Auteur : Edwin Naidu, Tshilidzi Marwala
Organisation Affiliée : UNESCO
Site de publication : fr.unesco.org
Type de publication : Entretien
Date de publication : 2019
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Les dirigeants africains doivent embrasser la quatrième révolution industrielle (4RI) pour sortir le continent de la pauvreté et le propulser vers un avenir meilleur, affirme le spécialiste en intelligence artificielle (IA) sud-africain Tshilidzi Marwala.
On considère que la Chine est sans doute le dernier pays au monde à pouvoir créer de la richesse avec une main-d’œuvre bon marché et à sortir ainsi la population de la pauvreté. L’utilisation de robots dans le processus de fabrication rendra probablement ce dernier encore meilleur marché que par le passé. Je crains donc bien que l’automatisation complète du processus de production qu’annonce la quatrième révolution industrielle (4RI*) fasse apparaître le coût de la main-d’œuvre comme un facteur dissuasif aux yeux des employeurs.
Indubitablement, la 4RI va transformer le monde du travail, où des machines intelligentes s’acquitteront de tâches traditionnellement accomplies par l’homme. D’ailleurs, le marché du travail se restreint déjà, vu que les usines emploient moins de personnes qu’auparavant. Les inégalités se creuseront notablement. Ceux qui disposeront du capital nécessaire pour acquérir des robots industriels produiront plus avec moins de ressources et deviendront très riches, tandis que les autres se trouveront relégués en marge de la société.
L’Afrique compte aujourd’hui 1,3 milliard d’habitants. C’est le continent dont la population croît le plus rapidement au monde. On ne résoudra pas les problèmes d’explosion démographique, de sécurité alimentaire et d’urbanisation sans les technologies de la 4RI
L’Afrique du Sud et le continent africain dans son ensemble n’ont pas d’autre choix que d’adopter la 4RI et de l’utiliser pour résoudre les nombreux problèmes auxquels ils se heurtent.
Tous les gouvernements africains investissent-ils dans l’industrie 4.0 ?
Non, je ne le crois pas, même s’il y a des poches d’excellence au Mozambique, au Congo, au Kenya, au Rwanda et, dans une certaine mesure, en Afrique du Sud. Mobiliser sur une question comme l’industrie 4.0 un continent de 54 pays est autrement plus compliqué que de le faire dans un seul pays, fût-il aussi grand que la Chine. Les différents stades de développement dans lesquels ils se trouvent rendent la tâche encore plus complexe.
À mon avis, la 4RI est une affaire de données, qu’il s’agisse de données personnelles, génétiques ou celles que l’industrie 4.0 génère elle-même. La question que nous devons nous poser est : les pays africains collectent-ils des données ? J’ai bien peur que non. Les plus gros capteurs de données en Afrique sont les multinationales américaines. En matière de collecte ou de gestion de données, l’Afrique serait à trois, sur une échelle de un à dix. C’est alarmant.
Néanmoins, les géants du web ne consacrent pas beaucoup de temps à des problématiques locales. Par exemple, Google Maps ne prononce pas correctement les noms des routes dans notre pays. Si nous produisions nos propres cartes nationales, avec la bonne prononciation des noms, nous aurions un avantage sur Google. La clé de la concurrence est de relever les défis à l’échelle locale.
Les pays africains sont-ils encore loin de devenir des producteurs de technologie 4.0 ?
Franchement, nous produisons déjà beaucoup de technologie. J’entends beaucoup parler d’Elon Musk et de sa Tesla, mais l’Afrique du Sud a la Joule [une voiture électrique cinq places], qui a été mise au placard parce qu’il aurait fallu en vendre un million d’exemplaires pour que le projet soit viable. Nous déposons beaucoup de brevets, mais nos marchés sont trop petits, et nos produits meurent dans les laboratoires. Créer la technologie ne suffit pas : nous devons aussi créer les marchés et mettre en place une stratégie d’exportation efficace.
Mobiliser sur une question comme l’industrie 4.0 un continent de 54 pays est autrement plus compliqué que de le faire dans un seul pays, fût-il aussi grand que la Chine
Les entreprises devraient-elles jouer un plus grand rôle dans la 4RI auprès des gouvernements, grâce à des partenariats public-privé ?
Quels mécanismes devons-nous mettre en place pour que les multinationales investissent dans la production sur le continent ? L’Afrique du Sud nous donne un bon exemple avec l’industrie automobile : le gouvernement incite les fabricants à produire sur place grâce à des subventions. Nous n’avons pas, à l’heure actuelle, de politique analogue pour les entreprises impliquées dans l’industrie 4.0. C’est ce que nous devons faire pour aller de l’avant. Créer des zones économiques spéciales pour la 4RI serait une bonne idée, l’État offrant aux entreprises des incitations fiscales qui favoriseraient la production, la création d’emplois et la croissance économique.
Cela veut dire que les dirigeants politiques jouent un rôle essentiel.
Les dirigeants africains doivent connaître le langage des nouvelles technologies. Ce n’est qu’à cette condition que l’Afrique pourra embrasser la 4RI. Au Rwanda, la présence de l’Internet à haut débit démontre que le président Kagame parle ce langage. Au Kenya, le nombre de start-up et le lancement d’une monnaie numérique montrent que le président Kenyatta parle ce langage.
En Afrique du Sud, le président Ramaphosa est le premier dirigeant à avoir placé la 4RI à l’avant-garde de sa stratégie, et il est un grand défenseur de la science et de la technologie. Dans son discours à la nation de février 2018, il a parlé de la révolution industrielle numérique et s’est engagé à constituer une commission d’experts en 4RI pour définir la stratégie.
Les dirigeants africains doivent connaître le langage des nouvelles technologies. Ce n’est qu’à cette condition que l’Afrique pourra embrasser la 4RI
L’Afrique compte aujourd’hui 1,3 milliard d’habitants. C’est le continent dont la population croît le plus rapidement au monde. On ne résoudra pas les problèmes d’explosion démographique, de sécurité alimentaire et d’urbanisation sans les technologies de la 4RI. Nos dirigeants doivent parler le langage de la technologie : ils doivent avoir une vision innovante de l’avenir. Et cela signifie que, pour aller de l’avant, nous devons commencer par identifier de nouveaux dirigeants dotés de ces qualités.
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