis la fin des années 1990 (2 millions à 5 millions).
Mais, inversement, un nombre croissant mais non plus aisé à évaluer d’Africains se rendent en Chine9, plus tant à la Foire de Canton qu’au marché en gros de Yiwu au Zhejiang, et s’y installent pour des périodes plus ou moins longues [Bodomo, 2012]. Les mariages mixtes sino-africains ont commencé à augmenter même si, pour des raisons culturelles, ils sont encore souvent mal vus.
Enfin, le tourisme chinois en Afrique est apparu au cours de la dernière décennie, amenant de plus en plus de groupes vers les parcs animaliers de l’est ou du sud du continent (Kenya, Tanzanie, Botswana et surtout Afrique du Sud). Bien que la proportion de visiteurs chinois qui se rendent en Afrique (2,3 % en 2010) reste faible, la progression de leur nombre est très rapide (710 000 en 2010 contre 91 000 en 2000) et vouée à s’accélérer.
L’essor sans précédent des relations économiques et commerciales ainsi que la multiplication des projets de développement chinois sur ce continent ont indéniablement modifié le regard de nombreux Africains. L’irruption de la Chine a changé la donne, ouvert de nouvelles options aux gouvernements africains et leur a permis d’améliorer leur position dans les négociations avec les partenaires et donneurs traditionnels (Union européenne, États-Unis, Japon). Aucune capitale du «continent noir» ne peut aujourd’hui ignorer Pékin, pas même celles qui ont maintenu des relations officielles avec Taipei.
L’utilisation systématique de la main-d’œuvre chinoise sur les projets d’infrastructures a soulevé tant de critiques, en particulier au sein des pays africains qui connaissent pour la plupart un taux élevé de chômage, que la Chine semble avoir évolué. De fait, certaines entreprises de construction concentrent de plus en plus la main-d’œuvre chinoise dans les postes de responsabilité ou d’encadrement (ingénieurs, techniciens, managers); en outre, plusieurs entreprises, comme Huawei dans les télécommunications, affichent d’ambitieux programmes de formation du personnel local. L’augmentation rapide depuis la fin des années 2000 du coût de la main-d’œuvre chinoise contribue aussi à en réduire le nombre.
Enfin, le tourisme chinois en Afrique est apparu au cours de la dernière décennie, amenant de plus en plus de groupes vers les parcs animaliers de l’est ou du sud du continent (Kenya, Tanzanie, Botswana et surtout Afrique du Sud). Bien que la proportion de visiteurs chinois qui se rendent en Afrique (2,3 % en 2010) reste faible, la progression de leur nombre est très rapide (710 000 en 2010 contre 91 000 en 2000) et vouée à s’accélérer
Encouragée par la politique du zouchuqu, l’immigration chinoise vers l’Afrique semble limitée pour la Chine, mais elle pèse de manière autrement plus importante sur les sociétés où elle se répand. Non seulement parce que les pays africains sont en général peu peuplés, mais parce que ces migrants concurrencent parfois directement les acteurs économiques locaux, en particulier dans les secteurs de la distribution et du petit commerce.
La porosité des frontières en Afrique, l’accueil souvent favorable réservé sur ce continent aux étrangers (y compris en provenance d’autres pays africains) et la corruption des polices locales freinent toute amélioration du contrôle de ce nouvel afflux de Chinois, multipliant les frictions et les incidents au cours de ces dernières années, de Dakar à Yaoundé, de Chambezi (Zambie) à Alger. En outre, lorsque la tension politique intérieure augmente, les Chinois peuvent rapidement devenir en Afrique, comme hier en Asie du Sud-Est, les boucs émissaires des maux que connaissent ces sociétés.
En dépit des efforts déployés par Pékin afin de battre en brèche le sentiment dominant que ses ambassades et ses entreprises agissent de manière opaque et d’abord dans leur propre intérêt, cette perception a peu de chances d’évoluer, pour deux raisons contradictoires. La première est l’impression assez tangible en Afrique que la Chine agit et place ses pions à la manière d’un vaste conglomérat politico-économique, comme une sorte de China Inc.
Les liens étroits entre les représentations et les chambres de commerce et d’industrie chinoises l’attestent. En même temps, on le sait, les autorités chinoises n’exercent qu’une emprise toute relative sur leurs entreprises, que celles-ci soient publiques ou privées, tout particulièrement pour ce qui concerne le droit du travail. En outre, les projets triangulaires (Chine-Occident-Afrique) demeurent marginaux, accueillis avec réticence par les Africains qui y voient une réduction de leur marge de manœuvre.
Enfin, le gouvernement chinois a été accusé de manière récurrente de ne pas suffisamment contrôler ses transferts d’armements
Nouvelle frontière de la Chine, l’Afrique est aussi un nouveau défi pour les autorités de Pékin. La Chine a sans conteste marqué des points en Afrique : elle y est devenue un facteur de développement indéniable et y a acquis une influence diplomatique sans précédent et de premier plan. Toutefois, elle est loin d’y être devenue un partenaire exclusif. Au contraire, l’irruption des entreprises chinoises a stimulé la concurrence entre grands groupes nationaux ou transnationaux, contraignant les Occidentaux à abandonner certains secteurs (routes) et à se concentrer sur ce qu’ils savent le mieux faire (haute technologie), ouvrant parallèlement la porte à d’autres pays émergents comme l’Inde ou le Brésil.
Pour autant, il ne faut pas exagérer l’emprise de Pékin. Ainsi, en 2011, l’UE était encore le premier partenaire commercial de l’Afrique (20% des échanges) devant la Chine (7 %), les États-Unis (7 %), l’Inde (3 %) et le Brésil (1,6 %). Et l’Afrique ne fait que 12,5% de son commerce avec les BRIC.
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