Mamadou Lamine Sarr
La coopération et l’intégration régionale ont longtemps été des objectifs pour les Africains, avant même la naissance de leurs États. Depuis l’accession à l’indépendance de ces derniers et jusqu’à nos jours, de nombreuses tentatives d’intégration régionale et continentale ont vu le jour, mais sans toujours avoir l’adhésion des peuples. En effet, l’intégration verticale ou par le haut, à l’initiative des États — et plus particulièrement des chefs d’État — n’est pas toujours comprise par les populations qui ne se sont pas réellement appropriées les différents processus d’intégration. Ainsi, à cette intégration verticale, faut-il vraisemblablement adjoindre une intégration horizontale, c’est-à-dire une intégration portant les aspirations des peuples et plaçant ces derniers au cœur du processus.
C’est dans ce cadre que les universités africaines peuvent — ou doivent — jouer un rôle crucial, car étant non seulement des temples du savoir, mais aussi des espaces de rencontre et de socialisation, ainsi que des lieux reflétant tous les défis de nos États et de nos sociétés. Pour jouer ce rôle de vecteur d’intégration horizontale, nos universités ont besoin d’adopter des changements dans leur statut, leur fonctionnement et dans leur objectif. Il en va non seulement de la réussite de cette intégration par les peuples, mais aussi tout simplement de la survie de ces universités, notamment en Afrique de l’Ouest.
Des canaux divers de l’intégration régionale à travers les universités
La question du rôle de l’université est toujours sujette à discussion et interprétation, particulièrement dans ce contexte mondial actuel marqué par une diffusion rapide et multiforme des savoirs. Il est vrai que traditionnellement, l’université est avant tout un lieu de formation et de recherche, mais aujourd’hui l’université a d’autres missions qui font d’elle un acteur central dans l’évolution et la transformation de toute société.
C’est le cas des universités africaines, notamment celles d’Afrique de l’Ouest dont les missions (comme pour d’autres) peuvent être résumées à travers les points suivants : l’enseignement, la recherche, l’action sociale, la coopération internationale. L’influence des universités d’Afrique de l’Ouest sur l’intégration régionale passe donc par ces différents canaux.
Le recrutement d’un enseignant béninois au Sénégal ou d’un universitaire togolais au Ghana n’est pas seulement preuve d’ouverture, mais également un moyen efficace de diffusion de l’idée de l’intégration régionale
Dans l’enseignement, les universités ouest-africaines ne peuvent ignorer la nécessité de consolider les programmes et filières d’études concernant l’Afrique en général et notre région en particulier. Il ne s’agit pas simplement de définir ces programmes et filières sur le papier, mais de permettre aux apprenants de renforcer leurs connaissances sur la région à travers des cours de qualité et ainsi développer leurs sentiments d’appartenance à l’Afrique de l’Ouest.
La valorisation des recrutements d’enseignants issus des pays de la région constitue également un levier important de l’enseignement supérieur dans la consolidation de l’intégration par les peuples. Le recrutement d’un enseignant béninois au Sénégal ou d’un universitaire togolais au Ghana n’est pas seulement preuve d’ouverture, mais également un moyen efficace de diffusion de l’idée de l’intégration régionale. De nombreuses universités de la région ont déjà cette culture, mais il faut la renforcer davantage et mettre en place de véritables politiques d’incitation pour un recrutement régional.
Dans le domaine de la recherche, le développement de tout type de recherche (fondamentale ou appliquée ; expérimentale ou non expérimentale) demeure une mission de nos universités, mais surtout un canal de connaissance et d’appropriation de l’Afrique de l’Ouest par les universitaires. Le développement de programme de recherche concernant l’Afrique, la valorisation de la collaboration entre chercheurs ouest-africains, la mise en place d’institutions et de centre de recherche adaptés à nos réalités sont autant d’actions à mener pour permettre la construction et le partage d’une idée forte de l’intégration régionale.
Toutefois, il ne faudrait pas que cette dynamique de la recherche ignore les populations et qu’elle soit une affaire d’universitaires. Il faut que les populations soient une partie prenante du développement de la recherche, notamment en prenant en compte leurs besoins et problèmes dans la définition de nos programmes de recherche.
L’action sociale constitue un axe majeur de la mission des universités ouest-africaines comme vecteurs d’intégration régionale. Ces universités (comme beaucoup dans le monde) sont des lieux où la vie étudiante occupe une place fondamentale, entre les cités universitaires, les résidences étudiantes, etc. Une université comme l’université Cheikh Anta Diop de Dakar a la chance de recevoir des étudiants originaires notamment des pays de la sous-région et la consolidation de la vie étudiante (notamment à travers le réseau des associations étudiantes ou communautaires) doit s’appuyer sur cela afin de renforcer le brassage entre étudiants sénégalais et ouest-africains.
Avant d’être les décideurs de demain qui consolideront l’intégration régionale, les étudiants d’aujourd’hui doivent partager ce sentiment d’appartenance à une même région et ceci passe indubitablement par la vie sociale dans les campus universitaires.
Il faut que les populations soient une partie prenante du développement de la recherche, notamment en prenant en compte leurs besoins et problèmes dans la définition de nos programmes de recherche
Le service à la communauté (SAC) qui est de plus en plus adopté par les universités est un formidable moyen de consolidation du lien entre l’université et la société à travers l’action sociale. À titre d’exemple, bien que virtuelle, l’Université Virtuelle du Sénégal (UVS) s’appuie sur le SAC pour être active et se faire connaître dans la société sénégalaise. Une transposition de ce modèle dans la sphère régionale est possible pour de nombreuses universités de la région.
Toujours au Sénégal, l’université Assane Seck de Ziguinchor peut se servir de la diversité de sa population estudiantine et de sa position géographique pour mener des actions de services à la communauté au Sénégal, en Guinée, en Guinée-Bissau, pour ne citer que ces deux pays voisins. Cette possibilité est valable pour l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (qui peut constituer un pôle avec la Mauritanie, le Mali, les pays d’Afrique du Nord entre autres) et ceci peut se faire en collaboration avec des universités ou institutions des pays voisins, participant ainsi au renforcement de la coopération internationale des universités.
Dans la coopération internationale — qui est devenue une dimension phare des plus grandes universités de ce monde —, les universités ouest-africaines doivent accorder une attention particulière à l’espace régional. Comme l’ont constaté Ariane Bernard, Camille Longépé et Hugo Zusslin, « Les étudiants [africains] préfèrent les pays limitrophes, qui offrent l’avantage de la proximité avec la famille, la langue et la culture — parfois l’université la plus proche se trouve d’ailleurs dans un pays voisin ».
Il faut donc exploiter cette réalité pour valoriser l’idée de l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest en favorisant la coopération et la mobilité régionales. Par ailleurs, les universités ouest-africaines peuvent s’appuyer sur cet avantage de la proximité pour consolider leur politique quant à l’insertion professionnelle de leurs étudiants, ce qui est un axe fondamental de l’action des universités.
Avant d’être les décideurs de demain qui consolideront l’intégration régionale, les étudiants d’aujourd’hui doivent partager ce sentiment d’appartenance à une même région et ceci passe indubitablement par la vie sociale dans les campus universitaires
Le développement des programmes d’échange d’étudiants ouest-africains — à l’image de ce que les pays européens ont réussi avec le programme Erasmus — est également une voie à emprunter pour les universités de la région. Un programme d’échange bien structuré, efficace et impliquant l’ensemble des pays de la région serait véritablement une opportunité extraordinaire pour le développement d’un sentiment d’appartenance régionale dans le monde universitaire. Ce type de programme pourrait s’appliquer également au personnel enseignant, mais aussi au personnel administratif des universités d’Afrique de l’Ouest.
Les défis des universités d’Afrique de l’Ouest dans le processus d’intégration
Il est indéniable qu’à l’heure actuelle, que de nombreuses universités d’Afrique de l’Ouest doivent relever des défis importants afin de jouer pleinement leur rôle de vecteurs d’intégration. Elles ne pourront certes pas relever seules ces défis qui demandent l’implication des États et gouvernements, mais elles peuvent donner l’impulsion. Au-delà des aspects à consolider dans l’enseignement, la recherche, l’action sociale et la coopération régionale, les universités doivent donc : améliorer leur structure et leur organisation ; consolider leur politique de recherche et d’innovation ; développer le numérique.
Parmi les défis, il y a celui de leur organisation. En effet, à l’image de nos États, les universités de la région doivent avoir une structure et une organisation adaptées au monde actuel. À titre d’exemple, même si des efforts ont été consentis depuis des décennies, les universités sénégalaises connaissent des difficultés liées à une forte bureaucratie, un processus décisionnel pas toujours simple, un manque d’infrastructures, des politiques d’orientation des étudiants pas toujours cohérentes, entre autres. Ces aspects bureaucratiques et organisationnels sont essentiels pour une université qui aspire tout simplement à assurer une formation de qualité à ses apprenants. Et comme pour les États, l’intégration passe avant tout par une organisation administrative simple et cohérente.
Un autre défi important porte sur le développement de la recherche et de l’innovation. Il n’a échappé à personne que les universités africaines ne sont pas citées parmi les plus reconnues en matière de recherche et d’innovation et la solution passe par la coopération. En effet, au vu de leurs moyens souvent faibles, les universités de la région doivent favoriser la coopération entre elles afin de dynamiser la recherche et l’innovation régionales. La reconnaissance de nos universités dans les grands classements est certes importante, mais la priorité doit être de mettre en place des pôles de recherche et d’innovation interuniversitaires afin de répondre aux besoins économiques, sociaux, politiques, sécuritaires, techniques, de nos sociétés.
Un autre défi important porte sur le développement de la recherche et de l’innovation. Il n’a échappé à personne que les universités africaines ne sont pas citées parmi les plus reconnues en matière de recherche et d’innovation et la solution passe par la coopération.
Ce développement de la recherche et de l’innovation passe également par une redéfinition de la relation entre les universités et le monde des entreprises. Ces dernières sont non seulement au cœur du développement économique et social de nos pays, mais aussi les canaux de diffusion et d’application des résultats ou produits de la recherche et de l’innovation. Une meilleure coopération entre les universités et les entreprises de la région ne peut être que bénéfique à l’intégration régionale.
Cet enjeu est intimement lié à un autre enjeu pour nos universités à savoir le développement du numérique. La Covid-19 nous a montré l’importance qu’a prise le numérique et qu’il continuera de prendre dans la société. Les universités doivent être des fers de lance dans la transformation numérique de notre région et plus généralement de notre continent. Pour cela, elles ont besoin de s’approprier l’outil numérique dans leur fonctionnement administratif, mais aussi dans leurs missions d’enseignement et de recherche et dans leurs actions sociales.
Cette transformation numérique va des investissements à faire dans les matériels informatiques à l’adaptation de la pédagogie avec des enseignants-chercheurs qui seront amenés à maitriser les outils numériques. C’est cette transformation numérique qui permettra à un étudiant sénégalais de faire toutes ses démarches administratives en ligne pour s’inscrire à l’université Félix-Houphouët-Boigny d’Abidjan. Autant pour les États que pour les autres entités comme les universités, l’intégration de la région passera par le numérique avec ses nombreux enjeux comme la connectivité de la région, la protection des données personnelles entre autres.
En définitive, au-delà de la formation des élites futures de la région, les universités ouest-africaines peuvent jouer un rôle crucial dans le projet d’intégration régionale. Une des plus importantes limites de l’intégration en Afrique de l’Ouest est l’indifférence ou l’opposition des populations. Ces dernières n’ont pas attendu les différents projets d’intégration régionale pour savoir qu’elles partagent des valeurs et cultures communes, mais elles n’ont pas tout à fait adhéré à ces projets comme on peut le souhaiter et les universités peuvent aider à inverser la tendance en étant au cœur de cette intégration horizontale.
Source photo : UN
Mamadou Lamine Sarr est enseignant chercheur en Science politique à l’Université virtuelle du Sénégal (UVS). Il est le responsable du Master Paix, sécurité et développement de l’UVS. Titulaire d’un PhD de l’Université Laval (Québec, Canada), il s’intéresse aux relations internationales, à l’analyse de politiques étrangères, aux relations entre l’Afrique et les pays émergents, notamment le Brésil. Il s’intéresse également à la région des Amériques.
1 Commentaire. En écrire un nouveau
Un article très intéressant et qui mérite beaucoup d’attention. L’enjeu que regorge l’université aujourd’hui dépasse largement l’enseignement. La diversité culturelle et sociale au seins des universités c’est un atout et elle doit être exploitée car elle peut être un moyen de renforcement l’intégration ouest africaine. La valeur et la culture de l’étudiant malien ou ghanéen orienté à l’université sénégalaise doivent être appropriée, valorisée et intégrée tout comme le professeur sénégalais qui enseigne au Togo cela permettra à l’Afrique de mieux s’unir et décrocher une intégration radicale.