Auteur : Aifang Ma
Site de publication : Fondation pour l’innovation politique
Type de publication : Rapport
Date de publication : Novembre 2018
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Les politiques chinoises pour le développement de l’intelligence artificielle
Lorsque la Chine se lance dans le développement de l’intelligence artificielle, elle le fait en se fixant deux objectifs. Tout d’abord, faire face à des défis intérieurs : l’accélération du processus d’urbanisation, la réduction de la pauvreté, la pluralité sociale, la pollution environnementale, la mise à niveau du modèle de croissance économique et le problème démographique font que le pays doit impérativement trouver une « solution élégante » lui permettant de relever plusieurs défis en même temps. D’autre part, la priorité stratégique accordée à l’intelligence artificielle est en quelque sorte une réponse forte à la concurrence américaine. En mai 2016, la Maison-Blanche a créé un sous-comité spécifique au sein du National Science and Technology Council (NSTC), organisme chargé de suivre les évolutions du secteur et de coordonner les activités fédérales dans ce domaine. Entre mai et juillet 2016, quatre sessions de travail publiques ont eu lieu, pour engager la discussion avec le public et évaluer les opportunités, les risques et les implications réglementaires et sociales de l’intelligence artificielle. Trois rapports stratégiques ont été rendus publics par l’administration Obama entre octobre et décembre 2016 : Preparing for the Future of Artificial Intelligence, The National Artificial Intelligence Research and Development Strategic Plan et Artificial Intelligence, Automation, and the Economy. De plus, l’embargo que les États-Unis ont déclaré en 2015 sur les ventes à la Chine de circuits intégrés venant des entreprises Intel, AMD et NVIDIA (leaders dans le domaine des microprocesseurs) rend impératif pour le pays de devenir autonome afin de se frayer un chemin et briser le blocage américain. Pour atteindre ces deux objectifs, le gouvernement chinois a placé l’intelligence artificielle au cœur de ses priorités, ce qui s’est traduit par des mesures tous azimuts.
La proclamation de stratégies précises et mesurables
L’intelligence artificielle est une technologie d’avenir et met en jeu les intérêts économiques et la sécurité nationale d’un pays. C’est pour cette raison que la Chine a mis en place des stratégies précises et mesurables. En juillet 2017, le Conseil des affaires d’État a publié son « Plan de développement de la prochaine génération d’intelligence artificielle pour la période de 2016 à 2030 ». Dans ce document, la Chine se fixe l’objectif de devenir le leader mondial dans ce domaine d’ici à 2030, en termes de théorie fondamentale, de technologies et d’applications. Elle envisage de réaliser son but en trois étapes :
- pour 2020, le pays doit avoir réalisé une découverte majeure dans les théories fondamentales et les technologies clés liées au Big Data, à l’automation et à l’application de l’IA aux médias de masse. Elle aura ainsi participé au développement des normes et des standards internationaux de cette technologie. Le secteur pèsera alors en Chine environ 23 milliards de dollars et les secteurs liés, 156 milliards de dollars.
- pour 2025, l’IA devra être la dynamique principale de croissance économique et de mise à niveau de l’économie. Elle sera déjà utilisée sur des sujets clés comme la santé, les villes intelligentes, l’agriculture intelligente et la défense. Un cadre juridique et éthique ainsi qu’un système réglementaire de l’IA prendront forme. Le secteur vaudra alors 63 milliards de dollars et les secteurs liés, 781 milliards de dollars.
- pour 2030, la Chine devra être leader mondial dans le secteur de l’IA. Elle aura fait une percée significative dans la recherche sur le cerveau. Elle sera devenue le centre mondial d’innovation de l’IA et une référence sur la réglementation. Le cadre juridique et éthique de l’IA aura atteint sa maturité. L’industrie chinoise de ce secteur atteindra 156 milliards de dollars et 1 562 milliards de dollars pour les secteurs liés.
Des investissements colossaux et un soutien public important
Le gouvernement chinois considère l’intelligence artificielle comme l’un des secteurs clés qui décideront de la place du pays sur la scène internationale de demain. Des investissements à hauteur de 150 milliards de yuans (23,15 milliards de dollars) sont prévus d’ici à 2020 pour aider les universités, les incubateurs et les startups à développer leur expertise dans l’IA. Cet engagement pourrait même atteindre 400 milliards de yuans (51,11 milliards d’euros) si besoin est. Deux autres chiffres contribuent également à illustrer l’importance de la taille des investissements chinois dans l’IA : en 2017, la progression dans ce secteur a été de 141% par rapport à 2016, ce qui a permis l’émergence de 1 100 nouvelles startups.
En 2017, la progression dans ce secteur a été de 141% par rapport à 2016, ce qui a permis l’émergence de 1 100 nouvelles startups
Par rapport à l’enthousiasme manifeste du gouvernement chinois à l’égard du secteur de l’IA, le soutien public d’autres pays semble moins spectaculaire. Si en 2015, le gouvernement américain a ainsi investi 67 milliards de dollars dans la recherche scientifique, l’arrivée au pouvoir de l’administration Trump en 2017 a fait déchanter les chercheurs en IA, avec des prévisions de coupes budgétaires importantes dans la recherche. Les investissements publics américains sont de moindre volume par rapport à ceux promis par les autorités chinoises, bien que les États-Unis puissent s’appuyer sur les performances jusqu’à présent inégalées de son secteur privé dans l’IA. En avril 2018, le Pentagone américain a obtenu un budget de 9,3 milliards de dollars pour le développement des drones militaires en 2019, selon un rapport publié le 9 avril par le Centre d’étude du drone du Bard College. Les États-Unis ont déclaré en mars 2018 qu’en 2019 un montant de 93 millions de dollars sera affecté au projet Maven dont Google est un partenaire important. La Maison-Blanche a révélé en mai 2018 sa décision de créer un comité spécial consacré à l’intelligence artificielle. Alors que cette décision pourrait apporter de l’espoir aux milliardaires de la Silicon Valley, le fait que l’administration Trump n’ait ni prévu les financements pour le comité, ni changé sa politique migratoire, pénalisante pour l’arrivée de talents étrangers, n’est guère rassurant.
Quant aux pays européens, leurs investissements en IA sont plutôt timides en comparaison avec la Chine, même s’il faut bien sûr tenir compte de la taille du PIB des États : en mars 2018, Emmanuel Macron a promis de dédier 1,5 milliard d’euros d’argent public durant son quinquennat pour accompagner l’émergence d’un grand pôle mondial de l’intelligence artificielle, tandis que le budget britannique consacré à l’IA est similaire à celui de la France.
La dynamique des start-up et des BATX
En Chine, le marché de l’intelligence artificielle est en constante expansion. Prenons l’exemple du paiement en ligne, étape à laquelle la Chine a directement accédé en sautant celle des cartes de crédit. Le réseau social WeChat, développé par Tencent en janvier 2011 et équipé de la fonctionnalité de paiement en ligne, enregistre plus de 600 millions de transactions par jour.
Le réseau social WeChat […] enregistre plus de 600 millions de transactions par jour
Le potentiel considérable du marché chinois de l’IA s’explique avant tout par l’essor des startups et des géants de la télécommunication et de l’informatique. Ces entreprises font déjà preuve d’une expertise très avancée.
iFlytek, société pékinoise créée en 1999 et cotée à la Bourse de Shenzhen, est un leader national en matière de traitement de la voix et de reconnaissance vocale. En plus de traductions dans toutes les langues, les logiciels développés par iFlyteck peuvent distinguer une voix parmi vingt autres et la retranscrire en texte, même si cette voix s’exprime en dialecte dans une salle bruyante. La société aide aussi la police à créer des bases de données biométriques pour permettre l’identification instantanée des individus.
La société Baidu, le « Google chinois », est en train de prendre une longueur d’avance sur ses homologues américains. Avec une précision de 95,4%, la technologie de reconnaissance d’images de Baidu dépasse celle de Google, dont l’exactitude se stabilise à 95,2%. Le programme d’intelligence artificielle de la société est aussi parvenu à battre un champion de go, faisant ainsi jeu égal avec l’IA de Google. Avec son avantage inégalé en stockage de données, Baidu mise sur le développement de véhicules autonomes. Le 16 novembre 2017, Robin Li, PDG légendaire de la société, a déclaré la mise sur le marché de minibus autonomes et d’enceintes connectées à partir de juillet 2018. En collaboration avec JAC Motors, BAIC et le groupe automobile Chery, la société Baidu va lancer plusieurs modèles de voitures autonomes en 2019 et 2020.
Les autorités chinoises n’imposent pas beaucoup de contraintes drastiques à leurs entreprises en ce qui concerne la dimension éthique de l’IA
Par ailleurs, se focalisant dans un premier temps sur l’impact de l’IA sur l’emploi, les autorités chinoises n’imposent pas beaucoup de contraintes drastiques à leurs entreprises en ce qui concerne la dimension éthique de l’IA. Par conséquent, les conditions sous lesquelles les entreprises chinoises d’IA se développent sont relativement souples. Ce n’est pas le cas en Europe, par exemple, où les soucis concernant la dimension éthique, la sécurité et la protection des données personnelles l’emportent, à tel point que les innovations dans le domaine de l’IA ont parfois du mal à avancer. L’équation entre l’innovation technologique, d’une part, et la préservation des données personnelles, d’autre part, reste toujours difficile à résoudre, et l’équilibre optimal entre les deux demeure compliqué à fixer
La défense
En juillet 2017, dans un discours adressé à l’Académie des sciences militaires, le président Xi Jinping a déclaré que la Chine devrait construire des instituts de technologie militaire de classe mondiale, l’objectif étant de contenir la supériorité militaire régionale des États-Unis dans les points chauds en Asie-Pacifique. Répondant aux besoins stratégiques du pays, des recherches scientifiques en matière d’application militaire de l’IA se multiplient afin de relever les défis qui s’annoncent. Plus d’une centaine de spécialistes de haut niveau sont sélectionnés en Chine pour travailler sur l’IA et les technologies quantiques pour des applications militaires.
Deux raisons peuvent aider à comprendre l’essor des recherches dans ce domaine. D’une part, dans la région Asie-Pacifique, où les pays de la zone semblent craintifs vis-à-vis de la montée en puissance de la Chine, cette dernière a besoin de se prévenir contre tous les aléas possibles, dans le but de perpétuer et de sécuriser son développement. Puisque la Chine et les États-Unis figurent tous les deux parmi les pays possesseurs de l’arme nucléaire dans le monde, la Chine se sent obligée de prendre une longueur d’avance par rapport aux États-Unis. Autrement dit, en dehors de la dissuasion nucléaire, se munir d’un outil encore plus efficace pourrait donner à l’empire du Milieu un avantage décisif dans les jeux géopolitiques de la région.
D’autre part, les nouvelles technologies à base d’IA pourraient aider la Chine à restreindre l’augmentation de ses dépenses militaires. Les armes nucléaires sont jusqu’à présent les plus puissantes et les plus destructrices. Logiquement, la possession de telles armes doit être assez rassurante pour que les États maintiennent ou réduisent leur budget militaire et d’armes conventionnelles. Ce n’est cependant pas le cas. Selon les données de la Banque mondiale, bien que les dépenses militaires américaines se soient réduites après la guerre froide, elles restent toujours au-dessus de 3% du PIB. Ce chiffre s’est même élevé à 4,67% en 2010. La moyenne mondiale se stabilise autour de 2% en 2017.
Des progrès spectaculaires ont ainsi été obtenus par l’IA dans le domaine militaire. Par exemple, grâce à ses avancées dans le domaine des drones moyenne altitude longue endurance (Male), la Chine a pu mettre en avant sa dernière version du drone de combat Wing Loong, le Wing Loong II. Fabriqué par le groupe d’aéronautique China Aviation Industry Corporation, ce drone a fait l’objet de commandes à l’exportation, notamment de la part de l’Arabie saoudite pour une quantité totale de 300 appareils. Et, fin 2017, Chengdu Aircraft Industrial Group (CAC), filiale de China Aviation Industry Corporation, a effectué la première livraison de drones Wing Loong II à ses clients. En comparaison avec la Chine, l’Europe qui se trouve en période de spécification de son futur Male, semble être en retard.
À l’aide de l’IA, la Chine est également en train d’élaborer un système embarqué à bord des sous-marins nucléaires d’attaque ou lanceurs d’engin. L’objectif est d’améliorer la capacité d’interprétation et de décision du commandement, ce dernier étant susceptible d’être impacté par le stress du confinement. Toujours dans le domaine de la marine, la Chine a commencé début 2018 la construction d’un site de test pour les navires sans pilote à Zhuhai. Financée par le gouvernement local de Zhuhai, la Société de classification de Chine, l’Université des technologies de Wuhan et Océanalpha (société spécialisée dans les drones marins et les navires sans pilote), la construction du site s’effectue dans le but de reproduire, tester et vérifier les fonctions des navires sans pilote, notamment la planification des itinéraires, le repérage, l’accostage et l’appareillage.
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