Auteurs: Carolyn Logan, Brian Howard, et E. Gyimah-Boadi
Organisation affiliée: Afrobarometer
Type de publication: rapport spécial
Date de publication: 6 mai 2020
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Un grand nombre de dirigeants africains ont initié des actions résolues pour limiter l’impact de la COVID-19 dans leurs pays. Ils ont par ailleurs démontré de façon convaincante que toute solution autre qu’une intervention globale une application à l’échelle mondiale du postulat selon lequel «nous sommes tous dans le même bateau» serait non seulement peu éthique, mais également vouée à l’échec.
Il est encore trop tôt pour déterminer les implications éventuelles de la COVID-19 pour l’Afrique et le reste du monde. Mais il n’est pas trop tôt pour recenser les informations, recommandations, et avertissements que la pandémie nous offre, tant pour orienter notre réaction face à la crise actuelle que pour mieux nous préparer aux prochaines.
Trois «enseignements» préliminaires se dégagent du vécu et des évaluations du citoyen lambda en Afrique:
- La pandémie accentue les vulnérabilités qui ont longtemps existé.
- La pandémie met à rude épreuve les libertés souvent tenues pour acquises.
- L’écoute et la confiance sont des ressources indispensables mais souvent rares.
Des vulnérabilités qui ont longtemps existé
Les données recueillies auprès de plus de 45.800 personnes sondées dans 34 pays africains dans le cadre du Round 7 d’Afrobarometer (2016/2018) sont révélatrices de certaines des vulnérabilités auxquelles les Africains sont confrontés alors qu’ils ont à faire face au coronavirus. Des centaines de millions parmi eux n’ont pas accès à l’eau potable à l’intérieur de leurs maisons ou de leurs concessions, ce qui rend pratiquement impossible le lavage et le nettoyage fréquents des mains un outil de prévention majeur de la COVID-19. Près de quatre Africains sur dix (38%) ont souffert plusieurs fois d’un manque d’eau potable durant l’année qui a précédé l’enquête, et plus d’un sur cinq (22%) en souffre fréquemment.
En outre, de nombreuses familles africaines ne disposent pas de la résilience économique nécessaire pour faire face à un confinement. Deux tiers (66%) des ménages déclarent avoir manqué de revenus en espèces quelques fois, plusieurs fois, ou toujours au cours de l’année précédente. Moins d’un tiers déclarent que les efforts du gouvernement en vue d’améliorer le niveau de vie des pauvres (31%) et d’assurer la sécurité alimentaire (32%) sont efficaces.
Des droits et libertés mises à rude épreuve
La pandémie engendre des risques dont la portée dépasse les simples nécessités de la vie quotidienne. Dans un contexte où les gouvernements africains mettent en place les dispositifs temporaires nécessaires pour protéger leurs citoyens contre le coronavirus, des inquiétudes se font jour sur la possibilité que des régimes peu scrupuleux profitent de la crise pour réduire les droits et libertés de façon plus permanente. Alors même que les gouvernements pourraient se voir dans l’obligation de reporter les élections et d’interdire les manifestations publiques pour éviter la propagation du virus, des rapports font état de ce que des dirigeants ont recours à des mesures de confinement par ailleurs légitimes pour renforcer leur emprise sur le pouvoir.
Craignant la COVID-19, les citoyens pourraient accepter des restrictions auxquelles ils résisteraient en temps normal. Lorsqu’Afrobarometer a demandé aux répondants en 2016/2018 s’ils seraient prêts à accepter que le gouvernement impose des restrictions à la liberté de mouvement en cas de menace sur la sécurité publique, ils ont majoritairement répondu qu’ils accepteraient un tel arrangement.
La disposition des citoyens à tolérer des restrictions pourrait bien être mise à l’épreuve à mesure que la pandémie se propage. Il n’est pas certain que le public puisse accepter des mesures de répression si ces mesures drastiques ne parviennent pas à les protéger contre l’impact sanitaire et économique du virus. Les chances que la population puisse exprimer ses griefs pourraient dans le même temps être limitées.
Écoute et confiance
Les acteurs de la société civile ont exhorté les gouvernements africains à éviter les mesures de confinement strictes et trop générales. Les gouvernements devraient plutôt associer les autorités locales à l’élaboration de mesures adaptées et contextuelles qui tiennent compte des réalités particulièrement difficiles que vivent de nombreuses communautés africaines.
Cela signifie que, dans de nombreuses communautés, ni les dirigeants nationaux ni les dirigeants internationaux ne sont des intermédiaires idéaux. En réalité, nombre de dirigeants élus d’Afrique pâtissent d’un déficit de confiance. L’on se rend compte aisément en considérant la confiance moyenne accordée au président (52%), au Parlement (43%), et au conseil local (43%) que moins de la moitié (46%) des citoyens ont confiance en leurs dirigeants
Mais la formulation de stratégies locales efficaces nécessitera la capacité d’écoute des dirigeants, ce qui n’est généralement pas considéré comme un point fort de la plupart des gouvernements de la région. À peine un Africain sur cinq (22%) estiment que les conseillers locaux essaient «souvent» ou «toujours» de prêter oreille à ce que disent les gens ordinaires, et ils sont encore moins nombreux (16%) à penser que les dirigeants au niveau national, comme les députés, se livrent à cet exercice. La majorité pense que les dirigeants locaux les écoutent dans deux seulement des 34 pays enquêtés le Burkina Faso et le Mali (55% chacun). En revanche, au Maroc, moins d’un sur dix (8%) sont du même avis. Il faudra, pour parvenir à cette nécessaire collaboration, que les dirigeants peu habitués à écouter la voix des citoyens s’engagent d’urgence dans un dialogue plus ouvert et plus efficace.
Les gouvernements pourraient également éprouver des difficultés à communiquer à propos du coronavirus à des publics qui se montrent méfiants. Des recherches récentes en Guinée confirment des conclusions antérieures datant de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest selon lesquelles la confiance vis-à-vis du porteur du message est essentielle, notamment lorsqu’il s’agit de transmettre des messages relatifs à la santé et de susciter la participation des citoyens aux efforts de riposte. Cela signifie que, dans de nombreuses communautés, ni les dirigeants nationaux ni les dirigeants internationaux ne sont des intermédiaires idéaux. En réalité, nombre de dirigeants élus d’Afrique pâtissent d’un déficit de confiance. L’on se rend compte aisément en considérant la confiance moyenne accordée au président (52%), au Parlement (43%), et au conseil local (43%) que moins de la moitié (46%) des citoyens ont confiance en leurs dirigeants.
Tirer des enseignements, de façon précoce et fréquente
Même si la pandémie de la COVID-19 en est encore à ses débuts en Afrique, il n’est toutefois pas trop tôt pour tirer des enseignements des premières mesures de riposte nationales et internationales, pour faire les ajustements nécessaires le cas échéant. Cela permettrait d’améliorer les résultats de manière à sauver des vies et à garantir les moyens de subsistance tout en protégeant davantage les droits et libertés des populations africaines. Nous avons déjà été témoins de l’absurdité des mesures visant à imposer par décret la distanciation sociale dans des communautés vulnérables qui ne disposent ni de l’espace ni des ressources ménagères nécessaires à la viabilité de cette stratégie. Les gouvernements africains devraient plutôt étendre les canaux de communication, écouter davantage leurs populations, et être beaucoup plus attentifs à leurs besoins. Les données disponibles suggèrent qu’ils gagneraient en efficacité à collaborer avec des dirigeants extérieurs au gouvernement qui ont la confiance des citoyens, notamment les chefs religieux et traditionnels.
Même les gouvernements dont la capacité de réceptivité et de communication vis-à-vis des citoyens a toujours été limitée auraient tout intérêt à reconnaître que leur réaction à la pandémie de la COVID-19 pourrait constituer l’opportunité de rebondir. L’implication des citoyens à travers des échanges francs et constructifs permettra non seulement de consolider la riposte à la crise actuelle, mais également de mieux se préparer aux prochaines. Par ailleurs, la communauté internationale, tout en apportant son soutien à ces efforts, devrait également faire en sorte d’encourager et contribuer à renforcer les relations entre les gouvernements africains et leurs citoyens les plus vulnérables.
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