Organisation affiliée : Africa CEO Forum
Type de publication : Article
Date de publication : 2021
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A travers l’analyse des données de navigations Web et mobiles, des Fintechs promettent l’accès au crédit à des clients non-bancarisés. Mais des inquiétudes subsistent concernant la fiabilité et la confidentialité des informations utilisées
Pour évaluer leurs clients, les organismes de crédit africains utilisent habituellement le système du Credit Score. Par exemple, pour analyser les historiques de paiements manqués pour une carte de crédit. En l’absence d’information, ils s’appuient sur des données démographiques ou sectorielles, comme l’existence d’une source de revenus réguliers ou encore la stabilité du secteur d’activité, les femmes quant à elles sont aussi associées à un meilleur taux de remboursement que les hommes. Une approche qui défavorise les personnes non bancarisées ou qui travaillent dans le secteur informel.
Michele Tucci, Chief product officer de la fintech Credolab, explique : « En Afrique, les organismes prêteurs manquent de données pour prendre les bonnes décisions en matière de crédit et les données démographiques sociales ont leurs limites. » D’après lui, 70% des demandent de crédits sont refusées par les prêteurs africains faute d’information leur permettant d’établir un crédit score fiable. En effet, 57 % des Africains ne sont toujours pas bancarisés : leurs salaires sont versés en espèces et ils possèdent des cartes de débit et non de crédit.
70% des demandent de crédits sont refusées par les prêteurs africains faute d’information leur permettant d’établir un crédit score fiable (…) 57 % des Africains ne sont toujours pas bancarisés
C’est au Kenya qu’a émergé l’évaluation alternative du risque crédit au milieu des années 2010, grâce à l’intégration d’outils d’intelligence artificielle IA aux services de crédit mobiles M-Shwari de Safaricom via la plateforme M-Pesa.
Depuis, des Fintechs locales, comme Jumo (Cape Town) et la start-up nigériane Kiakia se sont fait une place sur le marché. Parmi le acteurs étrangers Credolab et Branch (San Francisco), qui analyse les données SMS, gagnent du terrain sur le continent. Coté prêteurs, la First National Bank of South Africa, les kenyans NCBA Group et Equity Bank, et Orange Bank ont été parmi les premiers adeptes.
Des métadonnées mobiles
Credolab (Singapour), créée en 2016 et présente en Afrique du Sud, au Nigeria, au Kenya et au Ghana, est l’un des acteurs qui se basent les métadonnées mobiles pour évaluer le risque de crédit. La Fintech intègre un kit de développement logiciel (SDK) mobile dans les applications bancaires des prêteurs et collecte – en respectant des principes de confidentialité – des points de données microcomportementales sur les appareils Android et iOS. Plusieurs éléments sont collectés lors de la demande de prêt : le pourcentage de selfies ou de vidéos sur le téléphone, le nombre de jeux installés, l’utilisation éventuelle d’un VPN et même la vitesse de saisie.
Le système de Machine Learning intégré détermine ensuite la probabilité de défaut de paiement et génère un score de crédit.
Portefeuilles mobiles et tests de personnalité
Parmi les méthodes de Machine Learning émergentes, figurent l’analyse des transactions d’argent mobile et les tests de personnalité numériques. Le groupe Creditinfo, qui possède des bureaux de crédit dans 11 pays africains, fait appel à ces tests pour trois de ses marchés.
Pour Dmitry Borodin, Head of products and decision analytics chez Creditinfo, le succès croissant de l’argent mobile en fait la meilleure source de notation alternative en Afrique : « Ces données sont vraiment fiables : même si les cartes de crédit ou de débit restent rares, nous pouvons estimer le revenu et faire des prévisions solides grâce à l’analyse des transactions mobiles ».
Creditinfo s’est également associée à Coremetrix et Compuscan en Afrique du Sud afin d’élaborer des tests de personnalité d’une durée de 5 à 20 minutes pour les clients dont le dossier de crédit est trop maigre. Ces clients répondent à 20 à 30 questions en ligne, puis le Machine Learning établit une carte de leur personnalité corrélée au risque de crédit. Ils doivent par exemple expliquer ce qu’ils feraient s’ils gagnaient 200 $ au loto (le choix de l’épargne étant associé à un risque moindre). L’IA analyse également les schémas comportementaux, comme le délai ou la longueur des réponses, pour identifier les clients qui cherchent à déjouer le système en trichant.
Une approche balbutiante en Afrique
Pour Aristide Ouattara, associé et Risk advisory leader chez Deloitte Afrique, le credit scoring alternatif n’en est malgré tout qu’à ses débuts : « Les banques africaines en sont encore à établir le socle minimal d’outils et de cadres de gestion du risque de crédit », a-t-il déclaré. Selon lui, ces méthodes représentent l’avenir du crédit et les banques devraient s’y convertir au plus vite. « L’Afrique a l’habitude de suivre rapidement les innovations comme le mobile banking, et s’apprête à faire un bond en avant dans ce domaine aussi », estime Aristide Ouattara.
Deloitte a commencé à développer le Machine Learning il y a plusieurs années en Europe avec les langages SAS et Python, et prévoit d’appliquer ces outils au secteur financier africain dans les prochaines années.
L’Afrique a l’habitude de suivre rapidement les innovations comme le mobile banking, et s’apprête à faire un bond en avant dans ce domaine aussi
Pour McKinsey aussi, le credit scoring via le Machine Learning est une bonne nouvelle pour l’inclusion financière.
Ses applications sont diverses. La méthode permet par exemple l’analyse du véhicule d’un client, de son ancienneté, de son kilométrage et même de sa couleur, ou encore l’évaluation de la qualité des contacts via les réseaux sociaux.
« Ces données alternatives sont utiles lorsqu’elles comblent un déficit d’information. Mais leur impact sur la qualité du score est moindre quand elles s’ajoutent aux données traditionnelles. », estiment Sergey Savitskiy, Leader of digital lending services et Umar Bagus, Head of Analytics tous deux chez McKinsey Afrique.
La fiabilité des données en question
La fiabilité reste une préoccupation majeure, même en Europe où la plupart des prêteurs utilisent déjà des métriques alternatives.
Hervé Phaure, Leader of credit risk chez Deloitte en France, connaît bien le développement des outils de Machine Learning. Selon lui, les comportements des clients peuvent évoluer rapidement : « Un comportement humain instable met le modèle en échec ».
La disponibilité des données est un autre obstacle. Un prêteur qui souhaite évaluer le profil de risque d’une PME peut analyser sa présence en ligne, mais risque de se heurter à un manque d’information. « Plus l’entreprise est petite, moins elle sera active en termes de navigation et d’actualités », poursuit Hervé Phaure, avant de mettre en garde contre un autre écueil : « Il y a de plus en plus d’informations pas fiables sur le net. »
Pour traiter les tests psychométriques, Dmitry Borodin recommande aux institutions financières de se doter de capacités d’interprétation des algorithmes d’IA et d’une infrastructure fiable de gestion des modèles. Car à cause de la pandémie, elles risquent de passer à côté de changements de comportements que les données collectées par le passé ne reflètent pas encore. Selon lui, les scores psychométriques ne doivent pas constituer la seule source d’évaluation, mais ont un rôle à jouer pour les clients sans historique de crédit.
Sergey Savitskiy et Umar Bagus ajoutent qu’il est essentiel de sensibiliser les cadres supérieurs et les conseils d’administration des banques à ce sujet. « L’IA et les modèles de Machine Learning sont souvent des sujets difficiles à appréhender, il faut donc veiller à adopter un discours adapté à ce public », expliquent-ils.
Un grand pas pour l’inclusion financière ?
Le credit scoring alimenté par l’IA est vendu comme un moyen de donner accès au crédit à 1 milliard de personnes sans historique de crédit dans le monde. Mais qu’en est-il vraiment en Afrique ?
Une étude du Parlement européen sur l’éthique de l’IA, publiée en mars 2020, avertit que les notations alimentées par Machine Learning résultent elles aussi de l’action de l’homme et qu’elles pourraient simplement perpétuer les préjugés. Elle donne l’exemple hypothétique d’une personne à qui le Machine Learning attribuerait un mauvais score de solvabilité en se basant sur la qualité de ses vêtements, et qui resterait condamnée à la pauvreté après un refus de prêt.
D’après Creditinfo, l’accès au crédit des clients non bancarisés progresse à « pas comptés » dans les organismes prêteurs adeptes des métriques alternatives. Mais selon l’entreprise, l’évaluation du risque de crédit alimentée par l’IA n’en est qu’à ses débuts.
Credolab manque elle aussi de visibilité sur l’inclusion financière. Mais pour chaque million de demandes qu’elle traite en Afrique, elle estime que seuls 200 000 emprunteurs ont à terme accès au crédit, dont 180 000 primo-emprunteurs. Michele Tucci rappelle qu’en définitive, la décision d’accorder un prêt repose sur les prêteurs, que la pandémie a contraint à privilégier des candidats aux profils plus rassurants.
Carnet de route pour la Tech
Credolab considère l’Égypte, le Maroc et le Ghana comme des marchés porteurs. Dans sa ligne de mire figurent notamment les opérateurs de télécommunications qui proposent des smartphones avec paiements mensuels sans évaluer le risque de crédit. La fintech espère recruter ses premiers collaborateurs en Afrique, notamment au Nigeria, pour dynamiser son activité. Credolab se base aussi sur les interactions entre l’utilisateur et l’interface de l’application mobiles des prêteurs. Par exemple comment et à quelle fréquence un client modifie la durée et le montant d’un prêt, ainsi que le temps passé à lire les termes et conditions.
Nous devinons un potentiel dans les pays d’Afrique de l’Ouest dotés d’une technologie similaire qui ont déjà recours aux paiements mobiles, mais il reste un retard à combler
Dmitry Borodin de Credingo explique qu’avec le service M-Pesa de Safaricom, « le Kenya a montré tout ce qu’il est possible de faire. Nous devinons un potentiel dans les pays d’Afrique de l’Ouest dotés d’une technologie similaire qui ont déjà recours aux paiements mobiles, mais il reste un retard à combler. »
Sergey Savitskiy et Umar Bagus du groupe McKinsey concluent : « Ces modèles offrent une prise de décision instantanée et automatisée en matière de crédit. Ils éliminent bien souvent les biais potentiels du cerveau humain. » Entre la disponibilité croissante des données et les résultats qu’observent déjà les premiers adeptes dans le secteur bancaire, l’intérêt pour le credit scoring alimenté par l’IA n’est selon eux pas prêt de retomber.
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